Vue d'artiste du télescope Spitzer, qui fut actif durant presque 17 ans. Crédits NASA
Vue d'artiste du télescope Spitzer, qui fut actif durant presque 17 ans. Crédits NASA

S'il n'a jamais été l'équivalent de célèbre son cousin Hubble pour les observations en infrarouge, le télescope Spitzer s'est illustré en plus de 16 ans de révélations sur l'univers invisible des nuages de gaz, des naissances d'étoiles et des exoplanètes.

L'infrarouge profond, plus facile depuis l'espace ?

En plein essor de l'astronomie au XXè siècle, les scientifiques ont rapidement été limités dans leurs observations par notre atmosphère. En effet, dans le champ visible elle créé une distorsion qu'il est parfois possible de corriger. Mais dans d'autres bandes de fréquence, les mesures sont très dégradées. C'est le cas de l'infrarouge profond : l'atmosphère génère comme un nuage, un bruit de mesure constant. Aussi lorsque les agences spatiales ont commencé à penser des satellites suffisamment performants pour observer les étoiles, l'observation en infrarouge était un sujet important. Le premier télescope du genre est une collaboration, nommée IRAS et décolle en 1983 pour observer l'ensemble du ciel en infrarouge. Sans surprise, la moisson scientifique est impressionnante. La NASA, qui a déjà engagé un projet de grand télescope infrarouge nommé SIRTF (Space Infrared Telescope Facility) peut accélérer ses travaux de développement.

L'agence américaine, qui prépare un programme de quatre « grands observatoires » en orbite capables de couvrir une grande part du spectre de mesure, disposera donc d'un télescope pour les infrarouges profonds. Mais il ne sera lancé qu'après Hubble, Compton et Chandra.

Dernières touches de préparation avant le décollage de Spitzer. Son miroir central mesure 85cm de diamètre. Crédits NASA
Dernières touches de préparation avant le décollage de Spitzer. Son miroir central mesure 85cm de diamètre. Crédits NASA

Pas de navette pour Spitzer !

Spitzer (qui ne prendra le nom de l'astronome Lyman Spitzer qu'une fois en opérations) n'atteindra l'orbite qu'en 2003, après quasiment 20 ans de développement ! Mais l'aventure est compliquée, car le concept change plusieurs fois. A l'origine, il devait être un observatoire en orbite terrestre, capable d'être amené et rapporté par la navette spatiale. Puis après l'échec (1986) et les surcoûts de cette dernière, le concept est revu pour être « simplement » déposé en orbite et réparé sur place. Enfin, dans un dernier changement, il est décidé d'opérer ce futur grand télescope hors de l'orbite terrestre : la NASA utilisera une fusée Delta 2 pour l'envoyer sur son orbite très particulière. Car Spitzer ne tourne pas autour de la Terre, mais autour du Soleil. Il « suit » la Terre à presque 150 millions de kilomètres de notre planète. Loin de ses interférences électromagnétiques et de la chaleur de son atmosphère, loin de la Lune, dans un environnement parfaitement… Vide.

Pour un télescope infrarouge, c'est l'idéal. Tout objet qui n'est pas à une température égale au zéro absolu émet ou réfléchit des ondes détectables en infrarouge, dont l'extrême majorité est invisible à l'œil nu. Pour ce faire, on utilise donc des capteurs, qui sont eux-mêmes refroidis à l'extrême, pour observer ces ondes. Les résultats obtenus sont fascinants, notamment pour caractériser les milieux gazeux qui traversent les galaxies, se densifient en formant des « nurseries » d'étoiles, s'éloignent comme un gigantesque feu d'artifice autour des Supernova… Mais plus encore que la beauté des résultats, ce sont des avancées pour bien caractériser les étoiles, pour observer les exoplanètes ou la queue des comètes, et pour mieux comprendre les anneaux de Saturne (Spitzer va en détecter de nouveaux) et même mieux appréhender les liens entre des galaxies distantes de nous, parfois de milliards d'années.

Une "nurserie d'étoiles" au milieu d'une nébuleuse gazeuse de la constellation Perseus. Crédits NASA/JPL-Caltech/Harvard-Smithsonian CfA

A la recherche des exoplanètes

Spitzer a pu observer des systèmes stellaires jeunes, faire progresser la science pour mieux appréhender la naissance même des planètes grâce aux jeunes accrétions… Et puis, au cours de sa mission étendue, a été utilisé pour observer des étoiles afin de détecter (ou de confirmer la détection) des exoplanètes. Grâce à son optique et son instrument restant, il peut utiliser la méthode des transits sur des étoiles particulièrement lointaines, parfois magnifiées par un effet de lentille gravitationnelle. Ce qui permit même de détecter une exoplanète à peine plus grande que la Terre, en orbite d'une étoile… à 13000 années lumières de notre propre Soleil. Ceux qui se rappellent de la découverte des 7 planètes autour de l'étoile TRAPPIST-1 se souviennent peut-être que Spitzer a détecté 5 d'entre elles…

Ce qui reste de la Supernova Tycho, vu en infrarouge par le télescope Spitzer. Crédits MPIA/NASA/Calar Alto Observatory

Une double histoire de gaz

En 2009, la mission de Spitzer se termine, après 6 ans en orbite… Et pourtant la NASA va le garder actif jusqu'à la fin du mois de janvier 2020 ! Cela tient avant tout au refroidissement du télescope, indispensable pour faire fonctionner ses équipements. Spitzer a épuisé sa réserve d'hélium liquide, et la mission est un succès. Mais en réalité à -243°C à l'ombre au cœur de l'instrument, l'un des trois instruments (IRAC) est encore capable de fournir des résultats scientifiques optimaux pour deux des quatre longueurs d'ondes pour lesquels il était conçu. Il faut encore convaincre l'administration de continuer la mission ! Les équipes ont été plusieurs fois contraintes de montrer qu'elles pouvaient fonctionner en abaissant leur budget et en maximisant la qualité des courts échanges avec Spitzer, qui ont lieu grâce au coûteux réseau interplanétaire « Deep Space Network ».

Spitzer n'aura pas vraiment de successeur, si ce n'est le gigantesque télescope orbital James Webb à partir de 2021, qui observera l'univers en infrarouge proches. D'autant plus qu'il faudra du temps pour qu'il soit actif… Et que les équipes scientifiques du monde entier se battent déjà pour obtenir un futur « temps d'observation » pour leurs projets de recherche.

Vus en infrarouge, des "bulles" de gaz s'étendent vers l'infini. Crédits NASA/JPL-Caltech/University of Wisconsin

Observer ou communiquer…

La difficulté de Spitzer au final tiendra plus à son éloignement et à son coût qu'à une véritable capacité du télescope. Il lui restait en effet de quoi continuer au minimum plusieurs mois sa mission. Mais sa position sur la même orbite que la Terre n'est pas très stable : Spitzer dérive, et s'éloigne chaque année d'environ 15 millions de kilomètres. Pas bien grave lorsque la mission ne doit durer que six ans, mais plus ennuyeux après 17 années de service ! En plus d'avoir peu de temps de communication, les équipes scientifiques doivent, du coup, jongler avec l'orientation du télescope : dans un sens pour faire ses mesures infrarouge, dans un autre pour communiquer puis vite, vite, réorienter correctement pour bien aligner les panneaux solaires, avant que les vieilles batteries ne rendent l'âme. Une routine de plus en plus complexe… Quand d'autres véhicules peuvent s'acquitter de l'observation des exoplanètes (comme TESS). Le 29 janvier, les équipes ont pu lui adresser un dernier au-revoir en envoyant les commandes pour qu'il s'éteigne. Il aura marqué l'astronomie.