Clubic : Vous êtes née et avez grandi dans le New Jersey. Qu'est-ce qui a motivé votre départ vers Paris ?
Michelle Gilbert : Venant d'une famille assez simple, je n'avais pas le choix que d'étudier à l'Université publique de Trenton State College. De plus en plus tournée vers l'international, je suis rapidement devenue la Présidente de l'association des étudiants étrangers. J'avais envie de partir.
Un soir, alors que j'étais serveuse dans un restaurant, j'ai rencontré à la plonge celui qui allait devenir mon mari et le père de mes enfants. Un Parisien. Nous avons rapidement décidé de partir tous les deux à Paris. Une fois installés dans une chambre de bonne minuscule, nous nous sommes mariés et j'ai fini mes études à la Sorbonne en langues vivantes.
Comment avez-vous intégré l'écosystème digital ?
M. G. : Je suis arrivée en France en 1990, donc le digital en était à ses balbutiements. J'ai démarré ma carrière dans la communication, le marketing, la traduction et le business development pour Euro RCSG (Havas aujourd'hui, NDLR). C'est à ce moment-là que j'ai réalisé pour la première fois à quel point la France était un pays créatif, qui regorgeait de talents - surtout dans le domaine de la publicité.
Deux ans plus tard, j'ai été embauchée par BMG pour créer des CD-CDRoms. C'étaient les premiers CD qui permettaient d'avoir du contenu multimédia en plus de la musique. On a par exemple commencé à intégrer les clips des chansons sur les albums. À l'époque, c'était très moderne !
Vous avez aussi participé au lancement d'AOL en Europe...
M. G. : Effectivement, quelques mois après être arrivée chez BMG, l'entreprise a été rachetée par le géant Bertelsmann. Ce dernier a fait une joint venture avec AOL en Europe.
C'est à la photocopieuse de BMG qu'on m'a proposé si je voulais lancer AOL. On était en 1995. Je suis restée 10 ans à ce poste.
Vous avez quatre enfants. Quelle incidence a eu votre maternité sur votre carrière ?
M. G. : Après dix ans passés chez AOL, j'ai travaillé chez Eurosport pendant six ans. Puis, un jour, j'ai reçu un coup de fil de Facebook. La première réaction de la recruteuse a été de me féliciter d'avoir quatre enfants. Elle m'a même dit « C'est une force ! » D'ailleurs, chez Facebook, les hommes et les femmes ont tous la même période de congé parental : quatre mois.
J'ai tout de suite apprécié cette culture du renforcement positif, si cher à la culture américaine. Quand je suis arrivée, on m'a fait confiance et j'avais carte blanche pour diriger la communication en Europe.
La politique de diversité appliquée par Facebook est-elle différente de ce qu'on voit habituellement dans la Silicon Valley ?
M. G. : Chez Facebook, on a la chance d'avoir Sheryl Sandberg en numéro deux. Elle assure la diversité au global.
85% des utilisateurs de Facebook habitent hors de l'Amérique du Nord. Il est évident que nous devons refléter cette diversité dans nos locaux. Sinon, comment pourrait-on affirmer comprendre nos utilisateurs ? À vrai dire, je pense que la diversité rend plus créatif. On embauche des femmes enceintes, on peut travailler depuis chez soi... Il y a une certaine confiance qui s'installe.
En revanche, dans la Silicon Valley, la diversité est plus difficile à atteindre. C'est pour cela que nous avons lancé là-bas des programmes pour les femmes issues des minorités hispaniques, pour leur faire découvrir les possibilités professionnelles. Il faut leur dire que c'est possible d'y arriver !
Quels sont les prochaines initiatives prévues par Facebook en France pour assurer la parité au travail ?
M. G. : Un sondage que nous avons commandé reflétait que 25% des femmes déclarent ne pas entièrement maîtriser les outils digitaux, alors que 83% des Françaises qui comptent entreprendre auraient besoin d'être accompagnées.
Nous allons donc lancer un programme national inspiré de notre mouvement #Shemeansbusiness, où nous comptons former près de 15 000 femmes aux métiers du digital, en partenariat avec Social Builder, d'ici fin 2019.
Sur un autre sujet, pouvez-vous nous en dire plus sur le nouveau programme d'intelligence artificielle lancé par Facebook ?
M. G. : Nous avons la chance d'être dans un pays qui souhaite devenir très attractif. Nous avons lu avec grand intérêt le rapport Villani. Pour moi, l'important est d'équilibrer le public et le privé. Les deux secteurs sont des vases communicants.
Nous intégrons actuellement des post-doctorants dans notre équipe d'intelligence artificielle. C'est de la recherche fondamentale, et les chercheurs viennent avec leurs propres projets qu'ils développent ici. Nous comptons tripler le nombre de post-docs d'ici fin 2018. Il n'y avait que 7 employés en 2015 dans le département de l'IA, et il y en aura près de 90 d'ici 2019.
Nous faisons principalement de la recherche sur le langage - notamment sur le second degré et les blagues, que les ordinateurs ne comprennent pas encore. On travaille aussi sur l'amélioration de la traduction. C'est avec tous ces projets que nous espérons créer un écosystème durable en France. C'est comme ça que nous réussirons à nous démarquer des autres pays. Mais ça demandera du temps et de la patience. Et surtout, de l'optimisme !