En janvier 2013, l'éditeur Canonical affichait de nouvelles ambitions : développer une version mobile de sa distribution GNU/Linux sur les smartphones. Pour la société, l'objectif est de créer une alternative aux autres plateformes, non libres, ou partiellement open source, telles qu'iOS, Android ou Windows Phone.
Il aura tout de même fallu deux ans à Canonical pour signer avec les premiers constructeurs partenaires. A l'heure actuelle, Bq et Meizu ont décidé de proposer respectivement des variantes de leur Aquaris 4.5 et MX4. Mais à quoi ressemble précisément Ubuntu sur un smartphone ? Voici un premier aperçu sur le Bq Aquaris E4.5.
Scopes : entre le widget et l'application
Avec Ubuntu Phone, Canonical compte offrir une expérience différente des autres smartphones. L'utilisateur n'est pas d'emblée invité à retrouver une grille listant les raccourcis d'applications, mais il pourra configurer des scopes, c'est-à-dire des panneaux ou des hubs thématiques personnalisables.Au déverrouillage du smartphone, nous retrouvons ainsi le panneau Aujourd'hui. Ce dernier permet d'afficher la météo, les prochains événements du calendrier, les tâches, les contacts favoris, les messages et appels récents, les titres d'actualités et, si vous avez authentifié votre compte, vos statistiques sur FitBit. Les scopes se positionnent donc à mi-chemin entre le widget et l'application. Les informations présentées sur chacun d'entre eux peuvent être configurées.
Un certain nombre de panneaux sont préinstallés - dont un, listant les applications du téléphone -, mais il sera possible d'en retrouver d'autres, spécifiquement pensés pour les actualités, le shopping, les contenus géo-localisés ou ses clichés, sur divers services externes. Pour activer ou désactiver un scope ou choisir sa position, il suffira de glisser son doigt du bas vers le haut. Ils sont disponibles au téléchargement sur le Magasin Ubuntu.
Bien que l'idée du scope soit novatrice, à l'usage, elle n'est pas réellement ergonomique. Le mobinaute sera sans cesse en train de faire défiler ses écrans pour accéder au panneau de son choix, qu'il s'agisse de retrouver ses photos, sa liste d'applications ou les dernières actualités... Et comme nous allons le voir, les gestuelles ne sont pas forcément très bien optimisées.
Les gestuelles d'Ubuntu Phone
Pour se distinguer, Canonical souhaite aussi casser les codes actuels des interfaces mobiles populaires. La navigation du système repose ainsi sur les gestuelles. Celles-ci permettront de balayer le contenu, de jongler entre différentes applications, d'activer la barre de lancement ou d'ouvrir le volet des notifications. Le mécanisme pourra en dérouter quelques-uns, habitués à presser le raccourci Accueil, par exemple, pour quitter une application et en lancer une nouvelle.En glissant son doigt à partir du bord gauche du téléphone, le mobinaute retrouvera une barre de lancement verticale, similaire au launcher de l'interface Unity sur la version desktop d'Ubuntu. Masquée automatiquement, elle présente des raccourcis vers les applications de son choix. A l'instar d'Android, iOS, Windows Phone ou BlackBerry, le volet des notifications est accessible depuis le haut du terminal. Si l'ouverture est effectuée au-dessus de l'une des icônes présentant l'état du téléphone (Wi-Fi, Bluetooth, batterie, heure...), l'utilisateur accédera d'emblée aux paramètres principaux. Un système plutôt astucieux.
Le glissé du doigt vers la gauche peut en revanche s'avérer un peu capricieux. En effet, trois niveaux y sont associés. D'une part, en initiant la gestuelle à partir du milieu de l'écran, cela permettra de passer d'un panneau de contenu à un autre. En l'amorçant depuis le bord droit, ce geste permettra de passer d'une application en cours d'exécution à une autre. Enfin, sur cette seconde gestuelle, en prolongeant légèrement le tracé du doigt, le gestionnaire de tâches sera automatiquement ouvert et présentera ces applications sous la forme d'un carrousel en 3D.
Sur une utilisation régulière, il est donc relativement facile d'opérer le mauvais geste, d'autant que pour compliquer l'interface utilisateur, certains scopes sont dotés de carrousels à faire défiler dans le même sens de droite à gauche...
Applications
Sur la partie applicative, Canonical propose de coder les applications en QML (Qt Meta Language), un langage proche du Javascript, qui peut être étendu par des extensions C++. En théorie, QML est plutôt simple de prise en main et bien adapté aux interfaces utilisateur, avec des déclarations proches de la feuille de style CSS. En pratique, le design est un peu triste et vieillot mais surtout, malgré un appel lancé par Canonical en 2013, peu d'applications natives ont été conçues.Une expérience de base limitée
Prenons par exemple le courrier électronique. Par défaut, Ubuntu Phone ne dispose même pas d'un gestionnaire de mails. Au sein des paramètres, pour configurer un compte email, l'utilisateur est invité à authentifier son compte Google, mais cela ne crée finalement qu'un raccourci vers l'application Web mobile de Gmail au sein des applications. Ubuntu sera simplement en mesure de rapatrier le flux des emails non lus au sein du volet des notifications. Le système pourra également synchroniser les contacts au sein du carnet d'adresses de Gmail, un processus un peu rébarbatif puisque la synchronisation est effectuée à chaque ouverture de l'application.Ubuntu Phone ne dispose pas non plus de calendrier par défaut : il faudra le télécharger. Dès lors, le mobinaute pourra retourner dans les paramètres de Google pour récupérer ses événements. La synchronisation fonctionne bien, dommage qu'elle soit limitée aux comptes Google. Une fois de plus, l'ouverture de l'application est un peu lente.
Pas de client mail, pas de calendrier par défaut, un carnet d'adresses lent à charger, des configurations très limitées... Bref, les bases ne sont clairement pas finalisées. Au sein de la plate-forme de téléchargement d'Ubuntu Phone, nous retrouvons notamment le gestionnaire de courriers Dekko. Cependant, ce dernier est toujours en bêta. Lui aussi est lent à l'ouverture et présente plusieurs bugs de synchronisation. Mais plus globalement, on aurait espéré que Canonical ne se limite pas à Google et propose au moins des standards ouverts de type CardDAV.
Le Web à la rescousse
Si l'usage des technologies du HTML5 permet à Canonical de remplir rapidement son kiosque de téléchargement, nous y retrouvons non pas des applications codées en HTML, CSS et Javascript mais de simples applications mobiles encapsulées. C'est par exemple le cas de Twitter, Facebook, Outlook.com, Yahoo!Mail, OneDrive, LinkedIn, Google+, Google Maps, Airbnb, eBay, Amazon ou Tumblr. Autant dire que très peu de services populaires sont disponibles de manière native. Alors finalement, un simple navigateur n'aurait-il pas suffi ?Conclusion
Avec Ubuntu Phone, Canonical tient une belle promesse visant à casser les codes actuels pour les systèmes d'exploitation mobiles. Toutefois, plus de deux ans après son introduction auprès de la communauté des développeurs, l'OS accuse toujours plusieurs lacunes.
Au démarrage, Canonical met d'emblée en avant les scopes, qui constituent le cœur du système pour afficher des informations au mobinaute. Le scope offre une bonne manière de rassembler divers contenus thématiques, qu'il s'agisse de la musique, la photo, les actualités ou le shopping. Mais à l'usage, cela contraint l'utilisateur à faire défiler en permanence les écrans pour trouver une information spécifique.
A l'instar de BlackBerry 10 ou Sailfish OS, l'ergonomie d'Ubuntu Phone repose entièrement sur les gestuelles. En théorie, ces interactions sont particulièrement adaptées aux terminaux dotés d'un écran multipoint. Cela simplifie grandement le nombre d'appareils compatibles, qui sont moins chers à produire, puisque aucun mécanisme de boutons ne doit être implémenté. Mais en pratique, les gestuelles introduites par Canonical s'avèrent peu ergonomiques.
Enfin, si un système mobile ne doit pas être jugé sur la densité de sa plate-forme de téléchargement, peut-être aurait-il fallu que Canonical encadre le développement des applications livrées par défaut. Pas de client mail, pas de standards ouverts, une intégration unique de Google... Et ce ne sont pas les applications Web encapsulées qui rectifieront le tir.
Pour ce premier aperçu d'Ubuntu Phone, le sentiment est donc assez mitigé. Il est clair que Canonical a de bonnes idées dans les cartons mais ces dernières n'ont sans doute pas assez mûri.
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