Le 12 janvier 2022, l'auteur et streamer FibreTigre lançait sur Twitch « Game of Rôle : Les Deux Tours », une partie de jeu de rôle en direct sur le thème des présidentielles de 2022. L'objectif, « instruire » les plus jeunes quant aux préoccupations politiques actuelles et leur donner un aperçu de l’élection à venir.
Un jeu de rôle pour expliquer la politique aux plus jeunes, c’est donc le pari osé que s’est lancé FibreTigre, auteur, créateur et maître de jeu de l'émission Game Of Rôles, initialement lancée en 2018. « Les Deux Tours », la session de jeu de rôles politique imaginée cette année, en partenariat avec France Info, est diffusée en direct sur la chaîne Twitch du chroniqueur et politologue Clément Viktorovitch.
Un « exercice démocratique »
Le fonctionnement est relativement simple : assis autour de la table, quatre joueurs et joueuses incarnent des candidats fictifs à l’élection présidentielle 2022. Pendant trois heures, les protagonistes vont devoir débattre de sujets de société, organiser leur campagne présidentielle en préparant des meetings ou en cherchant des dossiers compromettants sur leurs adversaires. Tous pourront également vivre des « aventures », comprenez être confrontés à des événements imprévus qui auront forcément un impact sur l’élection.
À la fin de la partie, celui ou celle qui a récolté le plus de voix, symbolisées par des petites billes plates, remporte l’élection et le droit de revenir pour la finale qui opposera les vainqueurs des trois émissions précédentes.
L’idée de ce JDR « Les Deux Tours » a germé dans l'esprit de FibreTigre alors qu'il travaillait avec Le Figaro, et animait des sessions de jeu de rôles en live. Un premier projet du même genre devait d'ailleurs voir le jour pour les élections municipales, et c’est de là que vient la mécanique des votants que l'on retrouve dans « Les Deux Tours ». L'idée de départ, nous explique FibreTigre, « c’était pour les élections à Paris [...], on ne vote pas pareil quand on habite dans le marais ou dans le 16e ».
Les joueurs débutent ainsi la partie avec un certain nombre de votants de base, en lien avec le parcours de leur personnage et de leurs convictions politiques. Au fil de l'émission, en fonction de leurs interventions, de l'issue des débats ou de leur péripéties et, jeu de rôle oblige, du résultat d’un jet de dé, ils gagneront ou perdront des voix.
Les votants eux, sont symbolisés par des billes de couleurs (une bille représente en fait 500 000 électeurs) et répartis en différents groupes auxquels sont rattachés des comportements types. Les retraités par exemple, symbolisés par la bille verte, représentent un électorat en quête de sécurité, nostalgique de l'idée qu'ils avaient de la France dans leur jeunesse ; les votants riches/aisés, en bleu, veulent payer moins d'impôt ; les précaires, jaunes, veulent gagner plus d'argent et avoir un emploi ; la classe moyenne, bille transparente, attend du changement ; l'électorat commerçant et entrepreneur, en rouge souhaite avoir le moins de charges possible mais aussi moins de règlementation ; les étudiants, violets, rêvent d'un avenir meilleur et les bobos en rose, prônent « les valeurs »…
Le jeu reproduit ensuite une logique de stratégie politique. « Quand on est Marine Lepen, on sait que les bobos ne vont pas voter pour nous, mais que les retraités oui, par exemple. C’est donc logique de prendre des positions pour les retraités parce qu’il n’y a pas de voix de bobos à perdre ». Dans la première émission, Daz, qui incarne le candidat d'extrême-droite Stanislas Lagaule-Zitouni, cible dans ses interventions les voix de retraités : normalement cela lui ferait perdre des voix de bobos, mais comme il n’en possède pas, il ne risque rien à prendre ces positions.
Autre mécanique intrinsèque du jeu, le vote du public, qui est permis par le dispositif de Live Twitch. Lors des débats, les spectateurs sont invités à voter pour le candidat/joueur qui, selon eux, défend le mieux ses idées. « C’est un exercice qui est démocratique », insiste ainsi le Maître de Jeu, en cela que 50 % des voix viennent des votes des spectateurs.
« Instruire, pas éduquer »
Comme FibreTigre le précise, « instruire, pas éduquer », voilà le credo de l’émission, qui n’a pas pour but de vous dire pour qui voter. Le constat de l'auteur, c'est que « les jeunes ne regardent plus la télévision, ils sont sur Twitch ou sur Tik Tok », aussi il était important pour lui de trouver un moyen d’expliquer la politique à ce public, de leur donner les clés pour comprendre les élections à venir. « On veut juste vous dire voilà, il y a une élection présidentielle cette année, ça serait bien que vous sachiez qui sont les personnes qui peuvent devenir le président », et donc comment ça marche.
Pour mener à bien cette mission, « Game of Rôle : Les Deux Tours » prend place dans les locaux de France Info, et s'entoure de Jules de Kiss, journaliste sur la chaîne. Ce dernier va régulièrement intervenir dans l’émission, notamment lors des débats, pour expliquer un événement de l’actualité réelle, avec plusieurs reportages de France Info à l'appui. « Une petite parenthèse dans ce monde fictif » comme le dit le journaliste pendant la première émission. Ces informations permettront aux joueurs de guider leurs arguments pendant le débat. Les spectateurs pourront également retrouver la source des reportages pendant le live grâce à des liens prévus à cet effet.
Pour ajouter une dimension supplémentaire et une couche de réel à cette œuvre de fiction, chaque candidat tire au hasard au début de la partie, un background. Ces histoires personnelles attribuées arbitrairement à chaque personnage sont inspirés par celles des vrais candidats à la présidentielle 2022. Un candidat peut ainsi se retrouver à incarner la maire de Paris, ou encore un éditorialiste très connu des plateaux télévisés.
Pour tout de même bien différencier le jeu de la réalité, les différents partis politiques que les joueurs incarnent ne reflète pas leurs propres idées. « On leur a imposé un parti à l’opposé des idées politiques qu'ils véhiculent pour éviter qu’ils ne donnent leurs opinions politiques en jeu » nous dit FibreTigre. Frédérique Molas, par exemple, alias le Joueur du Grenier, est connu sur les réseaux sociaux pour des positionnements politiques plutôt à droite ; il incarne en jeu George Sud, candidat d’un parti dont le slogan est « À gauche tout.e.s ».
Cette précaution, n'empêche heureusement pas les joueurs de se prendre au jeu : il incarnent parfaitement leurs candidats, au point de brouiller parfois les pistes entre le jeu et un vrai débat politique.
On joue là, c'est sérieux !
Il y a quelques années encore, ce genre d’émission en partenariat avec une grande chaîne d’information aurait été inconcevable. De fait dans les années 1990, le jeu de rôle a souffert en France d'une « chasse aux sorcières », certains médias décrivant la pratique comme « dangereuse ». « Aujourd’hui le jeu de rôles c’est cool, même si ce n’est plus un marché : un enfant de douze pourra dire qu’il fait du jeu de rôles et que c’est cool, mais le jeu de rôles ne pourra pas rivaliser avec des jeux comme Elden Ring par exemple », analyse FibreTigre.
Depuis quelques années, le jeu de rôles revient en effet non seulement à la mode, mais davantage sur le devant de la scène audiovisuelle, notamment avec les vidéos « Aventures » sur la chaîne YouTube du Bazar du Grenier ou avec l’émission de FibreTigre justement. Il est ainsi devenu un véritable outil de divertissement, qui peut désormais servir à faire passer des messages, à aborder certains sujets, notamment politiques, ou encore à transmettre des connaissances. Outre Game of Rôles, FibreTigre a par exemple lancé le jeu de rôle « Mission Lune » en partenariat avec le Centre national d’études spatiales, qui retrace point par point le voyage d’astronautes vers la lune, en compagnie de Jean-François Clervoy, ingénieur et astronaute.
Pour le moment trois émissions de « Game of Rôles : Les Deux Tours » ont eu lieu. La dernière sera diffusée le 13 avril, soit entre les deux tours de la présidentielle. Mais FibreTigre ne compte s’arrêter là. « J’ai un projet plus personnel d’un jeu de rôle juridique, [...] quelqu’un aurait commis un crime et on y verrait toutes les étapes d’une procédure juridique ».