anonymat vie privée banner #disc

Après l’essor des réseaux sociaux dans les années 2010, les années 2020 se placeraient sous le signe de l’anonymat. Messageries sécurisées, pseudonymes, photos qui ne montrent pas de visage, la gen Z s’éloignerait de la lumière des spotlights d’Instagram pour privilégier des espaces privés réduits.

C’est en tout cas ce qui ressort d’un article de The Atlantic, qui a enquêté sur ce phénomène de retour à « l’ancien » Internet par la nouvelle génération, celui d’avant les réseaux sociaux. Volonté d’exister différemment en ligne, outils sécurisés devenus plus faciles d’accès, prise de conscience politique, les raisons de ce changement de philosophie sont multiples.

Les années 2010, l'ascension d'un nouvel Internet désormais critiqué

Avec l’essor des réseaux sociaux et un smartphone dans chaque poche, les années 2010 ont vu apparaître une nouvelle façon d’exister sur Internet. Les internautes partageaient à chaque seconde leur image, leur localisation, des instants de vie et tout ça sous leur vrai nom, aussi bien à leurs proches qu’à de parfaits inconnus. Une démarche encouragée par ces nouveaux sites, qui apprécient peu pour certains d’entre eux l’utilisation de pseudonymes. Avec les conséquences que l’on connait : journalistes rattrapés par des discussions sur des groupes qu’ils pensaient privés, politiciens hantés par de vieilles publications sur leurs profils personnels mais accessibles à tous…

Durant ces années, dans un monde où il est possible de lier des actions virtuelles à une identité réelle, l’anonyme est presque devenu un ennemi. Il devient le visage de 4chan et de ses actions haineuses de type Gamergate, des subreddits discutables, du harcèlement en ligne où ces personnes sous pseudonymes profiteraient de leur avantage sur celles qui partagent leur vie sur les réseaux. Au point où le législatif s’en mêle, avec de nombreuses propositions de lois qui cherchent à casser l’anonymat sur Internet, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans l’utilisation des cryptomonnaies. Avec en fond une seule question : si vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi vouloir se cacher ?

Mais les années 2010, ce sont également les révélations d’Edward Snowden, un manque de confiance grandissant dans les plus grandes entreprises de technologie et une augmentation de l’activisme en ligne et dans la rue. Lassée, une nouvelle génération semble donc prête à laisser tomber la mise en avant de soi et à privilégier des espaces plus restreints, où elle peut exister sans être scrutée à chaque instant, et ce, loin des yeux des GAFAM. Une tendance facilitée par l’apparition de nouveaux outils et espaces de discussion.

L’anonymat, le nouveau cool

Une dizaine d’années après l’avènement des réseaux sociaux, une partie de la génération qui a le plus grandi avec eux se demande donc si ça vaut vraiment encore le coup d’être soi-même sur Internet. À part les quelques-uns qui arrivent à accéder ainsi à la célébrité et la richesse, les personnes décrites dans l’article de The Atlantic ont parfois l’impression de ne pas réellement réussir à exister dans un espace numérique où il est possible que demain, un futur employeur leur demande de se justifier sur chacune de leurs publications.

On voit ainsi le retour en force d’anciennes façons de communiquer. Au très personnel Facebook et au plus large Twitter, une certaine partie des utilisateurs actuels semble préférer un entre deux : la possibilité de discuter avec des inconnus que peut donner un Twitter, mais en privilégiant la création d’un cercle qui correspond à ses intérêts, le tout sous pseudonyme. Discord, un système de messagerie instantanée divisés en serveurs, continue de monter en puissance. On voit également le retour de Tumblr, tombé en disgrâce après sa volonté d’interdire les contenus NSFW, dont la majorité des nouveaux utilisateurs proviennent de la Gen Z d’après une porte-parole interrogée par The Atlantic. Aux vidéos permanentes de YouTube, plusieurs utilisateurs leur préfèrent l’éphémère d’un Snapchat. Et Reddit et ses petites communautés créées autour d’un centre d’intérêt commun deviennent désormais une part essentielle d’Internet, au point que certains se demandent si le forum ne pourrait pas devenir à force une alternative aux moteurs de recherche classiques.

Une prise de conscience

Mais plus qu’une volonté d’exister autrement sur le net, il y a également une prise de conscience de l’utilisation de nos données personnelles par les différentes entreprises dans ce retour de l’anonymat. Les révélations de Snowden, et plus tard l'affaire Cambridge Analytica, ont fait comprendre à tous que toutes nos actions, peu importe leur nature, sont scrutées à chaque instant par les gouvernements et les entreprises de tech. Nos mails innocents peuvent être utilisés pour de la publicité ciblée, nos publications deviennent un moyen de manipulation politique, nos recherches mettent invariablement plusieurs entreprises commerciales sur notre trace et chaque interaction est prétexte à nous vendre quelque chose. Nos réseaux sociaux sont passés au peigne fin par des gouvernements soucieux de protéger leur pays et par de peut-être futurs employeurs. Pour lutter contre cela, il a donc fallu prendre de nouvelles habitudes.

Les années 2020 fournissent désormais à tous et toutes des solutions à chacun de ces problèmes. Des outils qui semblaient être autrefois réservés à des personnes avec des besoins très particuliers de confidentialité deviennent des applications utilisées quotidiennement par tout un chacun. Exit Facebook Messenger et WhatsApp, bonjour Signal et Telegram, deux messageries instantanées sécurisées qui gagnent en popularité à chaque instant, aussi bien dans les groupes politiques que dans la vie quotidienne.

Sentant le vent tourner, plusieurs entreprises se sont engouffrées dans la brèche et proposent des alternatives aux GAFAM, respectueuses de la vie privée et sécurisées, sans trop rogner sur la facilité d’utilisation et les fonctionnalités. On peut par exemple citer Proton, qui s’est récemment fait une beauté, et qui se vante d’être une alternative crédible au géant de Mountain View. Il n’est plus si rare aujourd’hui de voir des personnes certes très connectées, mais pas forcément techniques, troquer leur adresse Gmail pour une adresse Proton. La popularité des logiciels VPN illustre également parfaitement cette volonté d'anonymat. De logiciels confidentiels, ils sont devenus les meilleurs partenaires commerciaux des influenceurs, utilisés régulièrement par le grand public. Avec l’avancée technologique, le chiffrement n’est plus l’apanage de quelques geeks, mais une fonctionnalité basique et essentielle pour de nombreux utilisateurs.

Les GAFAM eux-mêmes se font la guerre sur ce terrain. Quand Google cherche à faciliter la publicité ciblée, Apple, moins dépendant de cette source de revenus, donne des outils à ses utilisateurs pour l’éviter. Installer des adblocks et autres bloqueurs de traqueurs devient une habitude quasi automatique pour plusieurs millions d’utilisateurs, au point que certains navigateurs les incluent directement en leur sein tout en implementant les protocoles d'un Web3 décentralisé.

Après une dizaine d’années d’un entre-deux inconfortable, où les données personnelles étaient versées à intervalle régulier sur les serveurs des GAFAM et où tout un chacun partageait chaque détail de sa vie, le vent semble tourner. L’anonymat redevient peu à peu une part importante de la vie numérique, et la recherche de la protection de sa vie privée, une donnée essentielle dans le choix de ses applications et habitudes en ligne. Une tendance facilitée par un accès aisé à des outils de plus en plus avancés techniquement et de nouvelles façons de communiquer.

Source : The Atlantic