Depuis son premier décollage le 23 avril 1967, la capsule Soyouz est devenue absolument indispensable à l'industrie spatiale soviétique, puis russe. Améliorée et modifiée, elle vole toujours aujourd'hui. Et pourtant, de nombreux projets ont vu le jour pour la remplacer ! Pour l'instant, sans succès.
Sera-t-elle toujours la référence en 2030 ?
L'incontournable capsule
Avec la fusée éponyme, la capsule Soyouz est l'une des aventures les plus longues de tout le domaine de l'exploration spatiale. 55 ans et pratiquement 150 missions habitées plus tard, elle semble indétrônable, du moins en Russie. Avec ses trois places et sa capacité d'amarrage automatique, Soyouz a même été la seule option pour amener et ramener des astronautes vers et depuis l'ISS.
Fiable, robuste, peu onéreuse comparée à certaines de ses concurrentes, elle dispose aussi d'une impressionnante réputation pour sa sécurité, en tout cas ces dernières décennies. Alors, pourquoi diable la remplacer ? Quelques générations s'y sont cassé les dents en tentant, par exemple, de produire un véhicule plus gros et réutilisable. D'autres ont voulu embarquer plus d'astronautes à la fois, ou posséder des capacités inédites. Aujourd'hui encore, un véhicule est en développement, la capsule Oriol. Détrônera-t-elle la reine ?
TKS, celle qui donna naissance aux stations
Soyouz est-elle bien la plus adaptée pour les stations spatiales ? La question fait peu débat aujourd'hui, puisque la capsule a été sur l'ISS, mais aussi avant sur Mir, sur toutes les Saliout et les Almaz. Au milieu des années 60, lorsque l'Union soviétique commence à préparer des stations orbitales militaires, une idée naît : un véhicule spécialisé capable d'y emmener à la fois des astronautes et une quantité significative de cargo. Il s'agit de TKS, composé d'une capsule capable d'abriter trois astronautes, d'un passage à travers le bouclier thermique et d'une grande partie pressurisée à l'arrière. Un véritable véhicule habité de grande capacité, dont la masse au décollage peut approcher les 20 tonnes !
Pour décoller, justement, il lui faut l'aide d'un lanceur Proton, ce qui n'est pas donné. Mais TKS a au moins le mérite d'avoir volé plusieurs fois, et dans différentes configurations, bien qu'il n'ait jamais été habité. La capsule de rentrée a été testée à de nombreuses reprises, de même que la partie cargo arrière, capable d'évoluer de façon autonome en orbite.
Trop complexe, avec un usage rare, cher et mal défini, le premier ensemble TKS complet ne vole qu'en 1977. Il n'a toutefois pas su s'imposer face à Soyouz, car son usage était trop différent. De plus, le développement destiné aux besoins militaires a abouti à un véhicule double sans réelle utilité pour l'époque. La capsule n'apportait rien de plus que Soyouz, et l'ample partie cargo autonome (presque aussi grande que les stations spatiales elles-mêmes) était sacrifiée à chaque vol. De façon étonnante, c'est cette dernière qui a survécu, sous une autre forme. Le cargo, appelé FGB, a été construit en série. Il servit de base à de nombreux modules sur Mir, et on le retrouve même sur l'ISS, dont le premier module, Zarya, est l'un d'eux.
Zarya, la discrète « Soyouz en plus gros »
Malgré son nom, cette Zarya-là n'a rien à voir avec le module de l'ISS mentionné dans le paragraphe précédent. Il s'agit d'un programme né discrètement dans les années 80 et destiné à concevoir une « super Soyouz » plus imposante et réutilisable. Un premier usage était envisagé comme véhicule de secours entre des missions de la navette Bourane sur les stations orbitales soviétiques.
Le développement a pu commencer, mais ne s'est pas poursuivi très longtemps, faute de fonds… L'URSS se disloquait lentement, et d'autres programmes ont eu la priorité, comme Bourane. Soyouz restait la référence, les équipages n'ont jamais dépassé les capacités du petit véhicule. Et malheureusement, la navette soviétique, puis russe ne connaîtra jamais le succès, malgré de belles promesses. Elle aussi aurait pu, dans un monde différent, remplacer Soyouz, à l'image des navettes américaines qui ont suppléé aux capsules durant 30 ans. Mais le projet, trop ambitieux pour les moyens locaux, s'est effondré.
Kliper, la mini-navette russe
À la fin des années 90, les navettes reviennent en grâce… mais pas toutes. Les grands véhicules STS américains sont trop chers à opérer, et les Européens ont montré que sans un budget et des industriels engagés, il est impossible de réussir. La NASA se lance pourtant dans son projet X-38.
De son côté, l'agence russe aussi pense à une petite navette, Kliper, qui servirait à la fois de capsule habitée et de « véhicule de sauvetage » sur l'ISS. L'architecture est hybride, mais repose sur le principe du corps portant (elle viendrait se poser au sol comme un avion). Le projet est lancé en 2000, et son développement doit alors durer une décennie. Malgré tout, Kliper et ses 10 mètres de long pour 15 tonnes environ ne verront jamais le jour, et ce, malgré l'enthousiasme de l'industriel RKK Energia.
Réutilisable, Kliper n'a pas pu être totalement financée. Si la proposition était intéressante, le budget russe est resté engagé avec Soyouz, dont la production a même augmenté durant la décennie 2000-2010. En effet, le tourisme orbital naissant a offert de nouvelles possibilités à la vénérable capsule. De plus, il a fallu remplacer au pied levé les navettes après l'accident de Columbia en 2003, puis après leur retraite forcée en 2011. Sans parler du fait que Kliper aurait été trop lourde pour une fusée Soyouz « classique » et aurait nécessité un nouveau lanceur. Il fallait donc des moyens, et la Russie n'en avait pas assez. L'ESA n'a donc pas souhaité s'associer avec elle.
Le Crew Space Transportation System, un post-Soyouz russo-européen
En 2005, Roscosmos stoppe ses travaux sur Kliper, mais lance une étude conjointe avec les Européens pour un véhicule habité. La coopération bat son plein : la fusée Soyouz est sur le point d'arriver au centre spatial guyanais, Ariane 5 et Proton sont de grands succès commerciaux. L'idée initiale est de partager les coûts et le développement en utilisant les points forts des deux puissances spatiales.
Ce projet, parfois appelé « Euro-Soyouz », utilise une capsule du même nom, associée à un imposant module orbital européen qui repose sur les travaux du module pressurisé Columbus. Décollant de Guyane, l'ensemble aurait eu une capacité d'emport de cargo en plus de celle de trois astronautes. Mais la conception n'est pas un fleuve tranquille, autant côté institutions qu'industriels. L'ESA, qui lance en 2008 sa première grande sélection interne d'astronautes, a des vues divergentes sur le spatial habité. Le projet est finalement annulé en 2009 sans grands résultats, et aucune fusée Soyouz habitée ne décollera de Guyane.
PPTS, Federatsya : les ébauches avant Oriol
Après les échecs de navettes, de mini-navettes et de collaborations, la Russie n'a toujours pas de perspective de remplacement pour Soyouz au tournant des années 2010. Mais à peine le projet avec les Européens annulé, les études démarrent sur le PPTS, ou « Prospective Piloted Transport System ». Et cette fois, il est bien question d'une capsule.
Plus imposante que Soyouz, celle-ci utilise toutefois des moyens modernes, avec une coque en cloche pour le module pressurisé (un peu comme Crew Dragon et le futur véhicule habité chinois) et un module de service. En 2014, cette capsule prend le nom de Federatsya, qui sera changé en 2019 pour Oriol. Deux configurations devraient être disponibles si elle tient ses promesses. La première, en version « orbite basse », serait capable de transporter 6 astronautes vers et depuis l'ISS. Ensuite, une éventuelle version « lunaire » devrait pouvoir embarquer 4 passagers sur des voyages plus longs, avec une meilleure protection.
Néanmoins, même si Federatsya, puis Oriol étaient annoncées à une date aussi proche de celle du vol de la capsule américaine Orion, les retards sont nombreux (et les sanctions cette année ne vont pas aider la Russie). Le dernier délai a repoussé le vol inaugural d'Oriol, sans équipage et en orbite basse, à 2025. La capsule décollera avec une fusée Angara-M depuis le site de Vostotchny, à l'est de la Russie. Mais le supposé « successeur de Soyouz » manque de financements… Pas facile de remplacer la reine !