Après avoir sélectionné ses cosmonautes, puis testé la capsule Vostok, l'administration soviétique décide en avril 1961 de griller la priorité au programme américain Mercury. Et le modeste et inconnu Youri Gagarine s'envole en pionnier, pour une orbite qui restera dans l'Histoire.
Devenu une icône nationale, il ne revolera jamais.
Youri, Youri qui ?
Après les derniers tests de la sélection auprès des futurs cosmonautes de « l'avant-garde » début 1961, c'est bel et bien le nom de Youri Gagarine qui sort en tête de liste. Il est intelligent, apprend vite, et il a non seulement une excellente mémoire mais des réflexes affutés. Son caractère altruiste, méritant et modeste est mis en avant par ses professeurs comme ses collègues… En bonus, il correspond bien à l'idéal soviétique : né de parents paysans, avec une famille qui a durement souffert lors de la seconde guerre mondiale, il a été apprenti et ouvrier en fonderie avant de s'intéresser à une carrière dans l'aviation militaire.
Fin mars 1961, la capsule Vostok réussit un vol de simulation avec mannequin, ainsi que plusieurs animaux à bord… À Moscou, le feu vert est donné, et trois pilotes partent pour le site « secret » de Baïkonour : Gagarine, Gherman Titov et Grigori Nelioubov. Une semaine avant le vol, les autorités sur place les informent. C'est bien Gagarine qui volera en premier, Titov sera sa « doublure » au cas où. Ce dernier, jugé plus fort et plus résistant, est logiquement sélectionné pour le vol numéro deux, qui durera une journée complète. Les préparations vont bon train, et les préparatifs qu'a suivi Youri Gagarine sont peu ou prou les mêmes que ceux mis en place pour les vols Soyouz d'aujourd'hui, qui intègrent, au cours des jours et des heures précédant le décollage, des « rituels » mis en place pour le premier vol habité de Vostok. Certains sont hautement symboliques, comme le fait de planter un arbre dans l'Allée des Cosmonautes, d'autres poussent un peu la tradition à l'extrême. Les astronautes en route pour le site de lancement s'arrêtent toujours, 60 ans après, faire pipi à l'arrière sur une roue du bus, au même endroit… Comme Gagarine.
L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt pour Vostok
Levé à 5 h 30 le 12 avril 1961, ce dernier est installé dans la capsule Vostok moins de deux heures plus tard à 7h10 locales. Il y a un souci d'étanchéité sur l'écoutille principale, et des techniciens doivent prendre le temps de la manipuler. Mais Youri Gagarine reste calme tout au long de l'attente, et même du compte à rebours qui s'égrène (selon la légende, le directeur du programme, Sergeï Koroliov, dans la salle de contrôle, était particulièrement stressé). À 9 h 07, heure de Baïkonour, les moteurs du premier étage de la fusée sont allumés et montent en puissance. À sa radio qui lui crachote que le décollage a lieu et que l'équipe lui souhaite bonne chance, Youri Gagarine répond d'un mot, devenu célèbre : « Poyekhali ! » (que l'on peut traduire en « c'est parti ! »).
Fusée et capsule s'élancent vers le ciel kazakhe. Durant les premières phases, Youri Gagarine ne peut rien voir au dehors, les flancs de Vostok étant recouverts par la coiffe de la fusée, larguée après 2 minutes et 36 secondes de vol. D'abord stoïque, le pilote annonce voir la Terre à travers son viseur… Avant de s'exclamer « C'est magnifique, quelle beauté ! ». Tout se passe bien, il est le premier humain à franchir la frontière de l'espace. Mais il faudra encore attendre T + 10 minutes pour que le moteur s'éteigne et que la capsule soit éjectée. Ça y est, Youri Gagarine est en orbite !
Un premier tour de la Terre au calme
Les premiers échanges sont avant tout dédiés à la mission, et la réception des messages n'est pas extraordinaire, alors que le cosmonaute soviétique passe au-dessus de l'Est et de la Sibérie, puis au-dessus du Pacifique. En particulier dans les premières minutes, les autorités ont un peu de mal à déterminer avec précision ses caractéristiques orbitales (l'apogée de son orbite est en réalité un peu haute). Or c'est important, car pour ce vol court, Gagarine ne réalise qu'un seul tour de notre planète.
Néanmoins tout se passe bien. Les autorités ne sachant pas exactement si l'astronaute serait capable de se concentrer ou de garder toutes ses capacités motrices en impesanteur, Youri Gagarine n'avait pas grand-chose à faire que d'écrire ses impressions, d'échanger à la radio et de regarder au dehors. Sans se détacher de son siège, car souvenez-vous : il n'y en a d'une part pas la place et de l'autre cela n'aurait servi à rien. En arrivant près des côtes d'Amérique du Sud, il passe du côté « nuit » de la planète. Un dégradé de couleurs qui le marquera et qu'il évoquera plusieurs fois ensuite.
Une phase plus mouvementée
Malgré le statut de pilote de Gagarine, la capsule gère seule son orientation, et elle n'est pas équipée de moteurs pour changer d'orbite, juste pour freiner et quitter l'orbite. Ce qu'elle ne manque pas de faire d'ailleurs, en arrivant au large des côtes de l'Angola. C'est un moment critique, et si le freinage se passe bien, l'extinction n'est pas tout à fait contrôlée : la capsule se met à tourner sur elle-même, avec une rotation toutes les 10-12 secondes environ. Pour Youri Gagarine, impossible de regarder dehors : non seulement cela pourrait le rendre malade, mais en plus il peut se faire éblouir par le Soleil. Une phase désagréable débute alors, avec la rentrée atmosphérique. Le module de service ne s'est pas complètement décroché, et la capsule sphérique tourne dans tous les sens… Par acquis de conscience, le cosmonaute envoie quand même un message précisant que « tout va bien ». Heureusement, les câbles retenant le module de service brûlent, et le premier cosmonaute peut traverser l'atmosphère un peu plus sereinement. La décélération dépasse 9g à son maximum, mais le jeune homme est bien entraîné.
À 7 km du sol, l'écoutille de Vostok s'ouvre, et le système d'éjection s'active pour que Youri Gagarine puisse descendre jusqu'au sol en parachute. Là aussi, tout fonctionne correctement, et le cosmonaute se pose dans son impressionnante combinaison orange vif. Contrairement aux vols de Soyouz récents, son orbite l'a amené loin au nord de Baïkonour, il se pose donc en Russie… Sous l'œil ahuri d'un fermier et de sa fille, qui hésitent à s'enfuir. Gagarine, s'adressant à eux, leur aurait dit « Ne vous inquiétez pas, je suis un soviétique comme vous ! Je reviens de l'espace, et j'ai besoin de téléphoner à Moscou ! ». Romancée ou non, la rencontre n'a en effet pas dû manquer de piquant : la nouvelle du vol orbital de Youri Gagarine commençait à peine à faire le tour du monde.
Une orbite en pionnier…
Aux États-Unis (qui dormaient encore à cette heure-là), les échanges entre Gagarine et le centre de contrôle ont été écoutés depuis une station en Alaska. La confirmation du vol est donc rapidement obtenue, d'autant que les paramètres orbitaux sont cohérents et que les Etats-Unis en particulier savaient (même si certains refusaient de le voir) que l'URSS était sur le point d'envoyer un astronaute dans l'espace. Le vol de Vostok-1 aura un retentissement mondial, de la même portée que celui de Spoutnik trois ans et demi plus tôt. Aujourd'hui, plus de 600 personnes ont franchi la frontière de l'espace…