INTERVIEW - Le fondateur de Qwant est de retour sur le devant de la scène avec Altrnativ (sans « e »), un nouveau service qui prône un Web axé autour de la sécurité, du respect de la vie privée et de la souveraineté des utilisateurs, aussi bien pour les particuliers que les professionnels.

Depuis qu'il a abandonné la direction de Qwant, le moteur de recherche respectueux de la vie privée de ses utilisateurs, Éric Leandri est à la manœuvre d’un nouveau service, toujours orienté sur la privacy, baptisé Altrnativ. Cette nouvelle entreprise, à l’ambition européenne, est officiellement ouverte aux particuliers, aux entreprises et aux États. Sa motivation ? Un numérique de confiance, avec un service qui vient protéger l’anonymat de l’utilisateur, veiller à la sécurité de la machine et de la navigation.

Alternativ propose de redevenir maître de ses données, en somme, avec un service qui ne collecte et ne conserve aucune donnée. Pour cela, Altrnativ a noué des partenariats avec Sipartech et NVIDIA pour offrir à ses futurs clients un service fiable et le plus rapide possible, apportant un DNS sécurisé et .NET, qui permet une navigation sur Internet sécurisée et totalement anonyme. Le tout pour moins de 10 € par mois.

Pour obtenir plus de détails et comprendre le pourquoi du comment, nous sommes allés à la rencontre d’Éric Leandri, qui a répondu à nos questions.

Éric Léandri

Interview d’Éric Leandri, président et fondateur d’Altrnativ

Clubic : Éric Leandri, on vous retrouve après l'aventure Qwant, avec Altrnativ, votre nouveau bébé. Comment pourriez-vous définir le service avec vos propres mots ?

Éric Léandri : Altrnativ vise à rendre le contrôle à l'utilisateur, à l'entreprise ou à l'État, sur l'ensemble de sa navigation sur Internet, dans un Net qui soit lumineux. C'est permettre, grâce à des technologies qui vont aller cette fois au cœur du réseau - le DNS, la navigation en IP -, d'apporter des outils pour se protéger réellement, que ce soit sur sa vie privée ou sur le secret des affaires, et de renforcer le contrôle de sa navigation sur Internet. Ça, c'est Altrnativ.net.

Puis nous avons une partie Altrnativ.radio qui vous permet de voir les satellites, les avions, les bateaux, de récupérer les trames radio qui sont tout autour de nous, de les ramener sur Internet, de les placer sur une carte pour nous permettre de voir l'ensemble de tout ce qui est en train de naviguer, de tourner ou de voler autour de nous. Il y a une dernière partie qui concerne l'alerte aux populations en cas de crise.

« Avec Altrnativ, vous choisirez par où vous passez, sans que le service puisse savoir qui vous êtes ni où vous allez »

Altrnativ, ce sont des offres de services qui, à la fin, se transformeront en une plateforme de services de sécurité permettant de restaurer le contrôle total sur le web.

Avec cette solution, vous entrez en confrontation directe avec les VPN, qui pullulent maintenant, qu'ils soient gratuits ou payants ; comment justifier la différenciation auprès d’un public qui découvrirait votre solution ?

Un VPN ne s'occupe pas du DNS. Nous, nous faisons les deux et nous occupons de tout pour vous. Le Domaine Name Server, c'est la partie où vous expliquez où vous allez sur Internet à chaque fois que vous souhaitez aller quelque part. Aujourd'hui, le plus grand du monde, Cloudfare, revend sa donnée. Derrière, des VPN permettent de sécuriser votre navigation, mais la sécurité ne s'applique qu'entre le VPN et Internet. Entre le VPN et vous, le service voit ce que vous faites et qui vous êtes. Et quand il est gratuit, il y a de grandes chances qu'il revende vos données.

© Altrnativ
© Altrnativ

Altrnativ vous amène une solution complète, open source, que vous pourrez installer vous-même si vous le souhaitez. On va l'installer dans l'un des plus grands réseaux européens de fibre, Sipartech. Et vous allez pouvoir choisir par où vous passerez, sans que le service sache qui vous êtes et où vous allez. C'est donc l'inverse du VPN.

Chaque transfert d’information est protégé, entre vous et votre opérateur, entre l’opérateur et les annuaires qui nous permettent de naviguer sur le web, entre le web et la structure Internet. Mais dans la structure, comment cela se matérialise-t-il ?

Avec des serveurs posés sur l'infrastructure de Sipartech . On va vous proposer notre annuaire, un DNS qui ne prend pas vos IP. Aujourd'hui, par exemple, Google privilégie le plus court chemin. Avec nous, vous pourrez accéder à un site par des ordinateurs intermédiaires (un ou plusieurs) et revenir par d'autres chemins, d'autres ordinateurs intermédiaires. L'aller, et le retour peuvent être aléatoires, être choisis par vous. Ni vous, ni le site que vous visitez ne connaîtront les IP respectives. Plus nous mettrons d'ordinateurs entre les deux, plus nous créerons de ponts et plus vous allez anonymiser et sécuriser très fortement vos informations.

« Cloudfare sur le DNS, Tor sur le reste. Les deux ensemble, mixés, c'est Altrnativ.net »

Techniquement donc, on est ici sur ce que l’on appelle un service DNS over HTTPS (du DoH donc). On rappelle que c’est un protocole qui chiffre les requêtes DNS et les protège par la suite, ce qui permet, si tout va bien, de ne pas savoir sur quels sites ou services on a pu naviguer, vous le disiez.

La grande nouveauté, ce sont les deux brevets du CEA .NET, qui nous permettent en plus du DNS over HTTPS de naviguer via des PC intermédiaires. Cela peut ressembler à un Tor européen, mais un Tor sans le cacher, où l'ensemble des nœuds sont distribués avec des ONG et des sociétés qui ne peuvent pas connaître l'ensemble de l'infrastructure, et un Tor qui va vous permettre d'aller sur un Net totalement sécurisé, où l'on aura regardé la page pour savoir si elle ne relaie pas de contenus pédopornographiques, liés à la drogue, au terrorisme ou à la vente d'armes. Le reste est totalement accessible.

© Altrnativ

Le parallèle peut aussi être fait avec Cloudfare...

Cloudfare sur le DNS, Tor sur le reste. Les deux ensemble, mixés, c'est Altrnativ.net.

Altrnativ.net permet, je cite « d’assurer la sécurité et l’anonymisation de la navigation tout en réduisant les risques d’intrusion dans les systèmes informatiques. Cette solution s’adresse aux entreprises, administrations et citoyens ». Vous semblez ici reprendre votre promesse faite avec Qwant. Est-ce que cela ne sera pas trop difficile ?

Non, c'est même très simple. Pour le citoyen, ce que l'on veut, c'est lui donner, par le navigateur, la possibilité d'activer ou de désactiver notre sécurisation. Et si nous avons fait un ALT+R ce n'est pas pour rien, car cela suffira à déclencher notre sécurisation. Le « R » c'est le « r » de reboot, ça représente le fait d'avoir envie de se protéger. En installant un plug-in, vous serez sécurisé. C'est notre idée pour le grand public.

Concernant les entreprises ou les États, c'est plus complexe, les systèmes doivent être installés directement sur les routeurs, sur les infrastructures sécurisées, là où vous auriez posé vos VPN.

« En installant un simple plugin via votre navigateur, vous serez sécurisé »

Vous parliez de reboot, Reboot the net, c'est votre slogan d'ailleurs...

Je pense que le Web est arrivé à un tournant. Soit on lui donne la possibilité d'être ouvert et de confiance, soit on donne la possibilité à chacun d'entre nous de se promener sur Internet, de faire tout ce que l'on a à y faire. On va passer plus de temps sur Internet, à cause de la COVID notamment. Et si la navigation n'est pas sécurisée, vous, moi, à la limite, sommes nés avec des ordinateurs, mais que se passe-t-il pour celles et ceux qui n'ont pas l'habitude et qui ne savent pas se protéger ? Et je ne parle même pas de nos petites entreprises, qui ont d'autres problèmes aujourd'hui et qui ont besoin de sécuriser facilement, d'installer des choses simples qui leur permettent de travailler dès le lendemain.

© Altrnativ

En ce qui concerne Altrnativ.radio, ici on se dirige plus vers le BtoB, comme nous en parlions. Je crois savoir notamment que vous pensez IoT et 5G. Comment allez-vous tout corréler avec votre solution ?

Avec Altrnativ.net, on vous donne un réseau internet très sécurisé, pour passer de la donnée médicale ou du gaming etc. Altrnativ.radio, c'est la récupération de tout ce qui est radio autour de nous, donc les satellites, les avions et les bateaux, mais c'est aussi l'IoT.

Toute cette partie radio, c'est la récupération du monde réel pour le ramener sur le virtuel. Entre les deux, la seule plage un peu différente reste de la radio (2G, 3G, 4G, 5G), mais elle nécessite de devenir opérateur. Et sur celle-ci, vous apprendrez que nous sommes aussi opérateur et que nous allons très rapidement ajouter cette petite corde à notre arc, et permettre de passer du web à la 5G, en récupérant aussi la radio. Quand vous avez fait ça, vous voyez tout simplement tout ce qui est en train de transiter, que ce soit en physique ou sur Internet, et c'est cette offre-là qu'Altrnativ propose. L'armée nous a déjà adressé des commandes. Pour les bateaux, vous pourrez par exemple savoir combien de navires arrivent juste après une tempête. Et nous pouvons voir les satellites. Nous avons de très belles images de la constellation Starlink, que l'on a pu voir en temps réel sur nos systèmes.

Au niveau des tarifs, vous partez sur une offre à 8 € pour les particuliers. En échange de ce tarif, à quoi peuvent prétendre les utilisateurs ? Allez-vous créer une gamme d'offres ?

Notre offre aujourd'hui vous apporte un DNS sécurisé et .NET qui va vous permettre de naviguer sur Internet de façon sécurisée et totalement anonyme. Notre idée globale est que cette offre soit meilleure que ce que vous pouvez trouver sur le marché avec un VPN simple ou DNS simple. Aujourd'hui, un VPN de très bonne qualité qui ne conserve pas vos données, ça varie entre 10 et 15 € par mois.

À 8 €, nous sommes moins chers et amenons quelque chose qui augmente votre capacité de sécurisation et votre capacité d'anonymisation. Aujourd'hui, il sera difficile de trouver la même offre sur le marché.

« Altrnativ.radio, c'est la récupération de tout ce qui est radio autour de nous, donc les satellites, les avions et les bateaux, mais aussi l'IoT. Toute cette partie radio, c'est la récupération du monde réel, pour le ramener sur le virtuel »

Pour l'instant, vous avez pu vous entourer d'environ 25 collaborateurs (dont des externes). Quel(s) profil(s) retrouve-t-on chez vous ?

Parmi nos collaborateurs, vous avez des gens comme Gaël Musquet, @RatZillaS sur Twitter, qui s'occupe de tout ce qui est radio. Il prépare depuis plusieurs années des technologies d'alerte aux populations ou tout ce qui est recherche radio. Il est entouré d'une équipe d'ingénieurs qui l'aide à finaliser ses différents produits. Certains sont à mes côtés depuis des années, mais je connais déjà la plupart d'entre eux. Au-dessus de ces ingénieurs, nous avons une équipe dirigeante aujourd'hui constituée de Leonard Cox (ex-Qwant, ndlr.) par exemple. L'équipe est là pour faire grandir une société dont l'ambition est européenne.

Qui vous a aidé à monter la société financièrement ?

Nous avons des partenaires stratégiques comme Sipartech et NVIDIA qui nous suivent. Certains de nos partenaires ont envie de participer à l'aventure en tant qu'acteur financier.

La crise de la COVID-19 vous a-t-elle retardé dans le lancement ?

Nous avons des produits, que nous devions faire fabriquer en Chine, qui ont été retardés. On essaie de les faire produire en Bulgarie. Mais le lancement lui-même démarre. Nous espérons rattraper notre retard dans les deux mois qui viennent.

Quelques mots justement sur vos partenaires, Sipartech et NVIDIA ?

Sipartech, c'est 25 000 kilomètres de fibre noire posée dans toute l'Europe. C'est dans le réseau de Sipartech que j'installe les serveurs d'Altrnativ, afin d'avoir la vitesse la plus rapide possible pour tout ce qui est DNS et navigation sur Internet, malgré le fait que vous allez passer par plusieurs serveurs et que vous allez anonymiser et sécuriser vos balades. Et ce dans toute l'Europe.

« La 5G ? On est dans la chasse aux sorcières, ou dans la politique politicienne »

Concernant NVIDIA, le partenariat s'opère via deux axes. Un premier sur l'intelligence artificielle, vu que nous sommes en train de constituer un réseau hautement sécurisé de partage de données qui peuvent être très sensibles, on opère avec eux sur du calcul d'intelligence artificielle pendant la navigation, afin de traiter les gros fichiers avant de les transférer sur votre mobile.

Ces technologies de l'intelligence artificielle nous permettent de lire les pages et de savoir si la page est propre. C'est le genre de choses que nous faisons avec NVIDIA. Côté radio, toutes les photos satellites, toutes les récupérations de data sont traitées par des NVIDIA Jetson, afin de de poser de l'intelligence artificielle sur les images que nous récupérons, et de retrouver immédiatement Space X au milieu de toutes les étoiles. NVIDIA sert à faire de l'IA à plusieurs étages. Et le réseau de Sipartech nous sert à faire transiter les données de façon sécurisée le plus rapidement possible dans toute l'Europe.

© Altrnativ

5G, Taxation sur les géants du numérique, le regard d’Éric Leandri sur l’actualité

Vous le savez, la 5G fait face à la contestation d'élus écologistes et de gauche, qui réclament un moratoire. Que pensez-vous de tout cela ?

Je peux comprendre beaucoup de choses. Mais ce que je n'admets pas, c'est lorsque c'est totalement contre la science. Au bout d'un moment, on peut faire des essais, des tests, on peut vérifier des choses, mais il faut rester scientifique. Sinon, la Terre est plate vous savez, pour beaucoup de gens.

Les élus peuvent avoir peur pour les populations, mais une fois que les tests sont faits, essayons de retomber sur Terre. J'en ai vu en train d'arrêter l'installation d'antennes 4G. Le plus grand système de rayonnement radio qui soit, c'est le Soleil ! Vous me dites comment on l'arrête ? Ne soyons pas aveugles parce que certains peuvent sortir des produits qui peuvent poser problème, la radio peut poser problème. Mais là, on est dans la chasse aux sorcières, ou dans de la politique politicienne. Essayons de redescendre sur des choses réelles.

Et pour finir, parlons un instant de la taxe GAFA. Bruno Le Maire a rappelé il y a quelques jours que les États-Unis ne veulent véritablement pas de cette taxe GAFA et, qu'en gros, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher les négociations au sein de l'OCDE. Pensez-vous qu'au final, on parviendra à instaurer une taxe internationale, européenne ou même nationale de façon durable ?

Dans ce monde, quand vous faites de la croissance et de l'argent grâce aux différents pays où vous êtes présent, il faudra de toute façon, à un moment ou à un autre, que les géants participent, contribuent à ce qu'ils ont pu prélever dans ces zones. C'est cohérent, c'est normal, et c'est au niveau l'OCDE. Les élections américaines approchent, tout le monde se bat pour montrer qu'ils sont encore plus forts pour protéger leurs frontières et gagner encore plus d'argent.

Je comprends la logique américaine, je comprends la logique européenne et celle de Bruno Le Maire. J'espère que l'OCDE va mettre une logique mondiale à tout cela. C'est normal : vous créez de la valeur, vous la captez dans différents pays, vous devez de toute façon redistribuer, notamment avec une taxe qui puisse permettre à ces pays de continuer à former des ingénieurs qui vont ensuite remplir les rangs de ces grandes entreprises.

C’était le mot de la fin ! Merci d’avoir répondu à nos questions Éric Leandri.

Merci à vous.