Electronique : rouvrir les mines en France pour éviter la domination chinoise ?

Alexandre Broutart
Publié le 18 mars 2016 à 18h42
Les matériaux de certains appareils électroniques sont produits à l'étranger dans de mauvaises conditions. Afin que cela cesse, la France pourrait rouvrir ses propres mines.

Il a d'abord fallu dénoncer. Les catastrophes humaines et écologiques liées à l'extraction de minerais ont fait l'objet de nombreux scandales ces dernières années, et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) voudrait que ces productions soient mieux contrôlées. Elle préconise de cesser d'importer ces métaux de Chine et de relancer l'extraction minière sur le sol français.

Tous les nouveaux produits électroniques, du smartphone aux fusées de la NASA, nécessitent de plus en plus de « terres rares » (terme utilisé pour définir les métaux électromagnétiques) et de métaux critiques (en quantité insuffisante). Devant cette explosion de la demande, la Chine est quasiment seule à subvenir aux besoins mondiaux : elle est le premier producteur et exportateur mondial de 40 des matières minérales les plus importantes. « Le maillon faible est la capacité d'effectuer un bon degré de contrôle du côté chinois » dit Patrick Hetzel (LR), rapporteur de l'organisme.

D'après Amnesty International, ses normes écologiques et humaines ne sont pas les nôtres. Ainsi les pays riches joueraient un double-jeu gênant : « C'est le syndrome "not in my backyard" » lance Patrick Hetzel, « on souhaite profiter mais pas développer l'activité sur notre sol  ». Depuis quelques années, les sites d'extraction miniers en Chine et en Inde polluent les territoires environnants, quand ils ne sous-traitent pas à des sites africains.

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Sociétés ayant recours aux entreprises minières chinoises (Amnesty International et Afrewatch)


Pendant la table-ronde organisée à l'Assemblée nationale sur le sujet, le géologue Patrice Christmann s'insurge : « Comment est-ce qu'on encourage les entreprises qui respectent vraiment les normes... qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on laisse le "produire n'importe quoi n'importe comment" entrer sur le marché ?  », « si nous ne le voulons pas, il nous faut une infrastructure européenne de qualité. »


Résurgence d'un monde perdu

Une première solution face à ce problème mondial serait d'imiter l'attitude américaine. La section 1502 de la loi Dodd-Frank demande aux entreprises cotées en Bourse de mettre en place une meilleure traçabilité concernant leur chaîne d'approvisionnement en métaux. Cette loi aurait contribué à quelques efforts législatifs en Chine, selon le ministère français des Affaires étrangères.

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21 juillet 2010 : Barack Obama signe la loi « Dodd-Frank »


L'enjeu n'est pas qu'écologique : ces secteurs sont peut-être un levier économique en puissance, et l'extraction pourrait faire renaître de ses cendres les emplois miniers en France. On parle de fortes potentialités en tungstène, antimoine, lithium, étain, fluorine, et en or, sur tout le territoire.

Les besoins en métaux à venir

Ajouté à cela, un autre phénomène est sur le point de changer la donne : la politique de transition énergétique implique que nous consommions beaucoup plus de métaux que par les années passées. Mais si cette consommation n'est pas préparée, le risque d'un pullulement de mines « sauvages » serait majeur, selon les experts invités ce jour-là à l'Assemblée. Ils pointent l'urgence de mieux considérer les besoins à venir. Le cuivre, prépondérant dans les liaisons entre panneaux solaires ou éoliennes, « n'est que l'un des nombreux exemples de ressources dont nous pourrions manquer ».

Mais comment « Redonner le gout de la mine » s'interrogent les intervenants, cette culture historique dans le nord, qui regarde désormais ses terrils comme les témoins muets d'une époque révolue. Comment aboutir à une acceptabilité sociale de ces activités, qui ont laissé en France l'image que nous en a offert Zola, et comment, aussi, « redonner confiance aux populations qui habitent près de sites d'extraction ? »

Production à hauts risques

En parallèle, il y a aussi le traitement des minerais. Si elles sont à risques, les matières premières nécessitent des techniques de pointe pour ne pas représenter un danger humain et écologique. Les experts rappellent qu'il n'y a pas si longtemps, la France était en pointe dans le traitement des minerais.

L'ingénieur Alain Rollat (Solvay) dit que pour diverses raisons politiques et économiques, elle a pourtant préféré fermer ces usines en déléguant cette responsabilité aux exportateurs. Il affirme que toutes les terres rares contiennent une part, même infime, de radioactivité. En fermant progressivement les usines françaises qui savaient traiter et stocker cette radioactivité (il prend l'exemple de l'usine de la Rochelle dédiée aux terres rares), « on a transféré le problème vers la Chine et je ne suis pas sûr, dira-t-il, que les conditions d'exploitation en Chine valent vraiment la grande maîtrise que l'on avait de ces traitements ».

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Archives : L'usine de Solvay à La Rochelle, ex-Rhodia et ex-Rhone-Poulenc © PHOTO ARCHIVES DOMINIQUE JULLIAN


Car ces activités nécessitent la surveillance de l'eau et de l'air, qui peuvent être contaminés par le gaz du radon qui est radioactif. Pour Gilles Bordier du Pôle de valorisation des sites industriels, « on a un certain nombre de friches industrielles en France, qui peuvent être contaminées ».

Hors la radioactivité, le toxicologue Roland Masse note que le traitement des minerais a des impacts sur la santé potentiellement nombreux, bien que difficiles à définir avec certitude. Il évoque le caractère récurrents de la remarque : « les données scientifiques manquent concernant les effets à long terme », en particulier pour les terres rares. L'une des solutions proposée au cours des débats à l'Assemblée serait la création d'une plateforme de toxicologie environnementale, qui centraliserait chaque nouveau rapport d'expert. L'équivalent du portail d'information minier mineral info, mais sur le plan toxicologique.

Le respect des normes coûte plus cher

Au cours des débats, Patrick Hetzel demandera ouvertement au représentant de la firme minière Rio Tinto, s'il existait une appétence de la part de leurs clients pour payer plus cher cette meilleure traçabilité des terres rares et des métaux. L'entreprise, qui dit compter Apple parmi ses clients, ne donnera pas de réponse. Un exemple, celui des joailleries dites « éthiques », fera pourtant penser que la demande croissante de productions responsables pourraient rendre attractives des mines plus normées.

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Rio Tinto et Aluminum Corporation of China (Chinalco) projettent d'ouvrir une mine de classe mondiale à Simandou (Guinée du sud)


Pour Thierry Meilland-Rey, responsable de carrières de ciment, la question se pose aussi pour les français eux-mêmes, qui ne seront peut-être pas capables de « faire l'effort de préférer les produits français à ceux de l'étranger, moins chers mais ne respectant pas, et de loin, les normes. »

Un sujet qui fait peur aux entreprises

Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, interrogera l'écart qui peut exister entre les discours rassurants des industriels et la réalité, « qui l'est moins ». En prenant directement à parti le représentant d'Areva, il évoque les exploitations minières du groupe, à Bakouma (République centre-africaine). Dans cette affaire, Areva serait accusé de ne pas avoir fait les travaux de réhabilitation nécessaires pour protéger les salariés et la population environnante du rayonnement, après avoir abandonné ses structures. Pour sa défense, le porte-parole du groupe plaidera qu'il leur fut impossible de terminer les travaux de réhabilitation aux vues des conflits armés qui naissaient alors.

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Tableau des sociétés minières chinoises sous-traitant en Afrique


« C'est absolument nécessaire (d'auto-produire nos minerais) » insiste Genolé Cozigou de la Commission européenne, qui évoque aussi des conflits avec la Chine sur le traitement des terres rares, engagé par des entreprises éco-responsables : « gagné au bout de trois ans, vous finissez avec un permis au bout de six, sept ans, et l'investisseur est parti. »

Pour que le projet d'un retour aux mines et aux usines de traitement ait vraiment lieu en France, l'OPECST préconisera la multiplication des structures de conseil aux entreprises d'extraction, une révision du code minier, et le renforcement d'une « économie circulaire » (recyclage), existante au sein des pays mais mal définie en Europe.

L'OPECST n'a pour l'heure aucune proposition de loi concrète sur le sujet. Mais ses tables-rondes ouvriront peut-être le champ à d'éventuelles réformes à venir, après l'initiative « mines responsables » lancée par Emmanuel Macron l'an passé.

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