Mozilla reprend du service et sort aujourd'hui une toute nouvelle version de son fameux navigateur Firefox ! Délaissé depuis quelque temps par son équipe, le logiciel fait peau neuve avec une version plus « moderne et épurée » censée mieux répondre aux besoins de navigation des utilisateurs. Retour plus en détails sur ce nouveau Firefox.

En ce premier jour du mois de juin, Mozilla déploie la nouvelle version de Firefox sur ordinateur, tablette et appareils mobiles. Entre les améliorations promises par la fondation en mai dernier, une interface retravaillée, des fonctionnalités mieux adaptées aux usages ou encore une utilisation simplifiée sur tous les appareils.

À l'occasion de cette mise à jour, Clubic a rencontré Sylvestre Ledru (directeur France) et Romain Testard (chef de produit) de l'équipe Mozilla afin d'en savoir plus sur cette nouvelle version en apprendre davantage sur les efforts de la fondation pour rester dans la course des navigateurs web.

Un renouveau de l'interface

Aperçu de la nouvelle interface de Firefox ©Mozilla Corporation
Aperçu de la nouvelle interface de Firefox ©Mozilla Corporation

Clubic : Quelles sont les grandes nouveautés de cette version ?

Sylvestre Ledru : La version que l'on sort aujourd'hui est essentiellement une refonte de l'interface graphique, pour qu'elle corresponde plus aux besoins des utilisateurs. Nous sortons des versions majeures toutes les quatre, voire cinq semaines, avec de gros changements dans des composants de bas niveau comme le webrender qui est la partie affichage qu'utilisent les cartes graphiques. Il y a aussi des améliorations qui sont faites dans le moteur Javascript. Ce n'est toutefois pas l'objectif premier de cette nouvelle version ; nous nous concentrons ici sur les gros changements de l'interface graphique, qui devraient impressionner les utilisateurs.

Romain Testard : Pour cette version nous nous sommes vraiment concentrés sur le renouvellement de l'interface. Les objectifs étaient de délivrer une interface plus moderne et plus sereine du point de vue utilisateur, et de minimiser les interruptions, de faire en sorte que les utilisateurs restent concentrés sur leurs tâches. Pour accomplir cela il y a eu beaucoup de travail d'audit, notamment sur tous les composants de l'interface. Nous voulions voir où il était possible de minimiser ces interruptions et comment développer un nouveau design global pour que tous les composants soient cohérents les uns avec les autres.

Plus spécifiquement, quels sont les changements au niveau de l'interface ?

Romain Testard : La version était déjà disponible en bêta depuis quelque temps. Vous verrez des changements au niveau des onglets, de la barre de navigation… Les menus ont aussi été changés et revêtent une apparence différente. D'un point de vue esthétique on a retravaillé toute la palette de couleur, la grille, toutes les icônes. Beaucoup de menus avaient trop d'options qui étaient sous-utilisées, c'est une des choses que nous avons voulu revoir. En effet, trop d'options peuvent entraîner de la confusion, nous avons donc essayé d'optimiser les menus existants et de mettre en avant ce qui n'était pas assez utilisé.

Sylvestre Ledru : Nous sommes plusieurs centaines de développeurs à travailler à plein temps sur le moteur, et chaque nouvelle version a son lot d'améliorations. On s'amuse avec les compilateurs, on utilise de nouvelles options, on fait des optimisations dans le moteur Javascript ou dans le moteur CSS. On a des équipes à plein temps qui sont en charge de l'amélioration des performances.

Un navigateur Web est plus compliqué qu'un système d'exploitation, nous sommes obligés de faire sans arrêt des améliorations. Sylvestre Ledru

Les barres de menus ont été optimisées ©Mozilla Corporation
Les barres de menus ont été optimisées ©Mozilla Corporation

Ce que l'on reproche aujourd'hui à Firefox c'est la forte utilisation des ressources comme la RAM et le CPU. Cette nouvelle version améliore-t-elle ce point ?

Sylvestre Ledru : Aujourd'hui on fait de tout dans un navigateur : de la vidéo, du son, des systèmes de vidéoconférence… Il y a une complémentarité extraordinaire dans les navigateurs, bien évidemment ça nécessite des ressources système. Cette critique je l'entends aussi souvent sur Chrome. Nous nous efforçons d'améliorer ce point, pour ce faire nous faisons des travaux expérimentaux pour voir comment décharger les onglets en arrière-plan… Mais ce n'est pas pour cette version. Nous travaillons en permanence sur ce point, c'est un travail de longue haleine.

En début d'année vous avez lancé l'interface Skeleton. Cette nouvelle version reprend-elle des éléments de ce dispositif ?

Romain Testard : Oui. L'objectif est d'améliorer la perception du lancement du navigateur. Quand le navigateur se lance, des librairies puis les données de votre profil sont chargées. Le temps pris pour faire cela va dépendre de la vitesse de votre machine et de la taille de votre profil. Quand cela prend trop de temps, la Skeleton UI est chargé, pour indiquer à l'utilisateur qu'il n'y a pas besoin de relancer Firefox plusieurs fois. Cela améliore la perception utilisateur car il sait que la demande a été prise en compte et que l'interface arrivera bientôt. YouTube et Facebook utilisent des dispositifs similaires. C'est l'une des nouveautés de cette version.

Qu'apporte cette nouvelle version côté sécurité et vie privée ?

Romain Testard : Avant, dans le mode de navigation privée, Enhanced Tracking Protection (Protection Renforcée contre le Pistage) était activée par défaut. Dans cette nouvelle version il s'agit d'une option améliorée, le Total Cookie Protection (Protection Totale contre les Cookies). Cela permet aux cookies de chaque site d'être placé dans des « cookie jar » (soit un bocal de cookies en français) différents, et non dans un espace partagé ; et ce afin d'améliorer la sécurité contre le pistage par défaut en mode navigation privé.

Voir aussi :

Cookies walls : la bourse ou la vie (privée) ?

Chamboulé le mois dernier avec l’entrée en vigueur des nouvelles directives de la CNIL, le modèle du « cookie wall » a évolué vers celui du « cookie alternative wall ».

Pourquoi ne pas implémenter ce dispositif dans le mode de navigation normal ?

Romain Testard : Simplement parce qu'il s'agit d'une fonctionnalité qui peut casser certains sites, ce qui dégraderait considérablement l'expérience utilisateur. Aujourd'hui les sites Web vont supposer que si vous êtes sur un domaine, vous aurez accès à tel ou tel cookie. Par exemple lorsque vous êtes sur Facebook, le site va présumer que le cookie Instagram sera disponible, or le Total Cookie Protection le bloquera. Nous ne pouvons pas activer cette option par défaut car les utilisateurs, qui n'en seraient pas conscients, pourraient croire que Firefox est cassé, et non le site qui gère les cookies d'une façon cavalière. Nous souhaitons plutôt influencer le comportement de certains sites pour qu'ils soient plus respectueux au niveau de la gestion des cookies.

Sylvestre Ledru : Il y a aussi l'outil SmartBlock ; nous utilisons une liste produite par Disconnect qui contient la liste de tous les trackeurs. Grâce à cela on va bloquer de manière avancée un certain nombre de sites Web en mode de navigation privée. Cela améliore les performances et ce n'est pas activé par défaut, pour les mêmes raisons que Total Cookie Protection. Vous pouvez faire le test vous-même en cliquant à droite de la barre d'adresse, vous aurez la liste des trackeurs qui ont été bloqués. C'est assez hallucinant de voir la quantité de choses bloquées en permanence, ça fait même un peu peur.

D'autres fonctionnalités à nous faire découvrir pour cette nouvelle version ?

Sylvestre Ledru : Je n'y ai pas directement contribué mais il y une chose que j'ai trouvé très intéressante : les données utilisateurs que nous avons récolté pour optimiser au mieux cette nouvelle version. 17 milliards de clics ont été analysés pour voir le comportement des utilisateurs et connaître les différences d'utilisation selon le pays. Par exemple les extensions ou bloqueurs de publicité sont beaucoup plus installés en Europe qu'en Amérique du nord. C'est intéressant de voir comment l'utilisation varie d'un pays à l'autre.

Sinon les versions Android et iOS ont été remaniées pour être cohérentes d'un point de vue graphique avec les changements de la version ordinateur. Nous avons également changé les menus natifs sous Mac qui sont maintenant beaucoup plus jolis que par le passé.

Firefox face à la concurrence

Au mois d'avril Chrome était à 64 % des parts de marché des navigateurs Web contre 3 % pour vous. Comment comptez-vous rattraper cet écart ?

Sylvestre Ledru : Rattraper Chrome n'est pas notre objectif. Notre objectif est d'avoir un nombre d'utilisateurs assez important pour pouvoir continuer notre mission. Nous sommes une fondation à but non-lucratif et nous sommes pilotés par une mission : veiller à garder un internet libre, ouvert et accessible à tous.

Firefox est l'un de nos outils qui nous permet d'avoir de l'influence sur le Web pour pouvoir pousser vers ce qui nous semble être le mieux pour les utilisateurs et la santé d'internet. On ne cherche pas à être dominants sur le marché des navigateurs Web. Mais dans un pays comme le nôtre, tout le monde connaît Firefox, aux États-Unis c'est différent. Nous n'avons pas de problème de notoriété ici ou en Allemagne par exemple. Nous espérons que cette nouvelle version poussera les utilisateurs à reconsidérer Firefox.

En termes de qualité, de performance et d'utilisabilité il n'y a pas de réelle différence entre Chrome et Firefox. Nous luttons contre trois firmes, Microsoft, Apple et Google qui sont probablement dans le top 5 des plus grosses entreprises américaines à l'heure actuelle. Avec nos moins de 1 000 employés nous n'avons pas les mêmes ressources que nos concurrents directs. Sylvestre Ledru

Que pensez-vous de l'émergence de nombreux navigateurs sous Chromium ?

Sylvestre Ledru : Chromium est un bon produit. Avec Gecko, notre moteur de rendu qui est plus ou moins une alternative à Chromium, nous ne sommes plus que deux moteurs dominants. Nous avons l'inquiétude que les parts de marché de Google et Microsoft influencent les sites Web et qu'ils ne s'intéressent plus qu'à un moteur de rendu, Chromium, et qu'ils ne fassent plus d'efforts pour respecter les standards. Nous avons aussi l'inquiétude d'arriver dans un marché dominé intégralement par Google. Lorsque Microsoft avait annoncé passer à Chromium avec Edge, nous avions partagé publiquement notre déception qu'ils participent à la dominance d'un seul moteur dans l'écosystème.

Internet Explorer va disparaître en 2022, pensez-vous que cela aura un impact sur Firefox ?

Sylvestre Ledru : Pour moi les gens qui utilisent Internet Explorer aujourd'hui sont des gens qui n'y connaissent pas grand chose en informatique ou qui sont encore sur des vieux systèmes. Dans ces cas-là ils resteront sur Internet Explorer même après la fin du support. Nous avions eu la même réflexion avec Windows XP il y a quelques années.

Romain Testard : L'un des facteurs qui va jouer c'est l'environnement d'entreprise. Certains vieux sites sont compatibles avec Active X (technologie Internet Explorer) ou Silverlight (version Flash de Microsoft). Beaucoup d'entreprises sont restées sur Internet Explorer car elles ont investi dans ces technologies à l'époque. Elles utilisent toujours deux navigateurs : Internet Explorer en intranet, Chrome en extranet par exemple. Avec Chromium, qui est partagé entre Edge et Chrome, si une vulnérabilité apparaît, alors c'est un problème de sécurité pour les deux navigateurs. Avoir une stratégie de diversité au niveau des navigateurs en entreprise peut donc être intéressante. En France et en Allemagne nous avons beaucoup d'utilisateurs de Firefox en entreprise. Je pense que la fin d'Internet Explorer peut nous impacter d'un façon positive au niveau de la gestion de la redondance des navigateurs dans ce milieu.

En parlant des entreprises, savez-vous qui utilise Firefox ?

Romain Testard : Le gouvernement français recommande l'utilisation de logiciels open source et utilise Firefox. Tous les ministères, l'éducation nationale, les gendarmeries l'utilisent. Cela correspond à plusieurs millions de postes sous Firefox.
L'année dernière le gouvernement allemand a également recommandé l'utilisation de Firefox.

Par conséquent les grosses sociétés françaises comme EDF, qui travaillent avec le gouvernement français, vont suivre les mêmes standards. Cela doit dépendre de la taille des sociétés, de leur contraintes et de l'utilisation des applications Web : par exemple si vous utilisez G Suite vous privilégierez Chrome, Office 365 Edge… Firefox reste prépondérant en France et en Allemagne.

Il y a deux ou trois ans nous avions commencé à faire des audits auprès des entreprises et notamment sur leur utilisation de Firefox. C'est grâce à cela que nous avons notamment implémenté les policies à l'intérieur de Firefox pour faciliter le job des équipes informatiques.

Quel est votre avis sur le navigateur Brave ?

Sylvestre Ledru : Il a été créé par un ancien de Mozilla. Je crois comprendre qu'il bloque la publicité sur certains sites Web, il y a donc toujours la problématique du financement de ces sites basés sur la publicité. Cela reste un des modèles économiques principaux aujourd'hui sur internet. Brave est basé sur Chromium comme les autres. Mais nous sommes contents de voir que d'autres suivent l'initiative de Mozilla de bloquer le tracking, cela va dans le bon sens.

Selon vous, aujourd'hui, comment Firefox arrive à se différencier des autres navigateurs ?

Sylvestre Ledru : Grâce à la qualité du produit que l'on fournit, sa sécurité, ses mises à jour régulières, le fait que Mozilla soit une fondation à but non-lucratif pilotée par une mission avec une éthique. Les données collectées sont chiffrées et anonymes, il y a tout un processus en interne pour pouvoir y accéder (remplir plusieurs formulaires, obtenir plusieurs validations). Nous faisons extrêmement attention aux données que l'on collecte et on ne peut pas vous identifier avec. Grâce également à la transparence, l'accessibilité au code source et le fait que Firefox soit développé par des gens partout dans le monde, des bénévoles, des salariés, des structures… Et le logo est cool quand même !

Logo de la fondation Mozilla ©Mozilla Corporation

Vous avez lancé votre offre Mozilla VPN en France au début du mois de mai, pouvez-vous nous en parler plus en détails ?

Sylvestre Ledru : Nous avions remarqué que les utilisateurs se posaient une question : « Comment faire confiance à mon fournisseur VPN ?  ». Vous choisissez un VPN car il apparaît beaucoup sur YouTube ou parce qu'il vous a été recommandé. Le problème est que vous ne savez pas ce qu'ils font de vos données. Chez Mozilla nous faisons très attention à tout ce qui touche à la collecte des données et tout l'intérêt de cette offre est que vous utilisez un VPN qui vous garantit un certain degré de confiance. Nous ne collectons pas d'informations sur les sites que vous visitez. De plus les clients sont open source, on fournit des packages sur les différents systèmes d'exploitation et vous pouvez les recompiler et les analyser vous-mêmes. Nous sommes basés sur Wireguard, qui est l'un des meilleurs protocoles de sécurité.

Presque 20 ans après sa première version, quel bilan pour Firefox ?

Sylvestre Ledru : Le Web a commencé avec une communauté de personnes suivant des idéaux. Aujourd'hui internet est devenu une structure assez contrôlée par quelques grands acteurs, on voit l'impact que cela a sur notre société à l'heure actuelle avec la désinformation, les fake news et le harcèlement en ligne. Le Web a évolué dans un côté un peu négatif, ce qui est une déception pour nous. Nous sommes passés de Wikipédia, où l'on accède facilement à toute l'information créée par l'humain sans contraintes, à un espace assez compliqué, avec le harcèlement en ligne des chercheurs faisant la promotion d'un vaccin ou les théories du complot par exemple. Le Web a accentué tout ça et nous sommes désolés de constater cette évolution. Nous essayons d'agir à notre niveau avec des initiatives à Bruxelles, Washington ou Paris pour introduire des solutions techniques comme la protection contre le tracking : les fake news se nourrissent en partie de l'accumulation et l'utilisation commerciale de vos données. Tout le monde sait que les plateformes publicitaires ont plus de chance que vous cliquiez sur des informations sensationnelles que sur des informations classiques.

Lorsque le Web a commencé on affichait des GIFs animés sur des pages statiques. Maintenant on y regarde Netflix en HD avec du son 3D ou on joue à des jeux vidéo tournant à 60 FPS. Le navigateur doit continuer à fournir ces performances sur quatre systèmes d'exploitation différents, avec différents types de processeurs, différentes optimisations sur les cartes graphiques. Le monde du Web n'a plus rien à voir avec celui que l'on connaissait avant. Sylvestre Ledru

Romain Testard : Si les douze derniers mois ont pu prouver quelque chose c'est que le Web peut supporter une grosse partie l'économie grâce au travail à distance. Il y a tout de même beaucoup de problèmes introduits avec tout cela mais globalement le Web est devenu aussi important que l'électricité ou l'eau dans une maison.