Les décollages et les spectaculaires tentatives d'atterrissage du programme Starship semblent encore tout proches… Pourtant, cela fait déjà un an que le prototype SN15 se posait à la verticale. Les travaux ont énormément progressé depuis, mais sans parvenir à franchir le pas d'un décollage vers l'orbite. Pourquoi ?
Et non, ce n'est pas qu'une question administrative…
Les Starship(s)
Fini les vols atmosphériques
Il semblait acquis en mai dernier, après l'atterrissage réussi du prototype Starship SN15, que SpaceX tenterait des vols à plus haute altitude, peut-être jusqu'à la ligne de Karman (100 km) et probablement un ou plusieurs décollages orbitaux avant la fin de l'année. Pourquoi ? Tout simplement parce que le rythme élevé des tests et l'enchaînement des prototypes tous les 3 à 4 semaines jusqu'au 5 mai laissait penser que SpaceX et ses responsables poursuivraient les essais graduellement. Mais peu après, volte-face : l'entreprise annonçait concentrer ses efforts sur ses nouvelles infrastructures au sol, sur le grand booster SuperHeavy, et sur la première tentative de vol orbital. Starship SN15 était amené, glorieux mais usé, sur ce qui est devenu depuis le « cimetière » des véhicules de SpaceX en attente, soit d'un essai à jamais repoussé, soit de l'arrivée des équipes de ferrailleurs.
De 16 à 20, il n'y a qu'un pas
Le prototype suivant, Starship SN16, était rapidement venu tenir compagnie à son prédécesseur dans cette collection de vaisseaux à ciel ouvert (le 17 juin). Les unités d'après, à divers stades de leur préparation, étaient détruites pour être recyclées. Le « vrai » Starship d'après était donc SN20. Le premier à recevoir une livrée complète de tuiles thermiques lui permettant de résister à une traversée à haute vitesse et un freinage dans l'atmosphère… Le premier aussi à recevoir six moteurs : trois en version atmosphérique (identiques à ceux du booster SuperHeavy) et trois en version « vide spatial », équipés d'une tuyère particulière et d'équipements spécifiques. Starship SN20 fait le trajet vers le site de lancement le 5 août 2021, mais à ce moment-là, il n'est pas encore terminé. Qu'importe : deux jours plus tard il est assemblé au sommet du SuperHeavy BN4. C'est le premier Starship/SuperHeavy « complet » ! Mais pas prêt au vol pour autant.
Des tests et encore des tests… au sol
Les premiers tests de grande envergure sur Starship SN20 n'auront lieu que le 1er octobre (mise sous pression). Le 20 octobre, les équipes avancent suffisamment pour démarrer les moteurs, et un premier essai de mise à feu statique est réussi le 22 octobre. SpaceX poussera jusqu'à allumer simultanément les six moteurs le 13 novembre, et poursuivra les essais avec SN20 tout l'hiver (y compris avec mise à feu le 30 décembre), l'assemblant trois fois de plus sur SuperHeavy. En février 2022, il est le premier véhicule à être soulevé et installé grâce au nouveau système de bras installé sur la tour de lancement…
Mais les doutes sont rapidement confirmés ensuite : ce n'est pas cet exemplaire qui volera vers l'orbite. En cette fin avril, Starship SN20 est encore sur le site de lancement. Le prototype Starship SN21 ne sera jamais terminé (il a été détruit malgré des mois de travail), tandis que l'exemplaire SN22, qui semblait complet, tient compagnie depuis le 21 février aux SN15 et 16 à l'extérieur du site de production. Les changements de design se suivent…
Nouveau Starship, nouveaux moteurs
Celui qui a la cote actuellement pour participer aux prochaines tentatives d'envergure est le prototype Starship SN24 (le n°23 n'a jamais été produit). Ce dernier n'est pas encore complété et n'a pas ses moteurs, par exemple, mais comparé à l'exemplaire SN20 produit presque 9 mois plus tôt, il dispose de plusieurs modifications au niveau de la structure (les sections d'acier qui le composent et les réservoirs ne sont pas montés pareil), de sa section moteur (équipée pour la version Raptor V2), de son bouclier thermique plus résistant ou tout simplement de son nez aérodynamique, qui disposera pour la première fois d'une section réservée aux charges utiles… en l'occurrence, en priorité des satellites Starlink. SN24 devrait être complété au mois de mai puis amené vers le site de lancement pour de premiers tests. Sera-t-il l'exemplaire orbital ? Cela reste encore à démontrer, mais même si les évolutions sont beaucoup moins spectaculaires et visibles que lors des premiers « sauts » à travers l'atmosphère, le grand véhicule continue d'évoluer… et sa production avec lui.
Les SuperHeavy
SuperLourd 3
Depuis un an, c'est bien sûr le grand booster SuperHeavy et ses différents prototypes qui occupent le plus les équipes de SpaceX à Boca Chica. Sans lui, pas question d'orbite… Mais avec ses 9 m de diamètre et 70 m de haut, il donne du fil à retordre aux équipes. Un premier exemplaire est identifié en mars 2021, ainsi que peu après, les pièces d'un deuxième. Toutefois, aucun des deux ne rejoindra le site de lancement pour des essais. C'est le prototype SuperHeavy BN3 qui a cet honneur, et qui entame ses tests le 12 juillet. Quelques jours plus tard le 19, le booster devient le premier à allumer ses moteurs lors d'un test de mise à feu… mais il ne possède alors que 3 moteurs.
Néanmoins, l'architecture change bien vite, et BN3 ne recevra jamais les 29 moteurs Raptor qui lui auraient permis de s'envoler ou de simuler fidèlement les exemplaires suivants. Il sera démantelé au profit du prototype SuperHeavy BN4, qui est amené sur le site de lancement dès le 3 août 2021 !
Un booster mal adapté
Le 7 août, le couple BN4/Starship SN20 est assemblé pour la première fois. Le booster dispose de 29 moteurs, mais à ce moment-là, malgré les progrès, le site de lancement n'est pas adapté au lanceur géant, et encore moins le nouveau pas de tir avec sa table surélevée et sa tour, dont une partie importante des équipements seront installés à la fin de l'été. Impossible donc de tester SuperHeavy avant un certain temps. Mais ce passage d'un site a l'autre a révélé des modifications à mener sur l'interface entre Starship et SuperHeavy, comme sur la section moteur, trop peu protégée et trop complexe. BN4 est ramené sur le site de production le 8 septembre, alors même que les équipes travaillent déjà sur un concept amélioré. Il restera sur place longtemps, alors que son successeur BN5 est assemblé… puis immédiatement, le 8 décembre, prend le chemin, lui aussi, du cimetière à ciel ouvert de SpaceX.
Les chiens aboient, les boosters passent
Le booster BN6 n'aura finalement jamais vu le jour, et dès décembre les équipes se concentrent sur l'exemplaire SuperHeavy BN7. Mais le « vieux » BN4 peut encore servir ! Il sera utilisé avec une section moteur améliorée et des protections aérodynamiques jusqu'au mois de mars, réalisant les premiers tests de remplissage des réservoirs et de mise sous pression avec le site de lancement (y compris sur la nouvelle table, dont il teste les interfaces). Et le 17 mars, assemblé avec Starship SN20 une dernière fois, il remplit ses réservoirs sur le pas de tir… Il ne lui aura manqué qu'un allumage de ses 29 moteurs, qui n'aura à priori jamais lieu. Le prototype BN4 est finalement déplacé le 25 mars pour faire de la place au booster BN7. Il est encore aujourd'hui sur le site de lancement, mais soit il sera démantelé sur place, soit il rejoindra prochainement le reste du matériel « de test » entreposé à l'écart.
Le 7e exemplaire en un an
SuperHeavy BN7 était donc le prototype le plus avancé jusqu'à il y a quelques jours, avec plusieurs modifications structurelles importantes, y compris un petit « aileron » qui court sur pratiquement la moitié de sa hauteur et qui abrite sous un couvert aérodynamique de petits réservoirs d'hélium sous pression. Il ne dispose pas de ses moteurs Raptor V2, version plus compacte, plus puissante et plus adaptée à la réutilisation que la première génération… Car SpaceX ne les fabrique pas encore en grande série, même si cela ne saurait tarder !
Mais il n'en sera peut-être jamais équipé. Pourquoi ? Tout simplement car le 13 avril, SpaceX a testé sous pression son prototype BN7, avant de le ramener rapidement vers le site de production… Une photo aurait fuité montrant le tuyau d'approvisionnement d'oxygène vers les moteurs endommagé. L'entreprise n'a pas confirmé les rumeurs, mais il reste donc à voir si les équipes vont choisir de réparer et d'équiper BN7, ou de passer directement aux tests avec l'exemplaire suivant (et déjà bien avancé), SuperHeavy BN8. Il reste encore beaucoup à faire avec ces boosters pour qu'ils soient prêts aux vols orbitaux.
Starbase, Boca Chica
Usine de production de prototypes
Depuis le dépôt du dossier pour construire un centre de lancement orbital déposé en 2013 et aujourd'hui, le site de Boca Chica, au Sud du Texas et à quelques kilomètres à peine de la frontière avec le Mexique, a beaucoup changé. Jusqu'au dernier trimestre 2018, rien ne laissait pourtant présager de l'ampleur de ce qui est devenu entre temps la « Starbase », divisée en deux sites distants de 3,5 km environ : celui dédié à la production (parfois appelé Starfactory), et celui utilisé pour les tests et les tentatives de vol. Les deux sites continuent de s'étendre graduellement et de gagner en moyens, y compris avec des installations qui frisent la démesure.
Cité ouvrière
La production est assurée au sein de trois gigantesques « tentes », structures semi-durables dans lesquelles SpaceX transforme les rouleaux d'acier en cylindres de son lanceur, et ensuite en sous-assemblages de Starship et de SuperHeavy (de 2 à 5 « anneaux » de hauteur selon leur rôle). Les assemblages pour monter les différentes parties de Starship prennent place dans deux bâtiments ouverts de moyenne hauteur (dont le premier, de forme triangulaire, a vu le jour uniquement pour protéger les prototypes du vent), et ceux de SuperHeavy dans deux bâtiments plus grands. SpaceX est en train de terminer la « Wide Bay », qui s'élève à environ 110 m au-dessus du sol et permettra une plus grande souplesse d'emploi.
Et pour l'avenir, des structures permanentes « en dur » devraient remplacer les tentes. Depuis un an, le focus est fixé sur les moyens de production et non les exemplaires eux-mêmes : l'entreprise a montré qu'elle était capable au besoin de produire environ un Starship par mois, et probablement autant de SuperHeavy… pour peu qu'elle réceptionne assez de moteurs depuis ses autres sites de production (Hawthorne en Californie et McGregor au Texas).
Des tours et des détours
Côté site de test, l'année qui vient de passer fut la plus productive pour les infrastructures : début 2021, la Starbase n'était adaptée que pour quelques « sauts », à condition que ces derniers aillent atterrir et exploser loin des réservoirs… Aujourd'hui, le site est dominé par la gigantesque tour de lancement, qui permet de soulever les deux étages avec ses grands bras capables de les positionner sur la table de tir. Mais depuis la fin d'année dernière, c'est confirmé : ces bras tenteront également de rattraper les boosters SuperHeavy qui reviendront se poser sur le site après avoir propulsé Starship vers l'orbite. Il aura fallu du temps pour que les lignes d'approvisionnement en méthane et oxygène soient opérationnelles, et il n'est pas tout à fait certain que ce soit le cas aujourd'hui (il manque encore une mise à feu sur la table de tir…). Néanmoins, le site de test semble prêt, de son côté, pour être l'hôte d'une première campagne orbitale.
Papiers s'il vous plait
En plus des avancées techniques qui, on l'a vu, n'ont pas encore totalement abouti, il reste en plus un blocage administratif… et de taille ! La puissante FAA (Federal Aeronautics Administration) a lancé l'année dernière une étude pour évaluer l'impact du site de SpaceX, lequel est installé dans une zone naturelle protégée, n'est pas si éloigné d'habitations et ne suit plus depuis un certain temps les lignes de l'accord formulé lorsque SpaceX devait installer une base sur place (à l'origine cette dernière devait desservir Falcon 9).
Or, cette étude doit être terminée pour que SpaceX puisse recevoir les autorisations nécessaires à des tentatives de vol suborbitales (au-delà des 80 km d'altitude) ou orbitales. Un obstacle pour Elon Musk, qui s'est plusieurs fois exprimé contre la lenteur des autorités, même si d'autres ont soulevé le fait que le dossier avait été bâclé par SpaceX et « pollué » par des milliers de commentaires publics ajoutés par de simples observateurs du programme. Le rapport devait être rendu en décembre, mais il est repoussé tous les mois depuis.
Retour sur la Space Coast ?
Enfin, il ne faudrait pas oublier la Floride ! Lors d'une présentation publique en février, Elon Musk a laissé entendre qu'avec ou sans l'accord de la FAA, sa Starbase au Texas resterait sans doute un site expérimental, dédié à la production et aux tests de Starship et SuperHeavy… dont les vols « réguliers » auraient probablement lieu ailleurs. Où donc ? Pas de surprise, la réponse se trouve sur la Space Coast, avec l'expansion de trois sites au Centre Spatial Kennedy. Le premier montre déjà d'importants travaux, c'est le site de production de « Roberts Road », en réalité la grande voie d'accès qui mène vers le titanesque bâtiment d'assemblage de la NASA, le VAB.
Il existe déjà dans ce hangar (en plein travaux) des éléments pour préparer le futur site de lancement de Starship, que SpaceX devrait construire directement sur la zone LC-39a, à côté des installations aujourd'hui réservées à Falcon 9 et Falcon Heavy, et adaptées au vol habité. Mais en plus de cette zone déjà très dense en matériel spatial, SpaceX a déposé une demande de permis pour construire un nouveau site de lancement plus au Nord (actuellement un marais – mais site environnemental protégé), nommé provisoirement LC-49. Autant que celle des fusées, la frénésie des bulldozers n'est pas terminée chez SpaceX !
Ne reste plus qu'un « détail » : prouver les véritables capacités de Starship et SuperHeavy.