A l'issue d'une période de travaux de quelques semaines, un grand magasin rouvre ses portes. Lorsque les clients entrent, surprise ! L'agencement des rayons a complètement changé. Ils les parcourent à la recherche des produits qu'ils achètent habituellement. Au passage, ils en découvrent d'autres, dont ils ne soupçonnaient pas l'existence dans cet établissement, ou auxquels ils n'avaient jamais fait attention, parce que situés dans une partie du magasin qu'ils fréquentaient peu.
Ce réaménagement n'est pas le résultat d'une toquade du directeur, mais le fruit d'une étude détaillée sur la manière dont les clients se déplacent dans le magasin. Elle a montré qu'il existait des zones « chaudes », très fréquentées, et d'autres, dites « froides », un peu désertées. D'où l'idée de les remettre en avant.
Ces constatations sur le mouvement des clients ont été possibles grâce à l'analyse des flux vidéo générés par les caméras de vidéosurveillance et analysés sur une longue période. Cette exploitation, à but commercial et marketing, fait partie des applications dites « marginales » de la vidéosurveillance. « Le marché de l'analyse vidéo est en pleine expansion et va prendre une grande importance dans tout vrai système de surveillance, estime François Ista, fondateur de TID Solutions, installé en Nouvelle-Calédonie. Mais aujourd'hui, il n'est pas encore considéré comme utile car, souvent, les clients ne connaissent pas ses possibilités. »Il existe une différence fondamentale entre l'analyse vidéo et la vidéosurveillance classique. Cette dernière est exploitée, la plupart du temps, en mode post-incident, pour identifier les suspects (braquage, accident de circulation ou vol de voiture). L'analyse vidéo en temps réel utilisée, par exemple, pour le comptage ou la gestion des foules, ne vise pas à identifier les personnes individuellement, mais à détecter une menace au moment, voire avant qu'elle se produise, ou encore à cerner des comportements.
D'ailleurs, la CNIL interdit « d'associer un fichier images à un fichier nominatif, rappelle Marc Pichaud, directeur France de Aimetis, éditeur canadien de logiciels d'analyse vidéo. Cependant, on peut prendre des photos et constituer, avec les métadonnées associées aux images, une base de données, sans relier la photo à l'identité d'une personne. Si on peut déterminer l'âge approximatif et le sexe, c'est un bonheur marketing, parce qu'on sait alors quel genre de client entre dans le magasin et quels sont les rayons préférés. »
L'exploitation de ces analyses permet d'établir des statistiques. « Les équipes marketing sont ainsi capables d'évaluer l'impact d'une campagne publicitaire ou même l'influence de la météo sur la fréquentation du magasin pour organiser une gestion prévisionnelle, explique Jean-Baptiste Ducatez, dirigeant de Foxstream, éditeur de logiciels d'analyse vidéo. C'est un outil en or pour eux et, lorsqu'ils y ont goûté, ils ne peuvent plus s'en passer. » Cet outil peut même participer à l'augmentation de la productivité, notamment aux guichets, avec le système « Stop and Go ». Des caméras placées derrière les employés détectent la présence ou non des clients aux comptoirs. Dès qu'un emplacement se libère, la petite lumière rouge passe au vert, invitant ainsi le suivant dans la file d'attente à se présenter.
On utilise également le comptage, par exemple dans les services publics, les parkings ou les musées, pour s'assurer qu'un espace clos n'est pas saturé. S'il l'est, on fermera l'entrée. Dans le cas d'une salle d'attente, on ajoutera plutôt des guichets. Autre usage dans les aéroports : estimer le temps d'attente aux portiques de sécurité. Ce système donne la possibilité d'établir une base de données statistique. « On parvient à une précision de l'ordre de la minute de temps d'attente », assure Jean-Baptiste Ducatez de Foxstream. L'analyse vidéo donne également des arguments au gestionnaire de l'aéroport dans ses négociations avec la société privée à laquelle la sécurité est sous-traitée.
Comment fonctionne le comptage ? On place la caméra sur un axe vertical afin qu'elle couvre une zone délimitée. Le logiciel utilise la technique du « chapeau chinois » : un individu est repéré par le sommet du crâne et les épaules. Évidemment, la méthode n'est pas infaillible. « On doit éviter les faux-positifs, tels qu'un animal, un reflet... qui seraient comptés à tort, mais également les faux négatifs : oublier de compter quelqu'un. » Dans cet usage, l'image ne nécessite pas la haute définition : un carré de 80 pixels suffit. Dans les aéroports, on installe souvent une seconde caméra en sortie, un peu surélevée avec un champ horizontal et légèrement plongeant afin de vérifier que le flux de voyageurs s'écoule normalement et qu'il n'y a pas d'incidents.Un autre grand domaine de l'analyse vidéo permanente en temps réel concerne la sûreté. Le but consiste à lancer des contre-mesures avant l'incident. Ainsi, la présence d'un individu qui semble rôder, la nuit, aux abords d'un site classé « sensible » va déclencher une alerte et prévenir les équipes de sécurité. Ce peut être également la détection d'une personne faisant les cent pas à l'entrée d'un parking fermé ou d'entrepôts. Non seulement le système est capable de suivre automatiquement les déplacements du « suspect » (tracking), mais également d'engager automatiquement des mesures préventives, telles qu'actionner une sirène et allumer des projecteurs pour signifier à l'intrus qu'il a été repéré. Dans ce genre d'exemples nocturnes, on utilise des caméras à infrarouge.
La présence d'un agent devant les écrans devient beaucoup moins nécessaire. Ce sont désormais les logiciels qui font le travail à sa place. D'abord, parce qu'avec la crise, l'automatisation des tâches devient une tendance forte. Ensuite, parce qu'il faut reconnaitre qu'un homme ne peut pas regarder avec attention plusieurs dizaines d'écrans à la fois : s'il est concentré sur l'un d'eux, il ne verra plus les autres. « Or, il faut rappeler qu'une équipe en trois huit coûte environ 15.000 euros par mois », estime Marc Pichaud, d'Aimetis. C'est probablement pourquoi de plus en plus d'entreprises externalisent en faisant appel à des sociétés de télésurveillance. Avec de tels systèmes, une poignée d'agents peut prendre en charge des centaines caméras et n'intervenir que pour lever un doute.
La surveillance de processus industriels fait également partie de l'analyse vidéo en temps réel. Par exemple, le capteur infrarouge d'une caméra détecte, dans la zone qu'elle couvre, un point très chaud. C'est peut-être un départ d'incendie. Mais avant d'alerter les pompiers, il est plus sage de vérifier. Le télésurveillant affiche alors le flux vidéo et peut s'apercevoir que ce point chaud n'est autre qu'un pot d'échappement d'un camion dont le moteur tourne et qui est garé au mauvais endroit.
L'analyse des flux de foules participe également à la sûreté dans un lieu public. Si les gens se mettent brusquement à courir ou s'ils s'écroulent tous sur place, il y a de fortes présomptions pour qu'un événement anormal se produise. Une fois l'alerte lancée, le visionnage immédiat des images par les équipes chargées de la sécurité permettra de lever les doutes. Cependant, la solution a ses limites. « On sait analyser le comportement d'une foule, mais pas celui d'un individu dans une foule, déclare Laurent Assouly, directeur marketing et communication de la société Evitech, spécialiste de l'analyse vidéo en temps réel.
« Supposons qu'au milieu d'un groupe de personnes, quelqu'un lève les bras. D'abord, il faut détecter son geste, ce qui n'est pas toujours évident. Ensuite, tout dépend du contexte. Si la scène se déroule dans une gare ou un aéroport, il s'agit peut-être de quelqu'un qui accueille des voyageurs. Si le cadre est une banque, la situation est moins normale. Or, le logiciel ne sait pas faire la différence si les images proviennent d'un hall de gare ou d'une banque. » Pour cela, il faudrait spécialiser les logiciels et les développer « à façon », ce que peu d'éditeurs proposent.Si la vidéosurveillance en temps réel sert à détecter les anomalies et les dangers potentiels, elle trouve également des débouchés plus étonnants. « Certaines marques de grand luxe utilisent les caméras pour vérifier si leurs boutiques, en France comme à l'étranger, sont disposées conformément à la charte définie par la direction et que chacun ne fasse pas n'importe quoi », dévoile Patrick Tennevin, d'Axis. Paradoxalement, l'analyse vidéo en temps réel permet également de constater la disparition d'objets, dans un magasin ou un musée, entre autres usages. « Ce système fonctionne également dans le sens contraire, précise François Ista. Par exemple, un objet se trouve dans une zone précise que l'on souhaite toujours libre, par exemple les zones de sécurité qui doivent être dégagées en permanence, telles que les accès pompiers, les urgences, les sorties de secours... Dans ces cas-là nous faisons de la prévention et c'est l'avantage de la véritable analyse vidéo. »
Ces logiciels tournent souvent sur des serveurs spécifiques. Ils se présentent sous la forme de modules réalisant une fonction de base ou plusieurs assez simples. Ainsi, le comptage et ses différentes applications ne constituent généralement qu'un seul module. « Il existe désormais des caméras intelligentes, en mesure d'exécuter elles-mêmes des tâches simples, déclare Yvan Le Verge, responsable avant-vente chez Canon. Par exemple, pointée sur une issue de secours, dans un magasin, un entrepôt ou un cinéma, la caméra est capable de détecter si quelqu'un entre illicitement, puis de lancer une alerte accompagnée d'une petite vidéo du moment précédant l'intrusion. En fait, elle enregistre en permanence sur une carte SD, les nouvelles images écrasant les vieilles. »
Pour la plupart des éditeurs, ces caméras restent néanmoins cantonnées à des fonctions basiques. « Le moindre serveur du marché est 50 fois plus puissant que la caméra la plus évoluée », juge Laurent Assouly d'Evitech. C'est pourquoi les fabricants de caméras, même si leurs produits sont capables d'effectuer du traitement local, travaillent avec des développeurs et des intégrateurs pour constituer un écosystème. Axis fait partie de ceux-là. « Les développeurs, les grossistes et les intégrateurs peuvent ainsi fournir une solution complète, clé en main, souligne Patrick Tennevin, Business Development Manager pour l'Europe du Sud chez Axis. En général, les serveurs se trouvent chez le client final, mais la tendance est de les externaliser dans le cloud, afin de n'avoir que les résultats à exploiter en évitant les soucis informatiques de maintenance. »
Finalement, malgré les écueils techniques actuels, les applications d'analyse vidéo ne semblent limitées que par l'imagination des utilisateurs.