Rentrer dans la capsule Mercury, un exercice de souplesse... © NASA
Rentrer dans la capsule Mercury, un exercice de souplesse... © NASA

Après les succès concluants des deux premiers vols du programme Mercury, la NASA veut pousser plus loin et vise enfin l'orbite pour ses astronautes. Mais malgré l'ambition, la préparation du lanceur Atlas demanda beaucoup de temps, et il fallut l'image du « héros astronaute » de John Glenn pour que ce soit un succès.

Friendship 7 fut cependant déterminant pour la réussite du programme Mercury.

Il faut viser plus haut

Grâce aux exploits des deux premiers vols d'Alan Shepard et de Gus Grissom, certains ont pu affirmer qu'en 1961, les États-Unis avaient rejoint les prouesses soviétiques pour le spatial habité. La réalité cependant était bien plus cruelle : les capsules Mercury, malgré leurs succès, n'avaient volé que quelques minutes dans le vide spatial, sur des trajectoires paraboliques, là où les cosmonautes Gagarine, puis surtout Titov pouvaient faire le tour du globe dans leur capsule Vostok. Une étape autrement plus difficile, et la NASA en est bien consciente.

La capsule Mercury est bien conçue pour le vol orbital, mais son petit lanceur Redstone n'a pas la puissance pour l'y emmener. Face aux insolents exploits de l'URSS, la décision est même prise, à l'été 1961, de ne pas mener un troisième vol suborbital. La prochaine capsule à embarquer un astronaute américain vers l'espace y resterait plusieurs heures, grâce à un lanceur Atlas.

Atlas et la capsule Mercury pour le vol orbital habité. Quelques éléments un peu bricolés... © NASA
Atlas et la capsule Mercury pour le vol orbital habité. Quelques éléments un peu bricolés... © NASA

Atlas et ses larges épaules

La fusée Atlas originelle repose sur le missile balistique SM-65 développé par l'US Air Force et testé pour la première fois en vol en décembre 1957. Mais son adaptation pour le vol orbital, tout comme celle pour lui faire transporter une ogive nucléaire, sera longue et complexe. En décembre 1958, c'est la réussite du premier vol orbital avec le satellite SCORE.

De leur côté, les autorités de la toute jeune NASA ont déjà sélectionné Atlas LV-3B pour le programme Mercury. À un énorme détail près : les systèmes de vol sont alors beaucoup trop peu fiables ! Atlas dispose en théorie d'une configuration très sécurisée à « un étage et demi », avec son moteur central et les deux moteurs auxiliaires de chaque côté qui sont tous les trois allumés sur le site de lancement avant de décoller. Puis, juste avant deux minutes de vol, les auxiliaires sont stoppés et largués.

Dans la pratique cependant, Atlas a tous les soucis possibles et imaginables. Pressurisation de ses réservoirs (indispensable, sinon ses fines parois s'effondrent sous son poids), fiabilité de ses moteurs, qualité des soudures, électronique de vol… Tout y passe. Y compris lors du premier vol avec une capsule Mercury, non habité, en juillet 1960 : le contact est perdu après quelques poignées de secondes.

Quand Atlas rame

En 1961 cependant, les soucis sont censés être dans le rétroviseur. En février, Mercury-Atlas décolle pour une nouvelle mission non habitée et atteint son objectif ! À la NASA, les équipes sont convaincues qu'elles vont pouvoir enchaîner les vols paraboliques avec Mercury-Redstone et les vols orbitaux avec Mercury-Atlas, le tout au nez et à la barbe des soviétiques.

Mais patatras ! Non seulement Gagarine leur grille la priorité le 12 avril avec son vol orbital, mais en plus, le 25 du même mois, une nouvelle mission avec Mercury-Atlas décolle et se termine en catastrophe : la fusée décide de rester pointée vers le haut, sans tourner pour accélérer vers l'horizon. Elle sera détruite par les équipes au sol, dépitées.

Le programme prend des mois de retard. Mais, le 13 septembre avec un mannequin, puis le 29 novembre avec le chimpanzé Enos, Atlas LV-3B regagne enfin ses lettres de noblesse. La confiance est de retour (et Mercury a déjà montré que son système d'éjection d'urgence fonctionne). C'est donc au tour de John Glenn de passer à l'orbite. Capsule, fusée, météo et systèmes de récupération ne seront cependant prêts que le 20 février 1962.

John Glenn au sein de la capsule Mercury © NASA

Le gendre idéal

John Glenn dispose d'un parcours très impressionnant, même avant sa sélection en tant qu'astronaute de la NASA. Il est le seul des « Mercury Seven » à venir du corps des Marines et présente un vrai profil d'aviateur de combat, avec trois victoires sur les Mig soviétiques au-dessus de la Corée. Plus vieux que ses collègues, il bénéficie déjà d'une petite célébrité avec un record marquant à son nom pour relier côte ouest et côte est des États-Unis à une vitesse supersonique ! Certains ont d'ailleurs argumenté qu'il était avantagé pour les tests sur Mercury, car il faisait déjà partie de l'équipe qui travaillait sur le concept initial. Mais la réalité est là : c'est un travailleur acharné, et son profil a tapé dans l'œil des sélectionneurs.

Il est en réserve lors des vols de Shepard, puis de Grissom, mais se prépare déjà pour le vol orbital. À la fin du mois de janvier 1962, il a volé plus de 70 missions de simulation complètes, passant beaucoup, beaucoup plus de temps au sol qu'en vol !

C'est lui qui baptise sa capsule Mercury « Friendship 7 ». Et c'était un astronaute de caractère : malgré le refus initial de sa hiérarchie pour embarquer un appareil photo, il en a acheté un lui-même pour l'embarquer sur son vol. Finalement, ce dernier sera modifié pour pouvoir être actionné avec les gants de la combinaison Mercury.

La Terre, vue lors de l'une des trois orbites de John Glenn © NASA

De l'audace et des petits soucis

Le 20 février 1962, John Glenn s'installe dans sa capsule à 13 h 03 (heure de Paris), sur le site LC-14 à Cape Canaveral. Heureusement, les fenêtres de tir n'étaient pas aussi restreintes qu'aujourd'hui, car le décollage de la mission est repoussé de plusieurs heures après différents problèmes techniques. Le compte à rebours arrive pourtant enfin jusqu'à 0, et Atlas allume ses trois moteurs à 16 h 47 pour s'élancer vers le ciel. Le décollage est transmis en direct à la télévision, une première que ne se sont pas permise les soviétiques. Malgré quelques vibrations, le vol va se faire sans encombre jusqu'à l'orbite, atteinte avec une précision impressionnante pour l'époque. Une fois la capsule éjectée à 150 x 248 kilomètres d'altitude, John Glenn est informé qu'il est sur une trajectoire stable. Sa mission pourra durer plusieurs heures, comme prévu.

En passant au-dessus de la station de communication établie aux Canaries, Glenn est informé que tous les voyants sont au vert pour sa capsule. Il traverse l'Afrique, et à travers le hublot qui lui fait face et qu'il scrute, il remarque une tempête de sable. Ensuite, il regarde le Soleil se coucher au-dessus de l'océan Indien et continue ses observations sur le ciel de nuit, repérant plusieurs étoiles.

Après son passage au-dessus de l'Australie cependant, revenu progressivement dans l'hémisphère de jour, Mercury commence à montrer quelques menus problèmes. John Glenn constate d'abord qu'une myriade de minuscules gouttelettes accompagnent l'extérieur de la capsule. Puis, après quelques manœuvres minimes avec le système d'orientation manuel, l'un des propulseurs fait constamment dévier Mercury sur son axe. Ennuyeux, mais… rien de plus. Jusqu'à ce que les contrôleurs au sol lui demandent de bien vérifier que l'indicateur de déploiement du bouclier thermique et des bouées est bien sur « OFF ».

Le décollage de Friendship 7 avec sa fusée Atlas © NASA

Un peu de stress !

Au sol, la salle de contrôle est fébrile. Selon les données de la capsule, le bouclier s'est séparé, il n'est plus retenu que par les sangles qui maintiennent le système de rétrofusées ! Au cours de la deuxième orbite, c'est sa combinaison qui entre en surchauffe, et le régulateur d'oxygène de secours donne des signes de faiblesse. Ensuite, les réserves de carburant destinées au réglage d'orientation baissent trop vite (à cause de cette fichue correction sur l'axe). Mais la situation se stabilise, même si les équipes au sol sont toujours particulièrement inquiètes avec les données du bouclier. Heureusement, plus le temps passe, plus les indices pointent plutôt une erreur d'un capteur. Lors des manœuvres, Glenn n'entend pas le bouclier bouger, le voyant indique que les bouées gonflables sont en place. De toute façon, il est parti pour effectuer une troisième orbite. Au cours de celle-ci, il n'y aura d'ailleurs pas de nouveau problème.

La capsule active son système de rétrofusées au-dessus du Pacifique, et le « coup de pied » est si violent que Glenn déclare : « J'ai l'impression qu'elles vont me faire revenir jusqu'à Hawaï ! » Pour plus de sécurité par rapport aux doutes sur son bouclier, les sangles qui maintiennent les rétrofusées en place ne sont pas éjectées, elles brûleront lors de l'entrée dans l'atmosphère. Et c'est d'ailleurs assez étonnant, puisque les soviétiques ont eu ce souci de manière involontaire. Leurs propres systèmes de rétrofreinage ne se sont en effet pas éjectés lors des vols Vostok 1 et 2.

Le passage dans les denses couches de l'atmosphère n'est pas de tout repos pour Mercury. La capsule chauffe, oscille, mais résiste. Et au moment où Glenn avance la main pour déclencher manuellement le parachute de traînée (il voulait stabiliser sa descente), ce dernier se déclenche tout seul ! Pour le reste, tout se passe bien. Il ne fallut que 17 minutes au destroyer Noa pour être bord à bord avec la capsule, avant de la hisser. Affecté par la chaleur étouffante à l'intérieur, Glenn déclenchera l'ouverture de la trappe de côté avec les boulons explosifs.

John Glenn en combinaison. Une vraie photo qui fait beaucoup penser à L'Étoffe des héros © NASA

Alors, au niveau des soviétiques ?

Pour les Occidentaux, avec ce vol hautement médiatisé et globalement très réussi, les États-Unis ont enfin rattrapé l'URSS dans la course aux vols habités. En réalité, les performances des capsules soviétiques Vostok restent plus poussées que celles de Mercury, et le vol de Titov a déjà montré que les Russes ont les capacités pour rester plus d'une journée en orbite. Lors du vol de Glenn, ils préparent leur prochain « coup » avec deux capsules en orbite simultanément. Mais la dynamique, elle, est différente.

Ce succès américain est fondateur. Kennedy a déjà engagé son plan lunaire avec les politiciens, et l'adhésion publique est de plus en plus forte avec la diffusion des exploits de Glenn en direct. La NASA le sait, le retard technique est encore sensible, mais le secteur de la recherche industrielle s'est mis en marche. Ce premier vol habité orbital en 1962 fut un succès public déterminant, y compris pour attirer de nouveaux talents. En effet, 6 mois plus tard, la NASA lançait sa deuxième sélection d'astronautes…