Satellite

Et si nous pouvions puiser l’énergie solaire plus près de sa source d’origine ? Et si des satellites solaires diffusaient de l’électricité à la surface de la planète depuis l’espace ?

Moonshots est une rubrique de Clubic présentant de façon résolument optimiste des technologies innovantes et futuristes, susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes de notre monde à moyen ou long terme. Idées improbables, innovations de rupture et solutions crédibles : de quoi faire (un peu) rêver à un monde meilleur, un mercredi sur deux.

L’équation est facile à comprendre : le Soleil diffuse de façon continue une énergie considérable, mais seule une petite partie de cette énergie peut être facilement convertie en électricité à la surface de la Terre. D’abord, environ 30% du rayonnement solaire est réfléchi (notamment par les nuages, mais aussi par l’atmosphère) et ne parvient donc pas jusqu’à nous. Ensuite, du fait de la rotondité de la planète, de sa rotation quotidienne et de son relief, seule une partie de sa surface est ensoleillée à un instant donné, tandis qu’une large part des endroits éclairés (océans, montagnes...) se prêtent mal à l’exploitation de l’énergie reçue.

Une solution pour s’affranchir de ces contraintes (et tirer parti de cette énergie propre et gratuite disponible à chaque instant) serait de placer des satellites en orbite, dans le seul but d’absorber le rayonnement solaire pour le convertir en énergie « envoyée » sur Terre.

© Futurism
© Futurism

L’idée paraît tout droit sortie d’un roman de science-fiction — et c’est quasiment le cas : en 1941, des romanciers comme Clifford Simak ou Isaac Asimov avaient imaginé et décrit des satellites qui recueillent l'énergie solaire dans l'espace pour la renvoyer ensuite vers la Terre. Une vingtaine d’années plus tard, en 1968, l’ingénieur d’origine tchèque Peter Glaser donne une crédibilité scientifique au concept, et il est considéré aujourd’hui comme l’inventeur des « centrales solaires spatiales ». Sur la base de son design théorique, le principe d’installer des panneaux solaires flottant dans l’espace fera l’objet de nombreux travaux de recherche dès les années 1970. 

Depuis quelques années, l’idée paraît de plus en plus réaliste et, même si l’on parle là de projets à horizon de plusieurs décennies, les choses semblent s’accélérer. Pour beaucoup d’experts, « l’électricité solaire spatiale » (ou SBSP, Space-Based Solar Power, et parfois SSPS pour Space Solar Power Systems) est une vraie voie d’avenir.

Il faut noter que le sujet ne doit pas être confondu avec une autre possibilité, encore plus lointaine, qui consisterait à installer des satellites en orbite autour du Soleil. 

Chine en tête

Pour la Chine, la SBSP est non seulement logique, mais pourrait d’être la clé de voute de l’avenir au plan énergétique.

En 2010, l’Académie chinoise des technologies spatiales (CAST) publie un étonnant article scientifique, sans doute pas médiatisé à sa juste importance. Il explique d’emblée que « l’État a décidé que l'énergie provenant de l'extérieur de la Terre, telle que l'énergie solaire ou provenant d'autres ressources énergétiques spatiales, sera l'orientation future de la Chine ». Et il décrit comment la SBSP et les satellites électriques solaires (SPS) vont permettre à la Chine d’assurer un développement énergétique durable, de s’affranchir des risques inhérents aux catastrophes naturelles (comme les violentes tempêtes de neige de 2008 qui avaient littéralement gelé une partie des installations électriques du sud du pays), et de retenir et cultiver les talents. Le document n’hésite d’ailleurs pas à évoquer un plan d’une ampleur comparable au programme Apollo, synonyme du leadership technologique américain tout au long de la guerre froide.

Pour finir, la CAST fournit un plan de route détaillé en matière d’énergie solaire spatiale, qui laisse peu de doute quant aux ambitions chinoises :

« En 2020, nous terminerons les tests industriels de la construction en orbite et des transmissions sans fil. En 2025 sera présentée la première démonstration de satellites électriques solaires de 100 kW en orbite basse. En 2035, des satellites électriques solaires de 100 mW seront en capacité de production électrique. Enfin, en 2050, le premier système d’électricité solaire spatiale commercial sera opérationnel en orbite géostationnaire ». « De façon croissante, le développement durable sera assujetti à la sécurisation de l'énergie solaire en tant que ressource énergétique illimitée, propre et réutilisable du futur ».

Un peu plus tard, Wang Xiji, l’un des principaux architectes de la toute première fusée chinoise (Long March 1), expliquera en 2016 toute la hauteur de l’enjeu : « Le monde paniquera lorsque les combustibles fossiles ne pourront plus soutenir le développement humain. Nous devons maîtriser la technologie d'énergie solaire spatiale avant que cela ne se produise… Quiconque sera le premier à détenir cette technologie sera susceptible de s’accaparer le futur marché de l'énergie. C’est donc d’une importance stratégique capitale »

En finir avec ça ?

Intérêt américain

Bien que les Etats-Unis semblent tarder à s’emparer du sujet dans les années 2010, il suscite là aussi un intérêt palpable, tant des civils que des militaires. On trouve donc une abondante littérature consacrée à l’électricité solaire spatiale outre-Atlantique.

En 2014, le Département de l’Energie aux Etats-Unis décrit par exemple la SBSP comme une « possibilité attrayante » et détaille les deux principaux moyens envisageables pour envoyer sur Terre l’énergie collectée par de futurs satellites solaires : soit des micro-ondes, soit des lasers. Dans le premier cas, les satellites seraient géostationnaires (environ 35 000 km au dessus de la surface terrestre) et diffuseraient des flux d’ondes à destination d’une antenne massive (3 à 10 km de diamètre) installée au sol. Dans le second cas, il s’agirait de flottes de satellites beaucoup plus petits et légers, installés en orbite basse (400 km au-dessus de la surface terrestre) mais diffusant une quantité d’énergie bien moindre. « De nombreuses technologies existent déjà pour rendre tout cela possible, et beaucoup d’autres ne sont pas loin derrière », concluait-on, rappelant toutefois que le principe demeure à « horizon lointain ».

Cinq ans plus tard, en 2019, un document du laboratoire de recherche de la marine américaine (US Navy) explore le sujet en profondeur. Tout au long d’une bonne centaine de pages, il évalue les « opportunités et défis du solaire spatial pour des installations distantes », décrit toutes les techniques envisageables (tant pour les satellites que pour les récepteurs terrestres et les moyens de diffuser l’énergie) et passe même en revue une vingtaine de concepts imaginés ou testés partout dans le monde depuis plusieurs décennies. 

Si le document de la Navy traite avant tout des besoins militaires, il confirme que le sujet n’est plus du tout du registre de la science-fiction. « Des avancées clés dans la production de masse des engins spatiaux, la conversion de puissance, les matériaux légers, les lanceurs commerciaux réutilisables et la robotique spatiale au cours des dernières années suggèrent qu'une étude approfondie des possibilités en matière d’énergie solaire spatiale est justifiée », lit-on. Et si le texte conclut « qu’il demeure d'importants défis technologiques, économiques, juridiques/politiques, opérationnels/organisationnels » pour déployer des satellites solaires, ses auteurs enjoignent à agir. « Il est temps pour le ministère de la Défense de mener des investissements mesurés » sur le sujet, écrivent-ils, précisant six domaines à investiguer, à commencer par la collecte d’énergie depuis l’espace et les technologies de transmission et de réception d’énergie à distance.

Course au solaire

L’idée fait donc son chemin, et on assiste bel et bien à une course internationale à l’électricité solaire spatiale. Au cours des deux dernières années, les choses se sont précisées.

Conformément à son programme, la Chine a commencé la construction de sa première centrale d’énergie solaire spatiale en 2019. Située près de la ville de Chongqing, au Sud du pays, l’installation s’étend sur 13,3 hectares et vise notamment à « étudier les technologies de transmission spatiale et les effets de la diffusion de micro-ondes depuis l’espace sur les organismes vivants ». Dans un premier temps, les recherches utilisent des ballons équipés de panneaux solaires, attachés par des câbles, flottant dans l’air à 1 000 mètres d’altitude et diffusant des ondes converties en électricité au sol. « Si tout se passe bien, une centrale solaire chinoise sera mise en orbite à environ 36 000 kilomètres au-dessus de la Terre et commencera à produire de l'électricité avant 2040 », assurait alors Xie Gengxin, directeur de l’Institut de recherche d’innovation collaborative civile et militaire de Chongqing.

Le module solaire américain, actuellement dans l'espace - © U.S. Naval Research Laboratory

Côté Américain, les choses avancent également. En février 2021, CNN rapporte que la US Navy a déjà lancé un satellite qui collecte actuellement l’énergie solaire dans le but de la diffuser sous forme d’ondes à destination de récepteurs terrestres. Lancé en mai 2020, le satellite est de la taille « d’une grosse boite à pizza », équipé d’un panneau solaire carré de 30 cm de côté et d’une antenne, le tout susceptible de produire 10 W d’électricité — de quoi alimenter un iPad. Selon la chaîne, l’envoi d’électricité par le satellite n’a pas encore été testé, mais ne devrait pas poser problème compte tenu des progrès en matière d’électricité sans fil. A terme, l’idée est d’agréger des douzaines de ces panneaux pour former des sortes de centrales solaires flottant dans l’espace. « Certains imaginent une capacité solaire spatiale dépassant les plus grandes centrales électriques terrestres d'aujourd'hui — plusieurs gigawatts — donc suffisante pour alimenter des villes », commentait alors Paul Jaffe, co-responsable du projet de la Navy.

Aux efforts nationaux s’ajoutent aussi des initiatives privées. En Californie, Solaren est entièrement dévolue à « concevoir, développer, intégrer et exploiter des centrales solaires spatiales, ainsi qu’à la commercialisation d'électricité solaire spatiale propre ». La start-up, formée par d’anciens hauts responsables de l’industrie aérospatiale, annonçait en 2019 vouloir, « dès le  milieu des années 2020 », lancer un prototype de centrale solaire de classe mégawatt en orbite terrestre géostationnaire. « Cette première centrale solaire spatiale au monde démontrera sa capacité à fournir une énergie sûre et efficace à partir de l'espace », avant de déployer d’autres centrales « qui fourniront des centaines ou des milliers de mégawatts d'électricité aux clients terrestres du monde entier ».

© Solaren

Comme le résume en 2020 le Center for Space Policy and Strategy, un think tank indépendant dédié à l’analyse et à la recherche en matière de politique spatiale, des projets plus ou moins avancés en matière d’électricité solaire spatiale sont menés par toutes les grandes puissances, y compris Japon, Russie et Inde. 

En Europe, l’année dernière, le Conseil européen pour la recherche attribuait une bourse de 2,5 millions d’euros à un laboratoire de l’Université de Glasgow en Ecosse pour avancer sur le sujet. Baptisé Solspace, et s’étalant de décembre 2020 à fin 2025, le projet a pour but de « concevoir et développer une stratégie permettant d’améliorer la fourniture de services mondiaux d'énergie propre à l'aide de réflecteurs solaires ultra-légers placés en orbite ». En septembre 2020, l’Agence spatiale européenne (ESA) a également lancé un appel à projets destiné à recueillir « de nouvelles idées en matière d’électricité solaire depuis l’espace ». Parmi les 85 idées soumises, 16 ont été retenues début 2021 comme « nouvelles », dont quatre qui pourraient faire l’objet d’un co-financement de recherche.

Le principe de centrale solaire spatiale, expliqué par l'Agence spatiale européenne — © ESA

Vers l’électricité spatiale

Tout porte donc à croire que l’énergie solaire spatiale pourrait devenir réalité dans les 20 ans qui viennent.

Bien sûr, le principe a ses détracteurs et ses sceptiques. Parmi les arguments invoqués figurent le coût de cette électricité produite depuis l’espace. Si toutefois le procédé était techniquement possible, les investissements à consentir pour qu’il se généralise et passe à l’échelle pourraient conduire à un coût du kilowatt exagérément élevé, comparé à l’électricité provenant de multiples sources d’énergie (renouvelable ou non) déjà disponibles sur Terre. 

Un autre argument tient aux effets négatifs potentiels, en particulier sur la santé (mais aussi sur la faune et la flore), de ces « flux d’énergie » massifs envoyés depuis l’espace. Qu’il s’agisse d’antennes spatiales ou de puissants laser, le principe a de quoi affoler les inquiets de la prolifération des ondes dans l’espace public, et même alimenter les théories du complot. C’est d’ailleurs déjà le cas : en janvier dernier, un billet très partagé sur Facebook avait accusé Solaren d’avoir directement provoqué, « via les lasers de ses satellites solaires », les dramatiques incendies de Californie de 2018. Une information facilement démentie par l’entreprise — et pour cause, elle n’a encore jamais lancé le moindre satellite...

© ESA

Pour autant, les bénéfices potentiels de l’électricité spatiale sont bien réels. « Cette technologie présente plusieurs avantages par rapport à l'énergie solaire conventionnelle », résume le site Power Technology. Le premier tient à la quantité d’énergie, en s’affranchissant du temps et de  la météo : « Au cours d'un mois d'hiver moyen en Europe, seulement 3% de la lumière solaire atteint la Terre, tandis que des satellites dans l'espace pourraient collecter de l'énergie pendant 99% de l'année ». Et à cela s’ajoute le fait que la source d’énergie utilisée, non filtrée par l’atmosphère, est plus forte. Certains experts estiment que la SBSP pourrait générer « 40 fois plus d'énergie que l'énergie solaire terrestre ».

« Un autre avantage est de contourner le problème du stockage d'énergie car le flux continu d'énergie solaire permettrait à l'énergie d'être diffusée directement en cas de besoin », poursuit Power Technology. C’est là un argument de poids, également mis en avant par l’expert de la Navy Paul Jaffe : « Vous pouvez envoyer du courant à Chicago et une fraction de seconde plus tard, si vous en avez besoin, l’envoyer plutôt à Londres ou à Brasilia ». Disposer de vastes quantités d’énergie n’importe où dans le monde pourrait ainsi un jour ne relever que d’un simple réglage, comme l’orientation d’une antenne spatiale.

Au final, il paraît difficile de ne pas voir dans l’énergie solaire spatiale une solution très prometteuse pour l’avenir — et peut-être même « la » solution pour une énergie propre et abondante. A tout le moins l’idée devrait conduire à élargir le débat sur l’énergie solaire, qui ne devrait pas se limiter à la question de l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits ou dans les champs.