L'un des satellites "espion" français CSO. Crédits Airbus DS/CNES
L'un des satellites "espion" français CSO. Crédits Airbus DS/CNES

Bercés par notre culture cinématographique,
les
satellites utilisés au service des armées du monde entier sont souvent fantasmés.
A quoi servent-ils ? Et leurs capacités ? Elles ne sont pas
publiques, mais elles non plus ne peuvent égaler la fiction.

On en sait beaucoup plus sur vous grâce à votre
téléphone…

Qu'est-ce qu'un satellite espion ?

En réalité il y a peu de choses qui différencient un satellite « espion » d'un satellite commercial, de prime abord. Bien sûr, un Etat ne fait pas autant de publicité qu'une entreprise pour ses capacités de surveillance dédiées à la défense, donc les caractéristiques exactes de ces unités ne sont pas disponibles aussi facilement. Cela dit, même pour ceux dont on n'a aucune photographie (il y en a peu), la fusée avec laquelle ils sont lancés donne souvent un spectre de leurs capacités : impossible par exemple de faire décoller un lourd télescope dans un tout petit lanceur… Et à l'inverse, pas besoin de commander un lanceur lourd pour un trio de petits satellites d'écoute électronique.

Une fois là-haut cependant, ceux qui s'intéressent véritablement au sujet n'ont pas trop de mal à identifier les caractéristiques orbitales de ces grands bijoux de technologie. Avec le bon matériel (toutes les grandes nations en ont, et même certains amateurs) il est d'ailleurs possible d'observer directement ces satellites avec une précision qui révèle facilement leur nature. En fonction des antennes et de leur forme, il est aisé de deviner à quoi sert tel ou tel satellite.

Celui-ci par exemple, ressemble à un gros télescope. Ce satellite Persona, russe, est un "espion" optique. Crédits Russian MOD
Celui-ci par exemple, ressemble à un gros télescope. Ce satellite Persona, russe, est un "espion" optique. Crédits Russian MOD

Un satellite « espion » n'a donc d'espion que le nom. Ce sont ses résultats qui sont de l'espionnage, car eux ne sont pas cachés. Certains, c'est le choix de la France, ne font pas mystère du rôle de leurs satellites (on sait par exemple très bien que la nouvelle génération de satellites CSO est un trio de satellites d'observation optique). D'autres cachent sous des noms génériques la raison d'être de leurs nouvelles unités.

C'est le cas des Etats-Unis (avec leurs satellites NROL, renommés USA-XXX une fois en orbite) et de la Russie (avec les satellites Cosmos), mais aussi de la Chine qui annonce régulièrement dans ses communiqués de nouveaux satellites « d'observation des cultures agricoles ». Au rythme où ces derniers décollent, les champs de riz sont bien surveillés… Dans ce petit jeu de dupes, tous ceux qui sont vraiment concernés (c'est-à-dire les armées des uns et des autres) savent ce que font les satellites en question.

L'optique, l'espionnage à tout faire

C'est l'application la plus intuitive : pointer un appareil photo vers le sol avec une énorme optique, et prendre des clichés de ses adversaires. Une application qui fera jaser dès les tout premiers satellites à la fin des années 50, et qui donnera lieu à sa propre course technologique. Celle-ci avancera par bonds de géant. D'abord, des optiques télescopiques qui peuvent être pointées précisément. Ensuite, des satellites avec un plus large balayage (souvent, une résolution extraordinaire sous le mètre se paie en contrepartie avec un champ de vue très réduit), de meilleurs capteurs.

Au milieu des années 80, les satellites optiques embarquent une technologie numérique qui commence à affranchir le besoin de renvoyer des pellicules au sol. Un gain de temps phénoménal… Bien que pour certaines résolutions, des satellites russes à films seront utilisés jusque dans les années 2010. Ces derniers temps, les satellites sont « agiles », ils peuvent pivoter rapidement pour prendre des photos le long de leur parcours, identifier leur cible à l'avance pour mieux étalonner leurs optiques, stocker des quantités folles de clichés ou de films à haute résolution.

Un satellite espion américain KH-9 en exposition au Musée de l'Air Force. Ce dernier renvoyait encore une capsule avec des films argentiques. Crédits USAF/Jim Copes

Cette résolution d'ailleurs, quelle est-elle ? Dans certains films, il est possible d'utiliser les satellites pour reconnaître quelqu'un, ou lire une plaque d'immatriculation. Dans la réalité… C'est plus complexe. Comprenez bien qu'avec une résolution de 50 centimètres par pixel, un piéton vu de l'orbite n'est qu'un ou deux points. Les meilleures unités militaires descendent sous les 30 centimètres (c'est la limite commerciale), et certaines (il y a débat bien sûr) seraient sous les 10. Toujours trop pour lire une plaque d'immatriculation, ou reconnaître tonton Michel, mais assez pour identifier des gens armés, l'équipement d'un véhicule ou la position d'une antenne…

Il faut toutefois garder à l'esprit qu'il n'y a pas qu'une seule caractéristique importante : le champ de vue (on parle de fauchée), la fréquence de prise d'image, le temps qu'il faut pour reprendre une photographie de la même zone, la capacité des capteurs à intégrer les informations de couleur, tout est important. Pour repérer un pick-up dans le désert, pas besoin d'une résolution folle, il faut plutôt la capacité à photographier des centaines de kilomètres de piste…

Le radar, un outil très efficace

Malgré ses très belles optiques, il y a beaucoup de cas pour lesquels les satellites optiques ont montré leurs limites. La nuit, par exemple, ou lorsqu'une épaisse couche nuageuse recouvre une région. Une optique aussi, on peut la tromper grâce à un camouflage ou des leurres. Les radars, plus difficiles à développer pour des applications spatiales (surtout pour des hautes résolutions) peuvent pallier ces défauts, indifférents aux heures et aux conditions météorologiques.

Plus ennuyeux encore, selon les technologies utilisées un signal radar peut « passer à travers » certains matériaux de camouflage et… même le sol. Indirectement, ces satellites sont l'un des outils qui ont mené à la réduction du nombre de silos de missiles dans les blocs de l'Est et de l'Ouest : il devenait tout simplement impossible de les cacher.

Le trio de satellites allemands SARah sera utilisé principalement pour la défense. Crédits OHB

Le renseignement électronique, domaine sous-côté.

C'est un outil redoutable, que les puissances spatiales protègent jalousement. Les satellites d'écoute électronique sont passifs, déployant leurs grandes antennes pour capter les émissions des équipements au sol. Un radar anti-aérien installé à l'entrée d'une vallée ? Bip. Un char camouflé qui fait poste de commandement ? Bip bip. Un sous-marin qui fait surface pour obtenir de nouveaux ordres ? Bip bip. La liste est longue, et va des appels passés par des terroristes imprudents aux échanges radios entre une division mécanisée et son artillerie, en passant par les communications entre une patrouille aérienne et son précieux avion ravitailleur… Bien sûr, ce ne sont pas non plus des satellites qui peuvent tout déchiffrer, mais la fusion de données avec d'autres indicateurs (comme une image d'un satellite optique ou radar, des relevés au sol ou par drone…) en fait un outil indispensable.

L'alerte avancée, les satellites de la fin du monde

Derrière un nom très passe partout, les satellites « d'alerte avancée » sont des bijoux ultimes de technologie, qui peuvent coûter près de deux milliards de dollars pièce et… Presque ne jamais servir. En effet, ils sont là pour détecter et qualifier les lancements balistiques et stratégiques dans le monde. Equipés de détecteurs infrarouges très sensibles, ils réagissent aux intenses sources de lumière et de chaleur lors des décollages, et peuvent suivre ensuite la trajectoire de ces objets pour estimer leur fonction.

Car lorsqu'un missile quitte son véhicule à roue et s'engage sur une trajectoire en parabole qui peut atterrir 12 000 kilomètres plus loin sur une grande ville (américaine, par exemple) il faut réagir très rapidement. Et au besoin, réveiller les responsables militaires et politiques qui peuvent engager une « destruction mutuelle assurée ». Poésie. Ces satellites d'alerte avancée captent aussi les lancements orbitaux autour du monde, et peuvent générer des alertes lors d'autres catastrophes comme de grands incendies, des éruptions ou des explosions accidentelles.

Un satellite SBIRS américain. Le gros détecteur infrarouge super-refroidi est en haut. Crédits Lockheed Martin

Espionner… des satellites

En vérité, ce sont plutôt eux, les satellites espions. En effet il existe certains satellites d'observation… de satellites. Quelques uns vont en orbite basse « suivre » à quelques centaines de kilomètres les plus grands et plus imposants bijoux technologiques de leurs adversaires. Pour tester un petit brouillage, par exemple, ou capter les commandes échangées entre satellite et stations au sol… ou tout simplement les observer pour comprendre leur rôle et ou leurs capacités. D'autres vont s'approcher des satellites de télécommunications en orbite géostationnaire, pour « sniffer » les signaux qu'ils relaient.

Un jeu dangereux, que plusieurs agences spatiales dénoncent… sans toujours appliquer la même bonne conduite à leurs propres satellites. La crainte bien sûr, c'est d'avoir à terme des petits satellites d'approche et potentiellement d'attaque. La France notamment, a prévu un programme de nano-satellites de défense qui seront capables d'agir dans un périmètre proche de nos unités les plus sensibles.