Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, les équipes soviétiques font des pieds et des mains pour reprendre et développer les travaux de la fusée V2. Il faudra du temps, mais de l'autre côté de l'Atlantique la course est lancée. Les intentions ne sont pas encore très spatiales…
Quand il s'agit de faire la guerre, l'innovation suit !
V2, la mère (nazie) des fusées modernes
Comprendre et copier
La fin du second conflit mondial n'était pas encore signée que soviétiques et américains avaient récupéré matériel et scientifiques du programme de conception de la fusée allemande V2. Le premier missile balistique de l'histoire pouvait embarquer ses explosifs à une portée de 270 kilomètres. Et qu'importe alors que la précision fut relativement hasardeuse (un carré de 20 km de côté, environ) et que la capacité d'emport n'en fasse pas une arme redoutable : les deux blocs ont compris l'intérêt de ces missiles, surtout au moment où les premières bombes nucléaires américaines anéantissent les dernières velléités du Japon.
Côté URSS, 150 spécialistes allemands du V2 sont ramenés en Union soviétique, tandis que deux bureaux d'études coopèrent sur le sujet des fusées : l'OKB 456 de Valentin Glouchko, qui se charge de développer la propulsion, et le NII-88 dont fait partie Sergei Koroliov (parfois orthographié Korolev). Dans un premier temps, en 1946, l'objectif est simple : Staline veut un V2 soviétique, et approuve le projet « Fusée n°1 », ou Rakieta-1, la R-1.
Dans une URSS qui fait face aux défis d'après-guerre, la tâche n'est pas aisée. Certains matériaux manquent, comme le caoutchouc ou certains composants, en particulier pour compléter les premiers moteurs fusée RD-100 de l'OKB 456. Par chance, il reste des pièces à récupérer sur les V2 d'origine. Le programme rencontre aussi des retards, parce que l'Union soviétique manque de sites adaptés, que ce soit pour les tests statiques ou de futures infrastructures de lancement. Le site choisi pour les essais est Kapustin Yar, à 100 km de Stalingrad (devenue Volgograd). La première R-1 est installée sur son pas de tir le 13 septembre 1948, et le programme commence dramatiquement par la mort du Capitaine Pavel Esseliov, qui tombe avec une plateforme provisoire installée pour accéder au panneau des instruments, sous l'ogive de la fusée.
Le tir, après plusieurs tentatives, a lieu le 17 septembre et verra la première R-1 décoller… avec son pas de tir, la fusée accrochant un câble lors de son départ. Heureusement, les équipes apprennent vite, et vont progresser sur le terrain. 9 essais auront lieu, avec un premier succès le 10 octobre 1948. La « V2 soviétique » n'est pourtant pas un fleuron national, et des versions améliorées sont vite préparées pour des essais à venir, qui se tiendront en 1949. Il faudra attendre novembre 1950 pour que le missile soit déclaré opérationnel et que la construction en série soit ordonnée pour un déploiement dans les armées. Les premières unités « de série » ne seront livrées qu'en 1952-53.
La fusée soviétique R-1 restera aussi dans l'histoire comme la première ayant permis de faire voler des animaux et de les récupérer vivants. En effet, les USA testeront quelques V2 embarquant des singes, mais les malheureux n'ont jamais revu le sol. Sur la R-1, au contraire, un compartiment à parachute est conçu pour embarquer deux chiens, et une série de vols a lieu dès 1951. Les chiennes Dezik et Tsigane reviennent d'un vol à plus de 101 km d'altitude !
R-2, mais pas D-2
Il se trouve qu'en parallèle du R-1, copie soviétique du V2 nazi, plusieurs équipes ont aussi travaillé sur une version améliorée, sur la base de designs déjà évoqués par les ingénieurs allemands avant la fin de la guerre. Le groupe de travail déporté en URSS propose sa version G-1, avec de grands changements structurels sur les réservoirs et la structure. Valentin Glouchko propose son nouveau moteur RD-101, plus compact et plus puissant, grâce à l'utilisation de méthanol à la place d'éthanol… Et finalement, c'est à nouveau Koroliov qui reçoit la responsabilité du projet R-2 en 1947.
Avec seulement quelques mois de plus par rapport à sa cousine la R-1, cette version est beaucoup plus impressionnante. La précision est améliorée, et surtout la portée est doublée à 550 kilomètres ! Le missile balistique est plus simple d'emploi et pèse toujours moins de 20 tonnes. Capable d'emporter 508 kg de charge utile (une ogive le plus souvent, qui se détache de la fusée hors de l'atmosphère), le R-2 est une arme plus redoutable que son prédécesseur, et sera produite en plus grand nombre. Quelques études envisagent même une version habitée, qui ne verra pas le jour.
R-3 la grande ambition avortée
R-1, R-2, alors pourquoi pas R-3 ? Dans la pure logique numéraire, le projet voit le jour très peu de temps après les deux premiers, avec pour ambition d'améliorer drastiquement le design du moteur et du lanceur, pour cette fois atteindre 3 000 km de portée avec une charge utile de 3 tonnes. On l'aura compris, c'est un objectif établi directement par les militaires, qui souhaitent embarquer leurs futures ogives nucléaires et menacer (ou en tout cas établir la réciprocité d'une frappe) sur l'ensemble du continent européen. Le problème, c'est que contrairement aux versions à plus courte portée, il faut faire un bond technologique de géant. La structure, les réservoirs, la propulsion, il faut évoluer sous tous les aspects : le V2 paraît bien loin, et pourtant la copie R-1 ne vole pas encore quand ce projet est lancé. Il ne se concrétisera pas, les différentes pistes technologiques n'étant pas encore au rendez-vous. Une version R-3A est envisagée et étudiée en profondeur. Celle-ci, qui ne volera pas, sera néanmoins une base de travail pour les futures fusées russes à longue portée.
R-5, un missile balistique qui menace l'Europe
Avec cette fusée, les bureaux d'études soviétiques laissent la V2 derrière eux, pour un design entièrement « made in URSS » ! L'étude est démarrée en 1952, alors que le projet R-3 patauge, tandis que les versions précédentes entrent à peine dans une phase de production en série. S. Koroliov sait qu'il peut compter sur un moteur plus puissant (mais toujours à Oxygène liquide – Alcool), le RD-103, et sur un lanceur qui mesure maintenant 22 mètres de haut. Moins ambitieuse que la R-3, la R-5 peut emmener une ogive de 1 450 kg à une portée de 1 500 kilomètres. Elle répond donc plus ou moins au besoin des autorités, qui souhaitent ardemment mettre leur dissuasion nucléaire au sein de ces armes nouvelles. La première R-5 décolle en mars 1953 et les tests qui vont se poursuivre sont concluants, mais cette version n'est pas encore adaptée pour les armes de destruction massives. Il faudra attendre la R-5M, en 1955, pour que ce soit le cas. Cette dernière fut déployée par plusieurs unités dans les armées soviétiques, et même testée le 2 février 1956 avec une ogive nucléaire.
La fusée R-5, fiable, servira aussi de banc de test pour quelques éléments de la génération suivante. Car après le développement des R-1, R-2, R-3 et R-5, Sergei Koroliov réussit à faire approuver en mai 1954 le projet R-7. Avec ses moteurs RD-107 et 108 qui fonctionnent au kérosène et non plus à l'alcool et une architecture innovante avec quatre boosters auxiliaires disposés autour d'un étage central, il peut concevoir un premier missile balistique intercontinental. Et pourquoi pas au passage tenter, avec une charge utile beaucoup plus légère, un lancement de satellite…