« C'est ici que la magie opère ! » annonce fièrement Tim Fronzek en pénétrant dans le centre logistique de reBuy au sud de Berlin. L'énergique trentenaire est le cofondateur de ce géant allemand du reconditionnement et il ne semble pas se lasser d'en présenter les rouages. Il faut dire que la vue est impressionnante. Sur quelque 10 000 mètres carrés, reBuy traite environ 100 000 produits par jour. Téléphones portables, appareils photos, ou encore livres et DVD sont reçus, vérifiés, réparés, puis renvoyés à de nouveaux propriétaires. Avec 300 employés qui s'affairent dans l'immense halle de 5 heures du matin à 22 heures, le centre évoque une ruche à la mécanique bien huilée.
L'histoire de reBuy, c'est celle de cinq amis, étudiants dans une petite ville près de Francfort. « En 2004 l'un de nous a découvert un kiosque qui vendait des jeux vidéo d'occasion et cela marchait très bien, se rappelle Tim. Cela nous a donné l'idée d'en faire du e-commerce. » Leur première plateforme, trade-a-game.de, était née. Berlin faisant déjà figure de terre promise pour les startups, les jeunes gens y déménagent rapidement leur business et élargissent leur gamme de produits aux livres, CD et DVD. Puis, en 2009, ils se lancent enfin dans l'électronique et changent de nom pour devenir reBuy.
La distribution physique des livres et des CD touche à sa fin
« Nous vendrons sans doute des livres et des CD pendant encore 10 ou 15 ans, estime Tim. Mais étant donnée l'évolution technologique actuelle, la distribution physique de ces produits s'arrêtera. A l'avenir ils ne s'échangeront que digitalement. » Smartphones, appareils photos, montres connectées, tablettes et liseuses peuvent désormais se vendre et s'acheter sur reBuy. Si l'entreprise reprend les Macbooks, il refuse cependant les autres ordinateurs. « Sur un PC on peut changer beaucoup de choses, comme la RAM ou la carte graphique, explique Tim. Il est donc difficile d'identifier exactement le produit auquel on a à faire et de proposer une offre claire au client. Un Macbook est beaucoup plus fermé. »Que ce soit pour un livre ou une tablette, le processus reste sensiblement le même. Si un client désire vendre son vieux smartphone, il lui suffit de se connecter au site, d'indiquer le modèle et de répondre à cinq questions sur l'état de son appareil. La plateforme lui fait ensuite une offre de rachat et lui envoie un bordereau afin qu'il expédie gratuitement son téléphone vers la capitale allemande.
5 000 produits électroniques et près de 60 000 livres, CD et DVD arrivent ainsi chaque jour au centre logistique de Berlin. Ils doivent tous subir un contrôle qualité. Si cela ne prend que quelques secondes pour un livre, il faut près de 10 minutes pour évaluer les équipements électroniques. « Nous avons développé un logiciel pour accompagner nos employés dans cette étape, précise Tim. Pour chaque produit, ils doivent répondre à 35 questions. » Pour un téléphone il faut ainsi vérifier que l'appareil photo fonctionne, l'état de l'écran ou encore les marques d'usure sur le boitier.
Plus de trois millions d'objets stockés
Si l'appareil ne nécessite aucune réparation, il est nettoyé, emballé et stocké en attendant d'être acheté. Plus de 3 millions d'objets sont ainsi classés dans des étagères occupants la moitié de la superficie du centre. Cette immense bibliothèque de six mètres de haut a de quoi donner le tournis. Pourtant il n'est pas difficile de s'y retrouver. « C'est un logiciel qui contrôle tout le rangement, explique Tim. On attribue un code barre à chaque produit, et quand on l'entrepose, on scanne ce code ainsi que celui de l'étagère. » Pour préparer les commandes, les employés ont ainsi une liste affichée sur un smartphone accroché à leur poignet indiquant les emplacements des produits à envoyer. Récoltés dans des bacs plastiques, les différents articles sont ensuite placés sur un tapis roulant qui trie les commandes avant de les diriger vers l'expédition.Certains appareils électroniques nécessitent toutefois quelques réparations. Le plus souvent, il s'agit de smartphones dont la batterie ou l'écran doit être changé. Hors de question de revendre un téléphone défectueux. « Toutes les fonctions doivent être disponibles », insiste Tim. Chez reBuy, ces opérations sont réalisées dans une salle à part, débarrassée de toutes les ondes qui pourraient perturber la manipulation de ces appareils. Dennis est justement en train de démonter un smartphone pour en changer l'écran et la manipulation semble délicate. « Les composants sont collés afin de rendre l'appareil étanche. C'est très difficile de séparer les différents éléments sans les endommager », explique cet horloger des temps modernes. Par ailleurs certains constructeurs ne facilitent pas le travail de ce jeune électronicien : « La batterie d'un téléphone Samsung est facile à remplacer par exemple. Mais dans les appareils de HDC, il faut enlever tous les autres composants avant d'accéder à la batterie. » Cependant rien ne résiste aux mains expertes des réparateurs de reBuy. « Si on peut allumer un téléphone, on peut entièrement le remettre en état », certifie Tim.
Eviter le gaspillage des ressources naturelles
Une centaine d'appareils sont réparés chaque jour ici. Une autre centaine est prise en charge par le centre polonais de reBuy, et environ 200 sont remis à neuf par des prestataires externes. Tim aimerait toutefois réduire le recours aux sous-traitants : « Cela nous coûte beaucoup moins cher de changer un écran en interne, ce qui nous permet d'offrir un meilleur prix à nos vendeurs, et de faire plus de bénéfices. »Donner une seconde vie à tous ces produits n'est cependant pas qu'une affaire de gros sous. Tim tient à mettre en avant la dimension écologique de son business. « Apple par exemple sort un nouveau téléphone quasiment tous les six mois et certains veulent toujours avoir le dernier en date. Etant donné les ressources nécessaires à la construction d'un smartphone, de tels comportements de consommation ne peuvent simplement pas continuer. »
On trouve en effet environ 70 matériaux différents dans un smartphone, dont une cinquantaine de métaux souvent difficiles à recycler. L'extraction de ces minerais est responsable de la majeure partie de l'empreinte environnementale des smartphones. Selon l'Ademe, « l'exploitation des mines conduit notamment à la destruction d'écosystèmes et à de multiples pollutions de l'eau. » Par ailleurs, « les conditions des travailleurs sont souvent déplorables et violent les droits humains fondamentaux. L'extraction des « minerais de sang » (étain, tantale, tungstène et or) conduit à alimenter des conflits armés aux dépens des populations locales. » Tout ça pour que les consommateurs se débarrassent de leurs téléphones dès que les sirènes de la mode les appellent vers un modèle plus récent. 88% des Français changent ainsi leur téléphone portable alors qu'il fonctionne encore.
Une garantie de 36 mois pour rassurer les clients
Changer les habitudes des consommateurs n'est toutefois pas aisé. D'autant plus que le reconditionné a longtemps souffert d'un a priori négatif portant sur le marché de l'occasion en général. « Nous devons faire comprendre aux gens que les produits de seconde main ne sont plus ce qu'ils avaient l'habitude de trouver sur les marchés aux puces : des objets en mauvais état et un peu sales. Chez nous ils peuvent avoir des appareils 100% fonctionnels et qui peuvent paraître comme neufs. » Afin de rassurer les clients sur la qualité de ses produits, reBuy a même étendu sa garantie de 18 à 36 mois.L'intérêt pour les produits reconditionnés ne cesse donc d'augmenter, et pas seulement en Allemagne. En 2016 reBuy a commencé à vendre des appareils électroniques d'occasion en France et aux Pays-Bas. Dans l'Hexagone, le succès a été immédiat. « Le marché est en pleine expansion, se réjouit Laëtitia du Paty, directrice marketing France chez reBuy. Selon une étude GfK, 2 millions de smartphones reconditionnés ont été vendus en France en 2016, ce qui représente 10% des ventes totales. »
L'entreprise allemande est cependant loin d'être la seule sur le créneau. ReCommerce, associé aux opérateurs de téléphonie mobile, revend des smartphones depuis 2009. Une myriade de jeunes startups se lancent aussi dans l'aventure, comme BackMarket ou Certideal. Mais la concurrence ne fait pas peur à Laëtitia : « C'est plutôt une bonne nouvelle, cela montre que la demande est là. Par ailleurs, aucune entreprise ne fait exactement la même chose que reBuy et nous pouvons toujours nous démarquer par la qualité de nos produits et la durée de notre garantie. »
Avec une croissance de 25% en 2017, 500 employés et plus de 109 millions d'euros de ventes, reBuy a définitivement quitté la catégorie des startups. Depuis 2009, l'entreprise a vendu plus d'1,7 millions d'appareils électroniques et cinq millions de clients ont utilisé ses services. Mais ce n'est que depuis l'année dernière qu'elle affiche un EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) positif. De quoi réjouir Tim et convaincre les investisseurs. ReBuy a ainsi levé 21 millions d'euros en mars dernier. Ces fonds vont avant tout servir à conquérir le marché européen. Après la Grande-Bretagne en début d'année, les dirigeants de l'entreprise envisagent d'ouvrir des plateformes pour l'Espagne et l'Italie dans les prochains mois.