Uber : l'Urssaf veut "salarier" les chauffeurs

Thomas Pontiroli
Publié le 16 mai 2016 à 13h58
L'Urssaf attaque Uber pour que les chauffeurs soient « salariés », et relance le débat sur la mutation du travail. Mais quand le verdict tombera, Uber aura-t-il encore besoin d'eux ?

Le débat sur le statut des chauffeurs Uber s'importe en France. L'Urssaf considère qu'il existe un « lien de subordination » entre la plateforme de VTC et les chauffeurs, et que ces derniers ne sauraient donc être vus comme des indépendants. Deux procédures ont été engagées en justice par l'Urssaf Île-de-France, selon l'AFP, devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale et au pénal, auprès du procureur de la République de Paris.

Ce débat a déjà eu lieu en Californie, où quatre chauffeurs ont intenté une action collective contre la plateforme en 2015, qui s'était soldée par... une enveloppe de 100 millions de dollars consentie par Uber - une somme tout à fait anecdotique comparé à ce que le groupe aurait dû débourser si tous ses chauffeurs avaient dû être reconnus comme salariés. En France, le rapport de force est tout autre car cette fois, c'est l'État qui engage le bras de fer.


Ainsi l'Urssaf a décidé, en Île-de-France tout du moins, de « requalifier, pour tous les chauffeurs Uber, la situation d'indépendant en situation de salarié au titre de la sécurité sociale et a réclamé les cotisations correspondantes ». Comme attendu, Uber n'a pas accepté de payer, relève l'AFP, c'est pourquoi l'affaire est désormais devant les tribunaux. Le redressement potentiel est de l'ordre de « quelques millions d'euros ».


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Sur sa page d'accueil, Uber parle de « partenaire » et met en avant la liberté supposée - Crédit : Uber.


Travail dissimulé ?

Mais ce n'est pas ce redressement qui va inquiéter Uber. Le vrai caillou dans la chaussure, c'est le « procès-verbal de travail dissimulé (...) fondé sur le principe du détournement de statut ». L'Urssaf est en effet habituée à déceler les liens de subordination, afin de rattraper les entreprises recourant à des autoentrepreneurs plutôt qu'à des salariés - plus coûteux. Dans le cas d'Uber, l'Urssaf ne manque pas d'arguments prouvant ce lien.

« C'est Uber qui recrute, qui forme, la commission est plafonnée, ils prennent un pourcentage dessus, la course n'est pas libre, les chauffeurs doivent rendre des comptes... Toute une série d'éléments montrent que le salarié travaille bien dans le cadre d'un service organisé par Uber pour le compte de l'ensemble des chauffeurs », liste l'organisme, selon qui la plateforme « a intentionnellement organisé une forme de détournement de statut ».

Uber le sauveur

Alors que la mutation du droit du travail et la place qu'occupe l'indépendant dans l'échiquier sont au cœur des débats autour de la loi El Khomri, s'ouvre en parallèle un autre débat important : le financement de la sécurité sociale, qui repose aujourd'hui essentiellement sur les salaires. Que devient ce schéma de financement dans une économie où les salariés se muent de plus en plus en indépendants ? Les chauffeurs en profitent-ils au moins ?Comme le relate Slate, les VTC (Uber en tête) sont devenus « la principale perspective d'emploi chez les jeunes touchés par le chômage ». Selon l'Insee, les créations d'entreprises de VTC sont passées de 3 700 en 2013 à près de 7 000 en 2014 et plus de 10 000 en 2015. Uber et les autres plateformes « d'emploi à la demande » trouvent en banlieue parisienne un gros vivier de personnes touchées par le chômage ou discriminées à l'embauche.

Préférant « créer leur propre travail » plutôt que de continuer à subir le chômage, elles se lancent sans trop hésiter dans ce statut, en créant généralement une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), peu coûteuse (149 euros) et simple à mettre en place. C'est ainsi que les indépendants se multiplient, la pression sur le salariat traditionnel grandit, mais que le droit du travail et le financement de la sécurité sociale reculent.

Les droits reculent

Le statut d'indépendant ne prévoit pas de congés payés, d'allocations chômage, d'assurance en cas d'accident. Les chauffeurs Uber sont tenus de financer eux-mêmes leur voiture et les prestations de base comme le costume et les bonbons. Au final, il leur reste en moyenne 1 200 euros par mois, s'ils roulent 70 heures par semaine. Uber veille à ce qu'ils n'en fassent pas trop, mais la plupart des conducteurs roulent pour deux plateformes.


« Managés » par des algorithmes - si sophistiqués que commence à se poser la reconnaissance de leur statut d'employeur... -, les chauffeurs ont une épée de Damoclès sur leur chiffre d'affaires. En octobre 2015 à Paris, d'un jour à l'autre, le tarif de la course a baissé de 20 %, sans que les conducteurs ne puissent rien faire. Aux yeux de la plateforme, le rabais attirerait plus de clients, comblant le manque à gagner. Des VTC interrogés opposent que leur planning est déjà plein, surtout en heure de pointe... à moins d'étirer encore la journée.


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Travis Kalanick, le patron-fondateur d'Uber, veut révolutionner le transport mais aussi la livraison de colis, de repas... - Crédit : Uber.


En France, une autre « plateforme » a fait parler d'elle le 13 mai : le service de livraison rapide Toktoktok. L'un de « ses » coursiers a décidé d'attaquer « son patron » aux prud'hommes. « Je me suis aperçu qu'on avait les mêmes contraintes qu'un salarié, sans la protection qui va avec », a déclaré le plaignant. Un autre coursier témoigne : quand il se blesse, il avertit la plateforme (Take Eat Easy), qui répond « bon rétablissement, c'est tout ».

Chauffeurs transitoires

Comme toujours dans ces affaires-là, c'est le lien de subordination qui devra être prouvé. En filigrane, le décalage énorme entre le temps de la justice et celui des start-up... L'Urssaf estime que les deux procédures contre Uber n'aboutiront pas avant 5 ou 6 ans. À ce stade, des VTC sans chauffeur circuleront sans doute.
Si Uber a levé 10 milliards de dollars en 4 ans, c'est bien pour ça. Que fera-t-il alors de « ses » chauffeurs ?


La loi El Khomri pourrait plier le débat, en faveur d'Uber

Dans un amendement à la Loi Travail - devant passer en force via le 49-3 -, il est précisé que « les plateformes n'auront à prendre en charge les cotisations en matière d'accident du travail et de formation, ainsi que les frais liés à la validation des acquis de l'expérience (VAE), que si le travailleur indépendant a une activité significative. Un seuil de chiffre d'affaires sera fixé par décret ». Une avancée, oui mais...

L'amendement ajoute aussi qu'« il est important de garantir que les obligations découlant de la responsabilité sociale ne pourront constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination entre la plateforme et le travailleur. ». Cet élément, introduit par le législateur, devrait peser en faveur d'Uber.


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