Et pour cause, le co-fondateur et directeur de Qobuz, Yves Riesel, a fait toute sa carrière dans le domaine de la musique, indépendante qui plus est. Son parcours répond à une problématique de distribution et il est en outre vice-président du SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique), qui défend les intérêts de l'industrie du disque.
Clubic a donc profité du lancement de la nouvelle version de Qobuz pour l'interroger.
Vous disiez hier matin qu'il y a sur le marché de la musique dématérialisée le mastodonte iTunes d'une part, et les autres d'autre part. Que pensez-vous de ce pionnier ?
Avec l'iTunes Store, Apple a rendu un service au métier de la distribution de musique dématérialisée en fixant un prix, 1 euro par titre ou 10 euros par album, qui n'est pas idiot.
Apple conçoit de bonnes machines mais ce ne sont pas des musiciens. Ils n'ont pris aucun soin avec ce qu'ils vendent et n'ont pas éduqué l'industrie du disque en la tirant vers le haut. Par conséquent les maisons de disques n'ont pas fait d'effort sur le point de la qualité de la musique. Steve Jobs écoute les morceaux de sa jeunesse, au titre et non à l'album, c'est une approche différente de la notre.
Qobuz arrive effectivement sur le marché avec un point distinctif, le téléchargement de musique compressée sans perte. Comment êtes-vous accueillis par les maisons de disques ?
Nous entretenons de très bonnes relations avec les maisons de disques, notre passé dans le domaine de la musique et notre énorme respect pour les producteurs leur plait et leur inspire la sympathie.
Mais certains refusent de nous donner l'autorisation de vendre de la musique compressée sans perte, pour des raisons ridicules, alors que nous avons les fichiers et qu'il suffit de tourner un bouton. C'est complètement stupide de m'empêcher de faire mon travail, j'ai créé mon créneau original pour l'instant et je ne vois pas en quoi j'embête mes concurrents.
D'autres nous demandent de vendre plus cher la musique compressée sans perte. Pourtant un album physique et un album dématérialisé c'est la même chose. Nous avons d'ailleurs enregistré hier un nouveau record avec le nouvel album de Keith Jarrett, dont plus de trois quarts des ventes de la journée se sont faites au format Studio Masters, encore meilleur que le CD. Les gens aiment.
Comment un distributeur comme vous compte-t-il endiguer le piratage ?
La meilleure chose qu'on puisse faire pour combattre le piratage c'est d'apporter une réponse très satisfaisante au consommateur. Nous ne sommes pas une énième plateforme calquée sur iTunes. Si on veut écarter le problème du téléchargement illégal, il faut mettre les gens dans de bonnes conditions.
Mais sur un point invraisemblablement simple comme celui de nous envoyer la pochette d'un disque, le même fichier PDF que la maison de disques a envoyé à son imprimeur, c'est encore un vrai combat avec certaines majors.
Qu'est-ce qui différencie finalement une "offre" pirate proposant format non compressé et livret comme il en existe et la vôtre ?
Et bien deux choses. La première c'est que la nôtre rémunère artistes et producteurs, alors que les pirates sont des voleurs. La seconde, c'est que cela correspond, la preuve, à des besoins qui existent et ne sont servis actuellement que par l'illégal, ce qui est un comble. Il reste que nos contenus, eux, sont exclusifs.
L'Hadopi, qui ne couvre pour le moment que le peer-to-peer, est-elle une solution ?
Hadopi n'est pas bien pire qu'un radar, et je connais des gens qui ont des systèmes anti-radar... Après cela, il ne restera plus que le filtrage et les miradors comme à Cuba et en Chine, il parait que cela marche très très bien !
On dit que la musique dématérialisée ne rapporte rien aux ayants droits, en particulier en streaming avec les offres gratuites de Deezer ou Spotify ?
La répartition des revenus est une problématique qui ne regarde que la maison de disque et son artiste, pas la plateforme. En tant que distributeur nous versons ce qu'on doit aux maisons de disques, en fonction du nombre de ventes, et elles se chargent de la répartition.
Je suis moi-même directeur d'une maison de disques et à ma connaissance, les contrats sont les mêmes pour le marché physique et le marché dématérialisé. Le partage est donc parfaitement identique pour l'un comme pour l'autre. La musique dématérialisée est vendue moins chère et pour l'heure les quantités sont moindres, mais je ne vois pas ce que du point de vue du modèle les artistes perdent à être distribués sous forme dématérialisée dans les contrats. C'est une fable.
En revanche des machins comme Deezer qui offrent de la musique gratuitement, alors que tout le monde sait qu'il faut favoriser les abonnements payants, et veulent inventer la poudre de perlimpinpin sont une catastrophe ambulante pour les revenus des producteurs et des ayants droits.
Yves Riesel, merci.