Qui écrit, qui traduit, qui relit ? Les étapes de création d'une publication scientifique

Alexandre Boero
Par Alexandre Boero, Journaliste-reporter, responsable de l'actu.
Publié le 21 janvier 2019 à 17h30
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Clubic vous emmène dans les coulisses de la création d'un article scientifique. L'exercice, pointu et technique, est à l'origine de nouvelles connaissances perpétuelles. De l'idée de départ à la publication en passant par l'analyse des résultats, la méthodologie ou une éventuelle traduction, suivez avec nous le processus de la publication scientifique.

La publication scientifique possède un trait de noblesse dont le « grand public » n'a peut-être pas toujours conscience. Au-delà de la production de nouvelles connaissances dans un domaine précis, celle que Marin Dacos, fondateur de la plateforme Revues.org (dorénavant OpenEdition Journals), appelle affectueusement « littérature chiantifique », est aussi destinée à informer le public.

Tout au long de cet article, nous rapporterons les propos de deux experts dans le domaine de la publication scientifique : ceux de Marc Bassoni, Maître de conférences, habilité à diriger des recherches (HDR), chercheur à l'Institut Méditerranéen des Sciences de l'Information et de la Communication (Univ. de Toulon/AMU) et directeur des Etudes à l'Ecole de Journalisme et de Communication d'Aix-Marseille (EJCAM/AMU), et ceux de Philippe Bidaud, directeur scientifique à l'ONERA (l'Office national d'études et de recherches aérospatiales), docteur en robotique et professeur à l'Université Pierre et Marie Curie à Paris.

Ces questions centrales à se poser avant d'attaquer la rédaction

Avant de se lancer, il est bien sûr impératif de dresser un plan. Une bonne structure permet au lecteur de comprendre le raisonnement de l'auteur de la publication. La publication scientifique repose sur une hypothèse, qui peut être fondée sur des travaux déjà existants et d'autres informations, et produit des résultats apportant des connaissances nouvelles. Evidemment, les résultats décrits dans l'article peuvent tout à fait réfuter l'hypothèse de départ.

Le choix de la revue, du site ou de l'institution à qui l'article est destiné est également fondamental. On choisira très logiquement une revue dont la ligne éditoriale est proche de son domaine de recherche.

Qui peut rédiger une publication scientifique ?

Marc Bassoni : « Les publications scientifiques relèvent de la compétence des chercheurs et des enseignants-chercheurs qui ont été formés à la "production scientifique". Une publication scientifique n'est, en effet, pas une publication comme les autres, ou parmi d'autres... Elle répond à des exigences strictes. Elle est soumise à un processus d'expertise. Elle s'adresse, en général, à la communauté des "pairs" ».

Philippe Bidaud : « Ce sont des gens qui ont consacré un effort particulier à la production de cette connaissance, qui est supposée aller au-delà de l'état des connaissances. Il y a une exigence dans les publications de savoir faire valoir les différences entre l'objet de la publication et l'objet de la connaissance. Ce sont des travaux qui ne peuvent être faits que par des gens qui ont un bon niveau de spécialisation, des chercheurs dont le niveau d'étude commence à Bac +5 et va à Bac +8. Une fonction essentielle de ce qu'est la production scientifique : c'est l'évaluation des personnes. La qualité, elle, est évaluée à travers l'impact que peut avoir la publication sur le lectorat ».

À qui s'adresse-t-elle ?

Marc Bassoni : « La publication scientifique s'adresse à la "communauté savante". Elle prend place dans une revue identifiée et reconnue par celle-ci. Chaque domaine disciplinaire a ainsi son "faisceau" de revues reconnues dans lesquelles il est impératif de publier - entre autres, pour faire avancer sa carrière de chercheur ».

Philippe Bidaud : « Il y a des publications qui sont faites pour des journaux ou des revues en particulier, avec des niveaux de spécialisation qui peuvent être variés mais qui s'adressent à un spectre extrêmement étroit, de quelques milliers de personnes de par le monde. Et puis il y a des publications où les questions sont tournées vers le grand public ».


À l'issue de la rédaction de l'article, l'auteur prendra généralement quelques jours pour s'assurer qu'il existe bien une cohérence entre les résultats et le message, en vérifiant l'exactitude des chiffres et des calculs, la logique du développement intellectuel et la conformité des références bibliographiques.

Avant publication, les articles scientifiques sont scrutés par des réviseurs, spécialistes du domaine abordé dans l'article.

Qui sont les personnes qui révisent et relisent les articles scientifiques avant publication ?

Marc Bassoni : « Les réviseurs, ou relecteurs, sont sollicités par les éditeurs. Ce sont des "pairs" parmi les "pairs" spécialistes du domaine couvert, ou du sujet traité par la publication. Les papiers revus sont anonymes ».

Philippe Bidaud : « Le processus d'évaluation est fondé sur l'utilisation des pairs. Il y a eu des scandales sur l'évaluation par des pairs, qui a eu ses travers... Il y a parfois un certain corporatisme, un certain clientélisme. Selon les écoles, on laissait plus ou moins passer les papiers. Ensuite, généralement, il y a entre deux et trois relecteurs sollicités pour évaluer une même publication scientifique. Il y a des domaines où l'on publie plus facilement que d'autres. Dans le secteur de la biologie, où on exploite les données, ça publie à outrance. Un jeu de données donne une publication, il suffit de la commenter. Pour les maths, c'est plus délicat ».


Autre détail d'importance : la traduction. Pour donner un écho relatif à la publication, il est souvent impératif que celle-ci soit traduite en anglais. La langue de Shakespeare mettra un peu plus en valeur la publication de l'auteur. Il faut que l'ami, la personne ou l'entreprise qui a la charge de traduire la publication réduise à leur strict minimum les risques de contresens dans la version anglaise. Car à moins d'être totalement bilingue, certaines finesses d'une langue étrangère peuvent nous échapper. Le « système débrouille » présente cependant assez vite des limites. Pour une traduction impeccable, qui facilitera par ailleurs le travail du réviseur, le recours à un organisme professionnel tel que Global Voices reste indispensable.

Vers qui peut-on se tourner pour faire traduire ses travaux ?

Marc Bassoni : « Deux voies sont possibles. Le recours à des prestataires free-lance ou des "boîtes" privées de traduction spécialisée, certaines d'entre elles sont reconnues et ont une vraie compétence. Ou le recours "gracieux" à un collègue angliciste qui peut relire un papier "brut" (mal dégrossi) et proposer une mise en forme plus élégante. Personnellement, c'est cette voie que j'ai utilisée quand j'ai eu besoin de publier en anglais ».

Philippe Bidaud : « Il faut produire un texte à un niveau d'anglais correct. Quand on veut aller au-delà de ses propres qualités d'anglais garanties par la formation initiale des chercheurs, il faut faire appel à un traducteur spécialisé. Mais pour faire mieux que Google aujourd'hui, il faut des gens de qualité. La meilleure solution, c'est une personne bilingue. La pratique, c'est d'assurer par soi-même le niveau d'anglais. Quand vous êtes chercheur au CNRS, ce qui fut mon cas pendant des années, vous n'avez pas le loisir de vous payer un traducteur. Si vous êtes mauvais en anglais, le papier sera incompréhensible, et la sélection derrière en pâtira ».

Les 6 étapes de la rédaction de l'article scientifique

Six parties essentielles composent une publication scientifique :
  • L'introduction
  • La méthodologie
  • Les résultats
  • La discussion
  • La conclusion
  • La bibliographie
Revenons, en quelques mots, sur chacune d'entre elles.

L'introduction

L'introduction n'est pas le passage le plus long de la publication scientifique, mais elle est essentielle. Elle doit exposer la problématique centrale de la publication, l'objectif de l'article et enfin l'hypothèse de la recherche.

Notons qu'une recherche bibliographique s'impose au préalable pour rédiger un article scientifique. Reposant généralement sur la consultation de bases spécialisées accessibles en bibliothèques universitaires ou de revues de référence, elle peut également être issue d'une recherche web sur des portails offrant l'accès gratuit ou payant à des travaux publiés. C'est, par exemple, le cas d'OpenEdition Journals, qui souffle par ailleurs ses 20 bougies cette année, de Persée ou encore de Cairn.info.

La méthodologie

La méthodologie décrit en détails la façon dont la recherche a été menée et en dit plus sur les éléments, données ou matériels qui ont pu être utilisés, comme la durée des recherches ou l'échantillonnage.

Les résultats matériels

Les résultats bruts (et non leur interprétation par l'auteur de la recherche) sont présentés de manière à être lisibles et rapidement compréhensibles.

La discussion

C'est l'étape suivante qui vient analyser les résultats. À elle seule, cette phase tient pour presque la moitié de la publication scientifique. Elle est le cœur de l'article. Celle-ci met en valeur les résultats et permet à son auteur de répondre à sa problématique de départ, par l'affirmative ou par la négative. Elle permet aussi de poser de nouvelles questions, voire de soulever de nouvelles hypothèses.

La conclusion

Cette avant-dernière étape capitale doit être courte mais efficace, et résumer les conclusions principales de la recherche. En outre, elle permet de vérifier l'adéquation entre les résultats et le message de départ.

La bibliographie

Quel que soit le support de publication, la bibliographie est indispensable et doit arriver à la fin de l'article. Souvent, elle recense de manière chronologique ou par ordre alphabétique l'ensemble des sources qui ont pu servir à rédiger la publication.

Lorsqu'on souhaite rédiger un article scientifique, quelle est la première chose à laquelle on doit penser ?

Marc Bassoni : « L'intention de "publier" vient avec la volonté d'apporter sa pierre au processus collectif de production de connaissances validées et reconnues par la communauté scientifique. La publication peut ainsi avoir trois buts alternatifs. Proposer un "état de l'art"à l'instant T sur un sujet ou une thématique bien identifiée par la communauté. Ou bien proposer un nouvel éclairage théorique ou analytique sur une question, interroger d'une façon nouvelle un concept-clef ou un schéma théorique. Ou enfin, à partir d'une méthodologie identifiée, produire un résultat soumis à l'appréciation critique de la communauté des pairs qui travaillent sur la même question ».

Philippe Bidaud : « L'une des choses essentielles, c'est de savoir ce que voulez faire valoir comme connaissance nouvelle. Tout part des résultats. Si vous n'avez pas de résultat, vous pouvez rester tranquille. Il faut que les résultats puissent être appréciés. Ensuite, il faut les situer très clairement par rapport à l'état actuel des connaissances. Puis il y a la mise en valeur, les explications qui leur donneront leur véritable portée, car plus on les rend accessibles, plus ils seront appréciés. Il faut que tout un chacun puisse reproduire les résultats que vous avez obtenus. S'il n'est pas possible de les répliquer, c'est qu'ils n'ont pas de valeur ».


On l'aura compris : la publication scientifique ne s'improvise pas, même avec toute la meilleure volonté du monde. Pour maîtriser l'exercice, le cursus universitaire et les années sont les alliés du chercheur.

Il existe plusieurs sites où vous pouvez consulter gratuitement du contenu scientifique (et de manière légale). Nous vous conseillons le portail des archives ouvertes, HAL ; le répertoire de revues en libre accès DOAJ ; ou les moteurs de recherche scientifiques Base et Google Scholar.

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Sources :
journals.openedition.org
cairn.info
springer.com

Lectures conseillées :
Alexandre Joux, Marc Bassoni. Le journalisme saisi par les Big Data ? Résistances épistémologiques, ruptures économiques et adaptations professionnelles. Enjeux de l'information et de la communication, GRESEC - Université Grenoble III, 2018.
Aurelien Ibanez ; Philippe Bidaud ; Vincent Padois. Émergence de comportements de marche humanoïdes à partir d'un contrôle prédictif de modèle à nombres entiers mélangés. Conférence internationale IEEE / RSJ sur les robots et systèmes intelligents, Chicago, 2014.
Alexandre Boero
Par Alexandre Boero
Journaliste-reporter, responsable de l'actu

Journaliste, responsable de l'actualité de Clubic – Sensible à la cybersécurité, aux télécoms, à l'IA, à l'économie de la Tech, aux réseaux sociaux ou encore aux services en ligne. En soutien direct du rédacteur en chef, je suis aussi le reporter et le vidéaste de la bande. Journaliste de formation, j'ai fait mes gammes à l'EJCAM, école reconnue par la profession, où j'ai bouclé mon Master avec une mention « Bien » et un mémoire sur les médias en poche.

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Commentaires (3)
pocketpit

Avant publication, les articles scientifiques sont scrutés par des réviseurs, spécialistes du domaine abordé dans l’article.

Ca serait tellement bien que cela soit fait également sur l’ensemble des articles

Precrime

Merci Cluclu pour ces précisions, maintenant, il reste plus qu’à rééduquer les Haters et Tolls qui pullulent malheureusement sur les commentaires.
Et pourtant les articles s’améliorent grandement…

Blues_Blanche

C’est un article juste et qui ne donne pas à polémiquer. Pas sûr que ça intéresse beaucoup les lecteurs de clubic.
Le grand public mérite de savoir comment ça se passe. Ce n’est pas idyllique, il y a une forte concurrence et beaucoup de pression (terminer sa thèse, obtenir des financements…). Il y a aussi des faits choquant : les chercheurs du service public travaillent et sont payés par des fonds publiques. Leur travaux sont revus par d’autres chercheurs (idem : fonds publiques). Les journaux font payer l’edition. Finalement les payeurs doivent repasser à la caisse pour accéder aux publications qu’ils ont jusque là financé… L’éditeur bénéficie des droits sur la publication…

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