Arrivé sur la planète rouge le 6 août 2012, le rover Curiosity a fêté la semaine dernière ses 3 000 sols (jours martiens) d'activité. L'occasion de revenir sur son impressionnant parcours et de se poser simplement la question : que fait vraiment Curiosity ?
Notez qu'en bonus, il a acquis d'excellentes capacités pour les selfies.
Rétrospective : le grand bilan spatial de 2020
Un terrain de jeu absolument unique
Pour comprendre les activités de Curiosity sur Mars, il faut remonter un peu en arrière. Au début des années 2000, la NASA envoie sur la planète rouge deux petits rovers, Spirit et Opportunity. Ces derniers ont rapporté une moisson scientifique absolument colossale, mais le cœur de leur mission était de suivre « la trace de l'eau ». En cela, ils ont parfaitement atteint leur but, prouvant qu'il y a plusieurs milliards d'années, une part significative de Mars était recouverte d'océans, de cours d'eau et de lacs.
Curiosity pousse le curseur plus loin : il s'agit d'un véritable laboratoire sur roues, les capacités d'analyse ont été décuplées (d'où son nom, d'ailleurs, de « Mars Science Laboratory »), et il reçoit plusieurs objectifs. Le plus important d'entre eux est de répondre à la question « Mars a-t-elle un jour été une planète habitable ? ». Pour cela, il lui faut étudier la géologie et la chimie au sein du cratère de Gale (90 km de diamètre), que l'on soupçonnait déjà avant 2012 d'avoir hébergé un grand lac.
Agence de Voyage : Mars
Curiosity est équipé de multiples instruments, dont des caméras pour la navigation mais aussi pour l'étude des roches, d'une station météo, d'un dispositif de mesure de radiations, et de spectromètres de différents types pour analyser la matière : un à courte distance, un autre monté sur le mat qui fonctionne avec un laser qui brûle et vaporise la matière, et enfin plusieurs autres spécialisés au cœur du rover dans le dispositif CheMin et le four SAM.
Le laboratoire a la difficile tâche de trouver, en plus des traces d'eau, celle de minéraux qui permettraient de prouver que la vie était un jour possible dans le cratère de Gale, au pied du titanesque Mont Sharp qui en occupe tout le centre. Carbone, hydrogène, matériaux azotés, oxygène, phosphore, sulfure… Autant de « briques élémentaires » qui donnent des indices et de rares traces de possible vie après des centaines de millions d'années de sécheresse, de vent, et de bombardement irradiant (que l'on veut, au passage, mesurer avec précision en vue de futures aventures habitées).
On le sait moins, mais Curiosity est aussi très bien équipé pour observer la météorologie martienne au niveau du sol. Force du vent, composition de l'atmosphère, luminosité, étude des nuages, température, variations saisonnières, les mesures sont multiples et permettent de comprendre cet aspect bien dynamique pour une planète « morte » en terme biologique.
Une étude progressive du terrain
Pour pouvoir se poser sans trop de risques au sein de Gale, les équipes américaines du laboratoire JPL ont visé la plaine qui s'étend au-delà des contreforts du Mont Sharp. Curiosity s'est posé dans une région appelée Bradbury, et a passé la majeure partie de sa première année terrestre de mission à la croisée entre trois zones géologiques à côté, appelée Yellowknife Bay. Le plan scientifique du rover a été établi des années à l'avance, mais au fur et à mesure qu'il avance et que sa « bonne santé » le lui permet, les équipes passent du temps à faire leurs recherches dans certaines zones, n'hésitant pas à parfois revenir quelques dizaines de mètres en arrière. Toutefois, on peut diviser la mission en trois grands actes, qui correspondent aux grandes régions étudiées par les scientifiques.
La première, c'est ce qu'on appelle la phase d'approche : la traversée du terrain « plat » (en réalité pas trop) qui s'étend jusqu'à une zone de vallées et de grandes étendues sableuses qui forment les contreforts du Mont Sharp. Curiosity y passera deux ans, va y effectuer des forages, prouver qu'en effet le « fond » du cratère de Gale était un lac de dépôt, identifier des roches érodées par de l'eau. Le rover permet de prouver la présence de perchlorates, de différencier les roches de plusieurs lits de rivières identifiés depuis l'orbite, de montrer qu'il y a des sulfates de calcium. Autant d'éléments qui tendent à montrer qu'il y a eu des conditions propices à la vie (sans toutefois prouver qu'elle a pu avoir lieu).
Une seconde phase a consisté à traverser, difficilement, la zone d'accès à la base du Mont Sharp. De grosses contraintes techniques sont présentes (de fortes pentes, des bancs de sables mous, des roches capables d'abîmer fortement les roues), mais en deux ans et demi, le rover avance au milieu de paysages extraordinairement riches en termes scientifique. Il montrera la présence de vent et ses effets sur les dunes, des conditions au sol qui prouvent que la zone fut un temps un delta alluvionnaire très irrigué, laissant des inclusions d'hématite, de sulfates et d'autres minéraux dans le sol. Curiosity trouve des roches chargées en silice, montre des sables chargés d'olivine, et réussit à grimper sur l'escarpement (ou la colline) Vera Rubin. La zone est un petit paradis géologique, avec des sédiments en millefeuilles taillés par les vents. Une publication annonce la présence de thiophènes, des composés organiques que l'on retrouve sur Terre dans le charbon et le pétrole, et dont l'origine pourrait être biologique (impossible cependant de le prouver). Un marqueur de plus vers des conditions d'habitabilité passée…
Lorsqu'il descend de la crête Vera Rubin en janvier 2019 pour s'engager dans une vallée argileuse, Curiosity a déjà amplement réussi sa mission initiale. Toutefois ça ne va pas s'arrêter là, puisqu'il dispose de temps pour s'arrêter et réaliser plusieurs campagnes de forage. Un véritable festival, pour lequel le rover s'arrête toutefois entre 4 semaines et 2 mois, le temps de boucler toutes les activités scientifiques. Les argiles occupent encore le quotidien des équipes scientifiques en ce début 2021 : après un détour vers un plateau qui fut peut-être un jour la berge du lac de Gale (le pédiment Greenheugh), le robot est en route vers l'Est et une zone que les planétologues et géologues espèrent riche en sulfates. Pour Noël 2020, il étudiait le banc des Sables de Forvie, et c'était de toute beauté.
En plus d'avoir tourné ses instruments vers le sol, Curiosity a aussi enregistré les niveaux de radiations, que ce soit au cours de son trajet vers Mars ou à la surface. Des niveaux qui ne sont pas pour réjouir les amateurs de la future colonisation : les niveaux sont hauts, et nécessiteraient des habitats protégés ou enfouis dans le sol pour éviter l'exposition à des doses dangereuses pour l'humain moyen. Il a pu observer la comète Siding Spring en 2014, documenter depuis la surface la terrible tempête de poussière qui a recouvert l'ensemble de Mars (et signé l'acte final du rover Opportunity) en juin 2018… Et bien sûr, il a mesuré des « pics » de quelques jours de méthane qui font encore débat aujourd'hui, car malgré les mesures ces dégagements n'ont jamais pu être confirmés depuis l'orbite, même depuis l'arrivée de l'orbiteur européen ExoMars TGO dont c'est la spécialité.
Un challenge technologique
Il ne faut pas oublier non plus que Curiosity est le plus gros rover déposé à la surface de Mars. Son existence même est une expérience en soi, ainsi que son voyage (la grue « Skycrane » utilisée pour l'atterrissage est une merveille de technologie) et sa résistance face aux éléments. En 3 000 sols, les équipes au sol ont appris à répondre à des centaines, sinon des milliers d'erreurs, et ces apprentissages aident à mieux concevoir les rovers d'aujourd'hui, les logiciels et les équipements de demain.
Ses roues (on l'évoque souvent) ont subi dans les premières années des dommages significatifs, ce qui a mené non seulement à en prévoir un modèle différent sur son cousin Perseverance, mais aussi à adapter le programme de gestion automatisée de la trajectoire du robot, qui tient compte du terrain (également à apprendre à se déplacer en arrière à l'occasion). Ses deux ordinateurs de bord ont eu des problèmes à quelques années d'écart, il a eu des soucis avec de la poussière, des ennuis de court-circuit au niveau du bras et de sa perceuse à percussion, des problèmes d'adhérence, de mauvaise communication avec la Terre… Toute une panoplie de challenges que les américains, désormais très expérimentés, peuvent aborder calmement.
Fonctionner après 3 000 sols, c'est aussi une assurance incroyable pour le programme scientifique, non seulement de Curiosity mais de ses successeurs. En 8 ans et demi, le rover a parcouru pratiquement 24 kilomètres (et 350m de dénivelé positif), il a franchi des pentes à plus de 20 degrés, traversé des bancs de sable, bref, il est bien adapté aux paysages martiens. C'est une promesse pour Perseverance… Et ses équipes savent déjà que s'ils réussissent à le poser intact sur Mars, ils auront probablement accès à une décennie de réussite à la surface. Du système de suspension à la vue stéréoscopique, de la gestion de l'alimentation électrique à l'étalonnage des instruments, Curiosity a montré et continue de montrer qu'il est possible de faire des robots qui sont toujours plus performants. Ce sont grâce à ces bases que la NASA poursuit ses innovations, par exemple en embarquant le petit hélicoptère martien Ingenuity sur la mission Mars2020.
Pour autant, sur les pentes du Mont Sharp, Curiosity n'en a pas terminé avec ses aventures. On peut estimer que d'ici un an environ (si tout va bien) il montera par l'Est sur le pédiment Greenheugh, avant de progresser pour s'aventurer dans une petite vallée un temps creusée par un cours d'eau. Qui sait, il s'aventurera même peut-être plus loin, pour de nouvelles découvertes…