Cette semaine votre chronique explore rien de moins qu'un amour complexe mais sincère entre une jeune fille et un androïde sur fond d'apocalypse.
Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.
I am Mother (2019)
De Grant Sputore« Pourquoi il n'y a plus d'enfants, Mère ? »
Le catalogue Netflix est immense, ce qui peut être autant une qualité qu'un inconvénient. Si le service de streaming fait montre d'une grande diversité dans les contenus proposés, le trop-plein de films et de séries peut rendre invisibles des œuvres qui méritent pourtant plus le détour que d'autres.C'est exactement ce qui m'est arrivé avec I am Mother. Il aura fallu plusieurs mois avant que l'algorithme de recommandations ne se décide à afficher le film sur mon écran d'accueil, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une vraie petite pépite, tant par son propos que par sa réalisation.
Comme son titre l'indique, I am Mother suit les pas d'une mère, d'un genre très particulier toutefois, puisqu'il s'agit d'un androïde, programmé pour s'occuper d'une jeune fille appelée simplement « Fille » durant le film. Alors que le monde a connu une épidémie dévastatrice rendant la vie extérieure impossible, cette adolescente est née et a grandi dans une base protégée. Elle est le premier des 65 000 embryons stockés à avoir été développé dans le bunker, représentant ainsi l'avenir de l'humanité.
Mais bien évidemment les choses ne vont pas se passer comme prévu : une femme à l'identité inconnue va s'introduire dans la base et remettre en question les croyances de Fille et sa relation avec Mère.
« Vous voyez comment elle me regarde ? Voilà pourquoi je la préserve de certains faits »
Le cinéma de science-fiction est un genre très exigeant, qui nécessite bien souvent un budget conséquent pour représenter correctement un univers. Ici, on sent rapidement que Grant Sputore, dont c'est le premier film, ne dispose pas de moyens illimités ; il utilise toutefois intelligemment ses décors et ses effets spéciaux pour raconter son histoire.La base où vivent cloîtrées les deux protagonistes n'est jamais un lieu rassurant ou bienveillant du point de vue du spectateur. Le malaise que l'on pourrait y ressentir est constamment retranscrit grâce à de subtils jeux de lumière qui changent l'ambiance d'une pièce en quelques secondes et à une musique atmosphérique permanente qui entretient ce sentiment.
Avec une mise en scène précise, jouant sur la lenteur et les plans fixes, le réalisateur réussit un premier tour de force : donner corps à la relation entre Mère et Fille. Le robot n'a aucune expression faciale et pourtant, en quelques minutes, le lien entre l'androïde et la jeune fille vit à l'écran.
Un simple montage accéléré de l'éducation de Fille sur la chanson Baby Mine (vous savez, la chanson que chante la mère de Dumbo dans le dessin-animé Disney, et qui a fait pleurer des millions d'enfants à travers les époques, votre serviteur compris), suffit à donner vie à Mère.
« Quel genre de mère serais-je si je vous laissais entraîner ma fille dans votre vie misérable ? »
Aussi, le robot est traité non pas comme un effet numérique très réussi mais comme un vrai personnage. La mise en scène s'attarde sur Mère, de nombreux contre-champs montrent ses réactions ou tentent d'influer le jugement du spectateur.Je me suis souvent demandé quelle émotion pouvait ressentir Mère, si ses réactions étaient calculées, algorithmiques ou bien réellement sincères. Le film joue ainsi en permanence sur notre perception de l'androïde, en s'appuyant sur sa voix douce et une mise en scène épurée particulièrement pertinente.
I am Mother reste toutefois très divertissant et fonctionne comme un thriller. On cherche, en même temps que Fille, à démêler les fils de l'intrigue, à comprendre ce qui a causé cette fin du monde et l'extinction de la race humaine. Or, les réponses sont distribuées avec parcimonie. Si son sujet est ailleurs, le film reste plaisant et accessible à tous.
« On m'a appris à respecter la vie humaine avant toute autre chose »
L'intelligence artificielle est le sujet central (et évident) du film. Le réalisateur se montre pourtant bien plus nuancé sur la question que j'aurais pu l'imaginer au départ. Je n'ai jamais ressenti, durant les deux heures de visionnage, un parti-pris ou une prise de position tranchée mais plutôt interrogation subtile, presque dérangeante.Rien d'étonnant alors à ce que le seul vrai cours de Fille que l'on suivra est un exercice lié à l'éthique, et à l'occasion duquel le philosophe Kant est explicitement cité. Le film ne cherche pas à nous donner des raisons de craindre la technologie ou de lui faire une confiance aveugle, mais préfère nous inciter à nous poser les (bonnes) questions et à interroger notre moralité, comme Fille sera amenée à le faire tout au long de son parcours.
Mère se comporte d'ailleurs comme telle. Elle est programmée pour avoir ce comportement, mais témoigne une empathie, voire un amour sincère envers sa Fille. Ses décisions, ses choix parfois douteux ou immoraux, ne sont finalement motivés que par une seule chose : protéger son enfant. Si je ne peux pas justifier l'ensemble des choix de Mère, je peux les comprendre. Et c'est troublant.
« Tu seras toujours ma fille »
L'autre sujet abordé par I am Mother reste l'émancipation. Aussi parfaite nous est montrée Fille, elle reste une adolescente. Même dans des situations exceptionnelles, elle testera l'autorité de son parent et remettra en question ce qu'on lui dit pour trouver sa vérité. Le réalisateur et son scénariste nous invitent ainsi à faire nos propres découvertes et à faire nos choix en toute conscience.C'est un point de vue que je trouve assez ironique quand je vois que I am Mother était noyé dans ma propre bulle de contenus Netflix. Si je voulais pousser la comparaison jusqu'à l'absurde, je dirais même que le film m'incite à aller plus loin que l'algorithme de recommandations et à être curieux. C'est en tout cas ce que j'essaierai de faire.
La vérité ne sera finalement pas si évidente à comprendre et la fin du film laisse libre cours à toutes les interprétations. Si j'ai ma propre idée quant à la conclusion du récit, vous aurez sans doute une toute autre fin à proposer. Les derniers plans laissent ainsi des portes ouvertes, qui peuvent d'ailleurs amener une potentielle suite même si je pense que I am Mother gagnerait vraiment à se terminer ainsi.
I am Mother est, au final, un excellent premier film, fragile et parfois maladroit mais aussi très maîtrisé et réfléchi. Vous pourrez, comme moi, y trouver de nombreuses sources d'interrogation, ou tout simplement passer un excellent moment devant un petit projet malin et au suspens prenant.
I am Mother est disponible sur Netflix