Véhicules électriques ou à hydrogène, drones, chariots autonomes et autres taxis sans chauffeur ou même volants semblent amenés à redéfinir les contours du transport des personnes et des marchandises. Mais qu’en est-il des sports mécaniques ?
Le lancement de la Formule E en 2014-2015 marquait sans doute un tournant. Des bolides entièrement électriques, d’abord monotypes puis aux moteurs développés par quelques-unes des plus grande marques automobiles mondiales, illustraient à eux seuls la transition vers un monde nouveau.
Courses électriques
Comme le martèlent les organisateurs, l’enjeu était tout autant de créer des événements sportifs attractifs que de renforcer la prise de conscience mondiale en matière de pollution de l’air et de changement climatique. Et la compétition, perturbée par la pandémie en 2020 mais officiellement devenue un Championnat du monde pour sa septième saison (qui a démarré cette année), entend contribuer à inciter à l’adoption globale de véhicules sans émissions nocives, tout en s’inscrivant dans une logique de développement durable. « Toutes les batteries Ion-Lithium des deux premières saisons ont été recyclées, tout comme 52% de tous les déchets générés par les événements et 100% des pneus (conçus spécifiquement par Michelin) », précise le rapport sur l’impact écologique de la saison 2018-2019.
La Formule E illustre également les progrès rapides en matière de batteries : jusqu’à la saison 4, deux véhicules par course étaient utilisés, forçant un échange de véhicule à mi-course. Mais ce n’est plus le cas depuis la saison 5 avec l’apparition de batteries plus puissantes, d’une capacité presque doublée.
Plusieurs autres courses automobiles — et même un Grand Prix de motos électriques, MotoE — entendent également montrer que l’avenir est aux véhicules électriques. En avril 2021 démarrera par exemple la première saison de Extreme E, un rallye tout-terrain utilisant exclusivement de gros SUV électriques. La voiture conçue spécialement pour cette compétition, l'Odyssey 21, pèse 1 650 kg, monte de 0 à 100 km/h en 4,5 secondes et peut escalader des pentes de 130 %.
Là aussi, outre le spectacle et la démonstration technique, l’ambition est de sensibiliser à la cause climatique, notamment par le choix de lieux emblématiques des grands enjeux écologiques : le rallye débutera dans le désert d’Arabie Saoudite, avant des étapes au Groenland ou en Amazonie.
Pilotes artificiels
Mais des voitures moins polluantes ne sont pas le seul élément notable de l’évolution de la course automobile. On le sait, de nombreuses entreprises — Waymo ou Cruise aux Etats-Unis, AutoX ou Didi en Chine, Navya en France, par exemple — s’activent à développer des véhicules autonomes, annonçant l’ère des « taxis sans chauffeur ». En toute logique, les sports mécaniques vont également tirer parti des avancées en matières d’intelligence artificielle pour créer des compétitions d’un genre nouveau.
Le concept Roborace, où s’affrontent des véhicules électriques autonomes conçus pour la course, est apparu en 2015. D’abord testée de façon limitée (sans public ou avec un nombre de voitures réduit), la compétition a démarré une ultime saison de test, dite « beta », qui se déroule depuis septembre et jusqu’en mai 2021. Le démarrage de la saison a d’ailleurs été marqué par un accident en octobre dernier, avec une voiture sans pilote se crashant sur un mur, de façon inexplicable.
L’ambition est de « développer des intelligences artificielles (IA) capables de piloter des supercars », mais aussi d’inventer des formats de course inédits. La saison beta se déroule ainsi dans son propre metaverse, un environnement mi-réel, mi-virtuel mêlant le monde physique (circuit, voitures) et éléments numériques surajoutés en réalité augmentée. Sur la piste peuvent par exemple apparaître des objets à collectionner, des adversaires 100% virtuels, ou même des conditions météo fictives (pluie, verglas), auxquels les IA doivent s’adapter en temps réel. Le tout est diffusé sur Twitch ou sur YouTube, offrant un spectacle à la croisée du jeu vidéo, de la simulation numérique et de la course automobile traditionnelle. À terme, les spectateurs pourront d’ailleurs « défier les intelligences artificielles » en modifiant eux-mêmes les conditions de course.
Au passage (et dans la vraie vie), la Roborace a déjà officialisé plusieurs records et premières mondiales : toute première course entre deux voitures 100 % autonomes (Espagne, 2019), premier résultat d’une voiture sans pilote lors du festival annuel de vitesse Goodwood (Grande Bretagne, 2019), ou encore record du monde de vitesse pour une voiture sans pilote (282 km/h).
D’autres initiatives similaires apparaissent. En octobre 2021 se tiendra le Indy Autonomous Challenge, première course de voitures autonomes tenue sur le mythique circuit d’Indianapolis, aux Etats-Unis. Dotée de 1,5 millions de $, la compétition verra s'affronter des équipes universitaires utilisant toutes les mêmes voitures (des Dallara modifiées pour l’occasion), mais pilotées par leurs propres IA.
Si certains argueront qu’une course sans pilote humain ne présente pas le même intérêt pour le spectateur, ni le même panache pour le sport, les courses robotisées relèvent d’autres formes de prouesses, plus technologiques mais néanmoins réelles et utiles. La mise au point de systèmes numériques devant réagir au millième de seconde pour relever les exigences extrêmes d’une course automobile ne peut qu’aider à imposer sur les routes des véhicules autonomes parfaitement fiables. Du reste, il n’est pas exclu de voir un jour s’affronter sur une même course des pilotes humains et des machines autonomes.
Voitures volantes
Une autre évolution, et pas des moindres, pourrait avoir une influence sur l’avenir de la course automobile : la mobilité urbaine aérienne (UAM). Une bonne quinzaine d’entreprises développent en effet des « taxis volants », en pratique des engins volants électriques à décollage et atterrissage vertical (eVTOL), susceptibles d’être utilisés en ville. Si l’expression « voitures volantes » est parfois exagérée pour désigner ces appareils qui ressemblent souvent à des avions, certains peuvent néanmoins rouler tandis que d’autres s’apparentent à des drones à passagers, moins encombrants, moins polluants et plus silencieux que des hélicoptères.
La mise en service commerciale de taxis volants, pour lesquels des aéroports urbains dédiés sont d’ailleurs déjà en construction (en Grande Bretagne, par exemple), est imminente et pourrait se généraliser à partir de 2025. Pourrait-on étendre le principe à la compétition sportive ? C’est le pari que font quelques start-ups.
En Australie, Airspeeder s'emploie depuis 2018 à mettre sur pied la première « course de voitures volantes ». Les engins sont mis au point par Alauda, une autre start-up du même fondateur, Matt Pearson, avec l’ambition de devenir des « Formule 1 des airs ». Le design-cible, baptisé MK4 et conçu par le Français Félix Pierron, est une sorte de gros drone quadricoptère à huit hélices dans lequel prend place un pilote.
Les spécifications techniques sont au diapason d’un pari « à l’intersection de l’innovation aéronautique et de l’avenir du sport mécanique » : l’engin de 400 kg, tout en fibres de carbone et propulsé par un moteur électrique de 540 ch (comparable à la puissance d’une Tesla Model S), pourra voler à 160 km/h, entre 10 et 60 mètres d’altitude.
Outre les limites inhérentes aux batteries, le défi d’organiser une course de bolides dans les airs, en toute sécurité pour les pilotes ou d’éventuels spectateurs, paraît insensé. Mais Airspeeder défend sa vision et a présenté début février 2021 un modèle simplifié, MK3, utilisant des technologies avancées (lidar, radar, vision artificielle) mais téléopéré depuis le sol. Elle assure même qu’une course avec une dizaine d’engins sans pilote aura lieu dès cette année, avant les premières courses avec pilotes humains prévues en 2022.
Une autre start-up, française cette fois, partage la même vision : MACA. L’entreprise a été créée il y a cinq mois, après trois ans de R&D, par Thierry de Boisvilliers et Michael Krollak, anciens d’Airbus, pilotes et spécialistes d’aéronautique. L’ambition est là aussi « de donner réalité aux voitures volantes en créant les premières Formule 1 volantes », mais avec au moins une différence : des moteurs fonctionnant à l’hydrogène.
Si les Australiens semblent avoir pris de l’avance, MACA, qui s’appuie sur une quinzaine de collaborateurs externes, progresse également mais de façon moins médiatisée. « Une maquette à l’échelle 1/3 vole parfaitement bien, et nous développons actuellement l'échelle 1, avec une perspective d’un premier vol fin 2021 », confie Michael Krollak, ajoutant que « le développement intègre la prise en compte des composantes réglementaires indispensables pour de tels véhicules ».
La difficulté est d’ailleurs moins technique que financière. « Toute la dynamique du projet repose sur le plan financier », résume Michael Krollak, regrettant que le processus de levée de fonds de la start-up soit « laborieux », se heurtant « à l’administration et aux logiques de rentabilité court terme qui conditionnent les choix ». « Notre projet s’adresse aux visionnaires ou aux personnes averties qui ont compris que d'ici quelques années cette discipline, les courses de voitures volantes, sera en plein essor », concluent les entrepreneurs, qui n’excluent pas un financement étranger. Avec en ligne de mire les premières courses de voitures volantes « courant 2023 ».
Au final, on comprend que la course automobile des prochaines décennies sera profondément transformée. Elle sera avant tout plus technologique mais aussi plus écologique, plus interactive, et sans doute moins formatée, à fortiori si elle évolue en course aérienne ou se mixe au virtuel. Le sport mécanique se conjugue plus que jamais à l’aune de l’innovation technologique, et le spectacle qu’il promet sera haut en couleurs — et peut-être même digne des films qui ont marqué l’histoire de la science-fiction.