C’est l’annonce surprise de cette fin de semaine. Résolue à se tailler une part du gâteau monopolisé pour l'heure par l’ogre Steam, Microsoft bouleverse sa politique de partage de revenus pour se hisser au niveau de celle d’Epic Games.
Ainsi, à compter du 1er août, Microsoft ne s’arrogera plus que 12 % des revenus générés par les ventes de jeux via l’application Xbox ou le Microsoft Store sur PC.
Microsoft aussi, aime les développeurs
Epic Games n’a plus le monopole du cœur. Très largement mis en avant lors de l’inauguration de l’Epic Games Store à l’hiver 2018, le partage de revenus à l’avantage du développeur n’est plus une incongruité dans le paysage vidéoludique.
Microsoft annonce en effet que les éditeurs ou développeurs conserveront désormais 88 % du montant des ventes réalisées via l’application Xbox pour PC ou le Microsoft Store. Par conséquent, la part du « M » de GAFAM passe, elle, de 30 à 12 %. Ce changement ne concerne pas les achats réalisés depuis une console Xbox.
Un joli coup de communication, c’est sûr, mais aussi et surtout une formidable invitation à destination des développeurs qui hésitaient encore à lister leurs jeux sur les magasins de Microsoft. Notre petit doigt nous dit aussi que les demandes d’intégration au Game Pass vont bondir. En effet, certains studios avaient déjà pu s’exprimer sur les bienfaits d’une apparition dans le service de jeu à la demande Microsoft sur les ventes. Paradoxal, dites-vous ? Pas nécessairement.
Les nouvelles annonces autour du mercato du Game Pass sont scrutées de près. Aussi les jeux qui sont retenus par Microsoft pour y figurer bénéficient d’une mise en lumière parfois inespérée. C’est en tout cas l’avis de Mike Rose, P.-D.G. du studio No More Robots, qui a remarqué une véritable envolée des ventes de son jeu Descenders après son ajout au Game Pass.
«Dans un monde idéal, les catalogues Xbox Game Pass et Game Pass PC seraient identiques»
À l’occasion de ce changement majeur dans la politique de rémunération de Microsoft, nous avons eu la chance de discuter avec Jason Beaumont, program manager Xbox Game Pass, et Shannon Loftis, directrice du studio World’s Edge, actuellement à l’œuvre sur Age of Empires IV avec Ensemble Studios.
On a tout de suite mis les pieds dans le plat. Avec le Game Pass sur PC qui se démocratise, et la volonté de Microsoft de systématiser la sortie PC et console de ses jeux first party, existe-t-il un intérêt pour un joueur équipé d’une bonne machine de se procurer une Xbox Series X ou Series S ? La réponse est oui, et tient encore une fois en deux mots : le Game Pass.
« Le catalogue de jeux Xbox Game Pass est légèrement différent de celui du Game Pass PC, nous explique Jason Beaumont. Récemment, par exemple, nous avons ajouté GTA V au Xbox Game Pass. Mais il n’est pas jouable sur PC ». Des disparités dans l’offre qui, de l’aveu de notre interlocuteur, n’est pas du fait de Microsoft. « Tout cela dépend de la volonté de l’éditeur. Nous nous efforçons de permettre aux joueurs de jouer aux jeux qu’ils veulent sur la machine qu’ils veulent. En ce sens, le Xbox Game Pass Ultimate est la formule la plus complète ».
En effet, cette formule tarifée 11,99 € par mois offre l’accès aux deux catalogues, mais aussi à un troisième : celui du Cloud gaming. Jason Beaumont ne manque d’ailleurs pas de nous rappeler que la bêta du service est désormais disponible sur Windows 10, appareils iOS et macOS et que donc, techniquement, il est bel et bien possible de jouer à GTA V sur PC via son abonnement Game Pass Ultimate. Malin.
Mais lui-même est conscient que cela n’est pas idéal. « Si nous avions une baguette magique, les deux catalogues seraient identiques sur PC comme sur console car nous pensons que c’est ce que recherchent les joueurs ». Il s’agira surtout de laisser le temps à l’industrie de s’adapter à ce nouveau modèle. Car beaucoup d’éditeurs continuent de penser leur stratégie éditoriale de façon distincte entre le monde du PC et celui des consoles de salon.
Microsoft se réengage en faveur du jeu PC
Alors quoi, c’en est fini des querelles de clocher ? Tous les jeux Xbox Game Studio sont-ils destinés à sortir simultanément sur PC et sur Xbox ? Forcément, l’occasion était trop belle pour ne pas poser LA question qui nous brûle les lèvres à la principale intéressée : faut-il s’attendre à voir Age of Empires IV sur Xbox à l’avenir ? Après tout, on sait déjà que Flight Simulator se posera prochainement sur le tarmac des consoles Microsoft.
Fin de non-recevoir de la part de Shannon Loftis : « pour le moment, nous souhaitons nous assurer que le jeu réponde aux attentes des joueurs PC, et nous ne nous exprimerons pas sur ce qui se profile pour l’après-lancement ». On aura essayé.
Malgré tout, nos interlocuteurs n’ont pas manqué de forcer le trait sur les investissements — massifs — réalisés par Microsoft pour brosser les joueurs PC dans le sens du poil. Il y a d’abord eu cette interview de Phil Spencer, le grand manitou de la division Xbox, chez PC Gamer début 2019. Dans cet échange-fleuve, l’éminence grise du jeu console chez Microsoft réaffirmait l’engagement de son employeur en faveur du jeu vidéo sur PC. Des graines dont la firme commence déjà à recueillir les fruits aujourd’hui.
On s’en souvient, Microsoft s’est récemment offert les services de ZeniMax Media, maison-mère de studios comme Bethesda, Arkane, id Software ou encore MachineGames. Autant de recrues venues gonfler les rangs de l’écurie Xbox Game Studios, et qui portent toutes en elle un ADN foncièrement PC.
Shannon Loftis cite également l’apport de studios comme inXile (Wastelands) ou Obsidian dans cette nouvelle philosophie. Ainsi ce sont tous les jeux Xbox Game Studios qui doivent être pensés différemment à partir de maintenant. « Les jeux [qui sortent sur PC] ne sont pas de simples portages des versions consoles. Ce sont des jeux qui ont été customisés à la racine pour tirer parti de tout ce qui est remarquable sur PC ».
Une stratégie payante, puisque d’après notre interlocutrice, plus de 10 millions de joueurs se sont déjà essayés à Halo: The Master Chief Collection, dont une « grande partie » aurait ainsi découvert la licence. L’occasion pour elle d’enchaîner avec une annonce croustillante (bien qu’évidente) concernant Halo: Infinite : le jeu de 343 Industries sera cross-platform (PC, Xbox Series et Xbox One) et cross-progression. Peu importe où vous commencerez votre partie, vous pourrez la reprendre indépendamment de la machine où vous lancez le jeu.
Le PC et sa versatilité : une force et une contrainte pour les développeurs
Malgré tous les vœux d’unité formulés par Microsoft pour soutenir son engagement au PC, il ne faut pas se mettre d’œillères pour autant. Ces machines sont certes versatiles, mais elles demandent aussi aux développeurs de se creuser les méninges pour assurer la compatibilité de leurs jeux avec la plus grande variété de matériel possible. Si, en tant que joueur, on se réjouit de pouvoir composer avec les options graphiques pour adapter l'expérience à notre configuration, les développeurs, eux, sont confrontés à d’importantes contraintes qui les poussent à avoir en tête toutes les combinaisons possibles des composants du marché actuel.
En passant, on sait Microsoft et AMD partenaires pour tout ce qui touche à la console. Les Xbox Series embarquent en effet du matériel de pointe de l’équipe rouge. Faut-il dès lors s’attendre à des jeux first party PC mieux optimisés pour le hardware AMD ? « Je ne pense pas que ce soit le meilleur scénario pour les joueurs, coupe Shannon Loftis. On veut faire en sorte que les jeux tournent correctement, peu importe la configuration des joueurs ». Plutôt rassurant, avouons-le.
Ceci étant, ce sont bien deux fonctionnalités inaugurées sur les Xbox Series S et Series X qui feront prochainement leur arrivée sur PC : Auto-HDR et Direct Storage. La première permet à des jeux ne bénéficiant pas de paramètres autorisant la HDR d’afficher malgré tout une plage dynamique étendue sur les écrans compatibles. La seconde, elle, crée un pipeline de données plus direct entre le SSD (NVMe PCIe 3.0 et PCIe 4.0 seulement) et le GPU pour un chargement accéléré des jeux au sens large.
Aucune limite dans le nombre de jeux inclus dans le Game Pass
Actuellement, ce sont plus de 200 titres qui sont intégrés au Game Pass, aussi bien sur PC que sur Xbox. On a voulu savoir où se situait la limite. Si, pour Microsoft, l’ambition était d’entasser un maximum de jeux dans son catalogue comme peut le faire Netflix, auquel le Game Pass est souvent comparé.
« On continue d’ajouter des jeux, mais il y a une rotation qui est aussi en place. Certains éditeurs avec lesquels on travaille définissent une limite de temps pendant laquelle leur titre sera disponible sur le Game Pass, clarifie Jason Beaumont. Mais il n’y a pas de formule magique ; l’idée ce n’est pas de dire “180 jeux c’est bien, mais 200 jeux c’est trop.” On veut que les joueurs puissent être en capacité de découvrir des jeux. On veut donc que le Game Pass soit un catalogue doté d’une vraie curation. Il est de notre responsabilité de créer une rencontre entre les développeurs et les joueurs. Ce n’est pas un buffet à volonté, conclut-il, c’est une sélection bien réfléchie ».
Rompu à l’exercice promotionnel, Jason Beaumont ne manque pas de mettre en avant l’aspect « magique » du Game Pass. Sur certains aspects, nous ne trouvons guère d’arguments à lui opposer. Oui, le Game Pass est inédit dans le paysage vidéoludique. « On n’a plus à convaincre ses amis d’acheter le même jeu pour pouvoir y jouer ensemble. Il suffit d’être abonnés, et on profite de la même ludothèque n’importe où dans le monde ! », s’enthousiasme-t-il encore.
Impossible en tout cas de nier que la popularité du service de jeux par abonnement de Microsoft va grandissante, et que les annonces ici décrites ne risquent pas de le freiner dans sa course. Aux dernières nouvelles, plus de 18 millions de personnes disposaient d’un abonnement au Game Pass.
Le dernier décompte ayant eu lieu peu après la sortie des Xbox Series S et Series X, on est curieux de voir où il en sera en fin d’année prochaine, quand Age of Empires IV et Halo : Infinite seront bel et bien entre les mains des joueuses et des joueurs.