Après 1975, certains en URSS pensaient avoir éliminé la majorité des problèmes des stations spatiales, grâce aux nombreux essais des années précédentes. Mais avec Saliout 5, ils n'étaient finalement pas au bout de leurs peines, malgré les succès de deux rotations d'équipages !
De quoi réfléchir pour la prochaine génération, encore plus ambitieuse !
La station des militaires
Depuis 1971, l'Union soviétique progresse pour disposer de stations spatiales. Face à l'insolente réussite du programme Skylab américain, la station Saliout 4 a réussi en 1975 à redorer le blason de la cosmonautique, mais il y a encore beaucoup de doutes. Les équipes au sol sont déjà au travail sur la génération suivante de stations, qui pourront accueillir des véhicules cargos et des équipages sur le long terme.
Le côté civil du programme, en tout cas, juge qu'il n'a plus besoin d'envoyer de station DOS. Mais ce n'est pas le cas des militaires ! Il reste en effet une dernière station de type Almaz équipée, et elle sera testée, puis envoyée à Baïkonour pour un décollage en 1976. Néanmoins, comme ce fut le cas plus tôt, pas question pour l'Occident de savoir qu'il s'agit d'une station à l'usage des forces armées. On la baptise donc Saliout 5.
Imposante, oui, mais utile aussi
Cette station spatiale à module unique d'environ 19 tonnes décolle grâce à un lanceur Proton, proche de la limite de ses capacités de charge le 22 juin 1976. Le déploiement initial est automatisé : la station vole entre 223 et 270 kilomètres d'altitude, gère son orientation seule grâce à un système gyroscopique et dispose de panneaux solaires pivotants pour suivre la course solaire et maximiser la charge de ses batteries.
Elle n'a qu'un port d'amarrage (pour Soyouz), mais elle embarque aussi une imposante capsule de retour, capable de ramener jusqu'à 100 kg de pellicules (et quelques petits résultats d'expériences sur Terre). Des pellicules ? Oui, car n'oublions pas que nous sommes en 1975. Almaz est équipé d'une petite merveille, le télescope Agat, capable d'après les documents de l'époque d'obtenir des clichés d'une résolution de seulement 30 cm/pixel ! Saliout 5 doit pour cela accueillir ses deux occupants et les entraîner pour des missions longues : plus de deux mois…
Un début sur les chapeaux de roues
Le 6 juillet 1976, la capsule Soyouz 21 décolle depuis Baïkonour avec à son bord le premier équipage à rejoindre Saliout 5. L'expérimenté Boris Volynov et le jeune Vitaly Zholobov s'amarrent avec succès à la station le lendemain de leur décollage, puis démarrent leurs observations ainsi qu'une longue liste d'expériences (un four allemand Kristall qui permet d'observer la formation de cristaux est notamment à bord). Il semble tout de même que leur tâche principale ait été d'observer depuis l'orbite l'un des exercices militaires conduits cet été-là par l'URSS, avec des manœuvres de grande échelle.
Il y a toutefois une drôle de surprise. La mission devait initialement durer deux mois ou plus, mais Soyouz retourne déjà se poser sur Terre le 24 août, sans explications plus poussées des autorités. En réalité, les justifications varient. Officiellement, l'atmosphère au sein de Saliout 5 aurait été contaminée par des vapeurs d'acide nitrique. D'autres sources évoquent un problème de santé pour Zholobov, et même un conflit entre les occupants de la capsule. Cette dernière connaît une descente mouvementée et se pose d'ailleurs à 200 kilomètres du point de récupération prévu.
Quand ça veut pas…
L'Union soviétique peut se consoler en cet automne 1976 de cette fin un peu abrupte en soulignant qu'avec une première rotation d'un mois et demi, ce n'est pas non plus un échec. En raison du calendrier et d'autres missions, le prochain équipage ne peut cependant être prêt à partir que le 14 octobre, date à laquelle Soyouz 23 décolle avec Vyacheslav Zudov et Valery Rozhdestvensky.
Mais les deux cosmonautes vont jouer de malchance. Leur système d'approche automatisé fonctionne mal, si mal que finalement arrivés près de Saliout 5, il ne leur reste pas assez de carburant pour tenter une approche manuelle (pour laquelle, selon les sources, ils n'avaient pas été formés). Le résultat est sans appel, il faut rentrer sur Terre. Là encore, c'est la scoumoune.
Il leur faut attendre plus d'une demi-journée pour avoir une bonne fenêtre d'entrée atmosphérique près de Baïkonour, et finalement, rien ne se passe comme prévu. La capsule rate la zone de récupération et se pose… dans le lac Tengiz, à 8 kilomètres des côtes et dans des conditions de blizzard. Les deux cosmonautes resteront bien à l'abri dans leur Soyouz, qui disparaît plusieurs fois sous la surface de l'eau et, lentement, se refroidit (il fait -22 °C dehors). Ils seront finalement récupérés 11 heures après leur amerrissage forcé !
Un petit tour et puis s'en va
Après ce retour compliqué, l'URSS ne va pas retenter immédiatement d'accéder à Saliout 5. Il faut prendre le temps de comprendre ce qui a raté et ce qui peut être amélioré. Un coup dur, alors même qu'un an auparavant, les autorités étaient persuadées que le plus difficile était accompli dans la complexe séquence visant à faire vivre des cosmonautes en orbite !
Toutefois, Saliout 5 elle-même est encore en l'air, il faut donc en profiter. Sa mission n'est pas terminée, et Soyouz 24 décolle le 7 février 1977 pour une mission courte de moins de trois semaines afin de valider les derniers points. La première tâche de Viktor Gorbatko et Iouri Glazkov sera néanmoins d'entrer dans la station avec des masques et de purifier l'air intérieur. Ils prendront encore quelques clichés avec le télescope avant de se préparer à repartir et de refermer la capsule KSI contenant les pellicules de film, qui sera éjectée le 26 février, une journée après leur départ. À noter que comme pour les missions précédentes, l'atterrissage de Soyouz sera compliqué par les conditions météorologiques : en pleine tempête de neige, les équipes de récupération mettront plusieurs heures à localiser la capsule.
Et pour Saliout 5… c'est tout. La station militaire n'aura finalement pas fait mieux que Saliout 4, envoyée en orbite un an plus tôt. C'est une déception, d'autant qu'une dernière mission, qui aurait pu décoller à la fin du printemps ou au début de l'été pour rejoindre la station, doit être annulée. Il n'y a en effet plus assez de carburant de manœuvre sur Saliout 5, qui ne peut maintenir son orientation et son orbite basse bien longtemps. Le grand module orbital est condamné ! Tant pis, le 8 août 1977, le centre de contrôle commande la désorbitation de la station, qui se désintègre dans l'atmosphère. C'était la dernière vraie station militaire… et la dernière de cette « première génération ». Car la prochaine station civile est déjà prête, et les équipages s'entraînent déjà aux missions longues de Saliout 6.