L'habit ne fait pas le moine. Le look non plus. Mais les stéréotypes ont la peau dure. Surtout quand il s'agit de préjugés entre hommes et femmes dans un secteur comme les technologies numériques. Pour preuve, le hashtag : #ILookLikeAnEngineer qui se répand comme une trainée de poudre depuis quelques jours. On le retrouve associé à une photo de femme, plutôt avenante. A côté, une description de son poste : spécialiste J2EE, développeur Open Source, enseignante. On pourrait le traduire par « Eh oui, je suis bien ingénieur. »
I worked on enterprise Java & iOS applications with millions of users. I teach people to code. #ILookLikeAnEngineer pic.twitter.com/yhKxnrviJI
— Erika Carlson (@eacarlson) August 4, 2015
I was one of the earliest engs @Pinterest; I've worked on infra, api, web, ads, homefeed & more #ILookLikeAnEngineer pic.twitter.com/vn0aS58JIv
— Tracy Chou (@triketora) August 4, 2015
I love to code my own Minecraft mods. #ILookLikeAnEngineer and can't wait to be one someday. #proudmama pic.twitter.com/NihshBXXMJ
— Jodi Jahic (@jodij) August 4, 2015
A la vue de sa photo, c'est l'emballement. Les messages pleuvent sur Facebook et Twitter. Certains incrédules, « c'est pas à ça que ressemble un ingénieur à San Francisco. » Mais la plupart sont carrément vulgaires, ou tout simplement sexistes : « Euh... Ils veulent attirer des femmes ou des hommes là ? »
Des méthodes de recrutement dignes des films pornos
Le volume de commentaires est tel que certains finissent par arriver aux oreilles de l'intéressée. Choquée, Isis Wenger publie un billet sur Medium où elle rappelle combien ces réactions reflètent le sexisme auquel sont confrontées les femmes du secteur.« La plupart des gens ne se rendent pas compte de tout ce que nous devons supporter à longueur de journée. Pourtant, je n'ai jamais cherché à attirer l'attention » explique la jeune femme. Elle s'étonne d'ailleurs que la photo d'elle, « habillée, mal coiffée et quasiment sans maquillage » ait créé plus de controverses que d'autres campagnes, dans le même esprit, mais figurant des hommes.
Le premier débat est donc lancé. Pourquoi a-t-on autant de mal à imaginer une femme à la fois jolie et ingénieure ? La question est d'autant plus retentissante que la misogynie de la Silicon Valley a été plusieurs fois montrée du doigt. Un récent article de Newsweek raconte, par exemple, des méthodes de recrutement « dignes de films pornos » ou encore des hôtesses harcelées dans les conventions technologies. Selon une étude de la Harvard Business Review, 41% des femmes travaillant dans le secteur finissent par l'abandonner, contre seulement 17% des hommes.
Aujourd'hui, seulement 30% de femmes travaillent dans le numérique aux Etats-Unis. Et dans des métiers pointus comme celui de développeur, elles font figure d'exception. Or, selon les spécialistes, évoluer dans un environnement essentiellement masculin favorise les comportements machistes. En France, on trouve encore moins de femmes dans le numériques : 27% selon Syntec. Ces comportements sexistes, existent donc certainement aussi de notre côté de l'atlantique.
Les femmes informaticiennes ne sont pas les seules à créer la polémique sur leur look. Les hommes aussi, mais pour d'autres raisons... énumérées en page suivante.Y aurait-il un lien entre le look et la qualité du travail d'un informaticien ? Un débat lancinant depuis quelques jours aux Etats-Unis. De quoi remettre en question le jean, T-shirt, sweat capuche; le sacro-saint uniforme du développeur.
L'affaire commence fin juillet. Le site The Register dévoile un mémo envoyé aux équipes de la division services de HP. Les employés « ne doivent plus se présenter dans les bureaux en T-Shirt ou avec des jeans délavés ou déchirés, des shorts ou des casquettes, des sandales ou des chaussures ouvertes. » Ce mémo n'est pas destiné uniquement aux forces de ventes. Il cible aussi les équipes de développement et de R&D. Son objectif : préserver une image professionnelle auprès des clients quand ils viennent sur le campus.
Tollé immédiat. Là encore, les messages pleuvent. HP est moqué de toutes parts, accusé de vouloir casser le stéréotype de l'informaticien. « C'est ridicule d'imposer un code vestimentaire à une population qui justement revendique une totale liberté dans la façon de s'habiller » peut-on lire. Certains pronostiquent déjà un exode ses meilleurs éléments. BetaBrand, une startup voisine de la Silicon Valley, se jette sur l'occasion pour rappeler, vidéo décalée à l'appui, qu'elle recrute, et sans aucun « dress code ».
Dépassé, HP tente maladroitement de reprendre la main. Il publie à son tour une vidéo pour assurer qu'il n'impose aucun code vestimentaire « global » dans la société. C'est même Alan May, grand patron des Ressources Humaines qui s'y colle... façon Actors Studio.
Il n'empêche, le mal est fait. Quant à la question du look, elle dévie rapidement vers un débat beaucoup moins superficiel : travaille-on mieux en veste ou en T-Shirt ? Dans les échanges, il y a ceux pour qui c'est évident « une équipe informatique n'est pas une agence de mannequins. Les ingénieurs sont jugés sur la qualité du code produit, pas du code vestimentaire. » D'autres enfoncent le clou, forts de leur expérience avec différents looks. « J'ai travaillé chez NewEgg (nrdlr : vendeur de matériel informatique). Je vous assure qu'on vendait plus avec un T-Shirt que lorsqu'on était obligé de porter une cravate. »
Tout le monde n'est pas du même avis. Pour beaucoup même, un laisser-aller vestimentaire peut être révélateur d'un état d'esprit et d'une certaine attitude au travail. « Cela peut se traduire par de la négligence. Le matin, à la maison, on prend la première fringue qui passe. Et au bureau, c'est pareil, on ne prend pas le temps de relire son code. On l'envoie et on réfléchit après » ironise un responsable d'équipe. Là encore, certains en veulent pour preuve leur propre expérience : « la qualité des outils ne cesse de s'améliorer, pas la qualité du code. Regardez les bugs dans les logiciels commerciaux ! »
Qu'il s'agisse du traitement des femmes, du look stéréotypé des informaticiens ou du lien entre attitude et qualité du travail, le débat gagnerait à être poursuivit de notre côté de l'atlantique.