Plus vite, plus haut… Après le succès mondial de Spoutnik, l'Union soviétique veut à nouveau marquer les esprits. Le 4 novembre 1957, une mission précipitée envoie la chienne Laïka en orbite autour de la Terre. Un acte retentissant et une victoire dans la course à l'espace… mais une victoire bien cruelle.
Laïka reste une icône aujourd'hui !
Comment faire mieux que Spoutnik ?
En octobre 1957, l'Union soviétique célèbre sa victoire. Malgré un départ compliqué dans les années 50, le programme de recherche spatiale mené le laboratoire OKB-1 de Sergei Koroliov et ses équipes est un succès sans égal. Malgré tout, au rythme des bips bips incessants du premier objet en orbite, la première tentative américaine se prépare (et les responsables soviétiques ne peuvent pas savoir qu'elle va spectaculairement échouer). Il faut donc déjà travailler à l'étape suivante : un satellite plus gros, plus lourd, plus impressionnant. Avec quelque chose de nouveau. Les travaux sur le fameux « objet D » n'ont pas encore abouti, mais les politiciens veulent un deuxième tir avant le 7 novembre pour l'anniversaire des 40 ans de la révolution russe. L'idée d'emmener un humain fait son chemin, mais il n'y a tout simplement aucun véhicule compatible, les pilotes ne sont pas prêts, et la mission est un aller sans retour. Les équipes reportent leur attention sur un animal.
À l'époque, le programme spatial russe a déjà réalisé des tests avec des chiens. Ces derniers, essentiellement des femelles, sont récupérés dans la rue parmi une ample population de chiens errants et vagabonds. Et même si le programme scientifique n'est pas tendre avec elles (le taux d'échec des années 50 sur des lanceurs vers l'espace…), les équipes mettent tout leur savoir faire pour ne pas avoir à sacrifier les braves bêtes.
Pourquoi, mais surtout comment faire ?
L'époque est tout de même à la hâte : plusieurs chiennes ont déjà volé à la frontière de l'espace dans des scaphandres adaptés, ou dans de minuscules capsules au sein desquelles elles sont sanglées parfois plusieurs jours le temps que la fusée décolle. Le cas de figure d'un vol orbital était déjà dans les cartons… C'est ce programme qui dicte le choix d'un chien pour le vol « Spoutnik 2 » : il n'y a pas le temps de tergiverser, c'est un petit container adapté qui sera placé en haut d'une fusée R-7 Semiorka modifiée. Selon certains, la décision pour le vol n'ayant finalement été prise qu'au 10 ou au 12 octobre, plusieurs pièces, notamment les fixations, ont été créées en même temps que les équipes finalisaient les plans.
Même s'il faut faire vite, la complexité est toute autre que pour Spoutnik, qui n'embarquait, rappelons-le, qu'une batterie, un émetteur radio, un petit ventilateur et un thermomètre, dans une sphère de 84 kg. Cette fois, en plus de l'émetteur, de deux instruments (capteur UV et rayons X, plus un compteur de particules cosmiques) et de deux compteurs Geiger, il faut embarquer un chien. La petite capsule de ce dernier mesure 80 cm de long et 64 cm de diamètre. Etanche, elle est équipée d'une petite trappe d'accès, d'un compartiment qui délivre à intervalles réguliers du gel alimentaire (qui sert pour l'hydratation autant que pour l'alimentation) et d'un petit ventilateur. L'ensemble, hétéroclite, pèse 508 kg ! Afin d'économiser un peu de masse, il n'y aura pas vraiment d'éjection du booster : le « cône » reste attaché à la partie centrale de la fusée R-7 qui l'emmène en orbite. Et le système TRAL, qui transmet la télémesure vers le sol, est adapté pour basculer ses données sur celle de l'occupant de la capsule au moment de l'extinction des moteurs.
Un sacrifice pour une première
Non seulement ces travaux sont réalisés très rapidement (trois semaines pour tout finaliser), mais il devient évident, fin octobre, que les Américains ne sont pas encore prêts pour leur tentative. L'objectif est donc très politique, et l'échec reviendrait à sacrifier le premier être vivant à partir pour l'orbite pour rien. Car la fin de mission ne fait aucun doute : la chienne qui sera choisie ne survivra pas à son vol. Rien n'équipe la capsule pour qu'elle puisse revenir à travers l'atmosphère, ni assurer longtemps la vie à l'intérieur. Idéalement, c'est le manque d'oxygène qui doit emporter la vie du chien, dans un long sommeil. Trois chiennes font partie de la sélection finale : Kudryavka, Albina et Mouchka. Mais les chiens bâtards croisés husky sont apparemment souvent surnommés « Laïka » en Russie, ce qui signifie qu'ils aboient tout le temps. Kudryavka, qui est choisie pour le vol, restera donc dans l'histoire comme Laïka. Albina constitue l'équipage de réserve, et Mouchka sera équipée avec le même matériel de mesure au sol (cardiographe, etc.) pour constituer un témoin.
Aboyons depuis l'orbite
Le décollage a finalement lieu le 3 novembre 1957, depuis le site 1/5 du centre spatial de Baïkonour. Cela fait déjà trois jours que Laïka est installée et sanglée, mais grâce aux différents exercices de préparation, les données montrent qu'elle n'est pas (trop) stressée. La fusée R-7, elle, donne son maximum. Des équipements de mesure ont encore été enlevés par rapport au vol précédent pour gagner de la masse, et le profil de vol est amélioré pour une meilleure utilisation des carburants. À tel point que Laïka et son équipement arrivent en orbite terrestre sur une trajectoire assez élevée à 211 x 1 659 km d'altitude ! La pauvre chienne est dans tous ses états, respire à quatre fois son rythme normal, avec un rythme cardiaque très élevé. Mais elle est vivante, ce qui fournit aux équipes soviétiques leur deuxième moment de gloire en deux mois. L'effet est réussi, avec le premier être vivant en orbite et les médias qui prennent inévitablement des nouvelles de Laïka, ou Muttnik (allez savoir pourquoi, aux Etats-Unis, certains ont préféré l'appeler différemment).
Les autorités soviétiques donnent le change… les premiers jours. En effet, dès la troisième ou la quatrième orbite (après 6h de vol) Laïka ne donne plus signe de vie. Il faut dire que, protection thermique défectueuse ou non, la température est très vite montée dans la capsule, à 43°C et même au-delà. De toute façon, à l'orbite suivante, la télémesure du pauvre animal ne fonctionne plus. Mais pour la presse, tout le monde va jouer le jeu jusqu'au 10 novembre, où les autorités avouent que Laïka s'est éteinte paisiblement. Il faudra attendre que les documents de l'URSS soient déclassifiés pour connaître la vérité. L'ensemble Spoutnik-2 restera finalement en orbite 162 jours avant de se consumer avec les restes de Laïka lors de sa rentrée atmosphérique.
Gagner à tout prix, mais gagner quand même
Cet exploit et cette grande première soviétique reste encore aujourd'hui un succès à l'éthique disputable. Il s'agit d'un vol spatial où le passager était volontairement destiné à mourir, et même si les droits et la vision des animaux n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui au sein de la société, ce « sacrifice » fit grand bruit. D'ailleurs, l'un des responsables de la mission, Oleg Gazenko, aurait avoué ses propres regrets après la chute de l'URSS, car la mort de Laïka ne se justifiait pas tellement par rapport à ce qu'ils avaient appris du vol… C'était en effet une première un peu vide, qui d'ailleurs ne fut pas suivie. D'autres chiens (et bien d'autres animaux) voleront en orbite après Laïka, notamment Belka et Strelka lors des tests avant la mise en œuvre de Vostok, et en un sens ces succès seront encore plus remarquables.
Mais l'histoire aura retenu la cruelle destinée de celle qui a précédé tous les astronautes. Elle est encore très célébrée aujourd'hui, avec plusieurs monuments, diverses œuvres de pop culture et des générations entières de toutous gâtés d'avoir son nom.