La société parisienne se fait connaître grâce à un exosquelette initialement prévu pour les centres de soins et la rééducation. À terme, elle imagine le grand public utiliser ses machines. Interview.

Basée rue de Rivoli à Paris, la société française Wandecraft fabrique un exosquelette robotique de marche, conçu pour simuler le déséquilibre de la marche humaine. L'appareil s'installe, petit à petit, notamment dans le milieu hospitalier. Mais l'objectif de l'entreprise est de fabriquer un exosquelette aussi destiné au grand public, qui pourrait être utilisé dans la vie de tous les jours. Pour en parler, nous avons interrogé Matthieu Masselin, P.-D.G. de Wandercraft, et Jérémy Pointel, ingénieur conception mécanique/design industriel.

© Wandecraft
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Interview de Matthieu Masselin et de Jérémy Pointel, de Wandercraft

Clubic : Pouvez-vous nous expliquer comment est née votre entreprise et comment vous avez pu, petit à petit, suivre votre chemin jusqu'à sortir ces premiers exosquelettes ?

Matthieu Masselin : L'idée était de considérer l'ensemble de personnes qui ont de forts besoins de mobilité. Seul le fauteuil roulant peut aujourd'hui répondre à ces derniers, mais il n'y arrive pas complètement. En fauteuil, vous ne pouvez pas prendre le métro, la plupart des appartements de ville sont inaccessibles… De nombreux endroits sont par ailleurs interdits.

Ensuite, on était face à des technologies qui évoluaient très vite et commençaient à devenir mature dans le domaine de la robotique, où on voyait qu'il y avait des robots qui commençaient à marcher de manière humanoïde. Face à un besoin qui n'a pas sa réponse aujourd'hui, et cette techno qui n'a pas vraiment de marché non plus, on s'est dit que c'était l'occasion de combiner les deux et de faire quelque chose qui aurait un fort impact sur la vie de tous les jours de nombreuses personnes.

« On a essayé de se rapprocher le plus possible des utilisateurs, de mettre notre appareil dans leurs mains »

Wandercraft a conçu un exosquelette robotique de marche, Atalante, pensé pour simuler le déséquilibre de la marche humaine. Il y a une utilité et une actualité, mais c'est aussi un objet d'accompagnement destiné à devenir l'outil de demain pour les soignants, pour les hôpitaux, les centres de rééducation etc. ?

Exactement. Dans notre historie, nous avons commencé par travailler sur la partie algorithmique. Nous avons d'abord regardé ce qui existait sur le marché, si d'autres avaient eu cette idée d'un robot qui aide à faire marcher les gens. Oui, d'autres y avaient pensé. Le concept d'exosquelette est très ancien, on le retrouvait dans la littérature dans les années 70 et même avant. Dans les années 2000, les premiers exosquelettes voyaient le jour. Ils faisaient marcher les gens, certes, mais il leur manquait une caractéristique fondamentale : l'équilibre. Gérer l'équilibre bipède est très difficile. Nous avions la conviction que pour être efficace, il fallait que l'on ait la théorie scientifique et algorithmique qui permette de gérer cet aspect-là.

On a rapidement pu se rendre compte que le chemin serait très long. L'équilibre sur un sol plat, c'est une première étape. Puis il faut gérer l'équilibre sur un sol accidenté, du sable ou du gravier etc. Plutôt que de chercher un produit qui fait tout, on a essayé de se rapprocher le plus possible des utilisateurs, de mettre notre device dans leurs mains, car ce sont eux qui nous feront les retours qui permettront de l'améliorer au fur et à mesure.

Il y a un besoin notamment dans les centres de rééducation, où les patients se reverticalisent. Notre premier produit, Atalante, est prévu pour les centres de soins et pour faire de la rééducation à la marche, de la verticalisation, pour solliciter les personnes après leur accident.

© Wandecraft
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Certains centres ou hôpitaux sont-ils déjà équipés ?

L'équipe du CHU Henri Mondor, du professeur Jean-Michel Gracies, qui est une sommité en rééducation et qui regroupe plusieurs établissements en région parisienne, vient de s'équiper de l'un de nos exosquelettes Atalante. Nous allons procéder à la livraison à la rentrée. C'est une équipe très active dans la lutte contre la COVID-19, puisqu'elle accueille beaucoup de patients qui avaient besoin de rééducation après la maladie. Atalante permet de soulager soignants et thérapeutes.

Mais nous avons des liens très forts avec trois partenaires historiques qui ont déjà pu nous aider concernant la compréhension des besoins des patients, ce qui était important en termes de rééducation, quelles fonctionnalités allaient faire la différence dans le parcours du patient pour l'aider à progresser : il y a le centre de Pionsat (Puy-de-Dôme), celui de Kerpape (Morbihan) et de Berck dans le Pas-de-Calais. Nous avons conduit des essais cliniques avec eux et travaillons main dans la main avec ces derniers, qui ont pu suivre l'évolution progressive du dispositif.

« Notre ambition […] est que l'exosquelette, à terme, coûte moins cher à produire qu'une voiture »

Mais notre vision est de se projeter plus loin que ça, c'est vraiment l'exosquelette que l'on va trouver dans la rue, au domicile des gens, avec lequel ils pourront retourner au travail, pour se balader en famille etc. Des dizaines d'ingénieurs ont travaillé pendant des années sur Atalante. La qualité du code, des algorithmes, est rare dans un produit. Mais ce ne sera pas suffisant pour convaincre des personnes de prendre le dispositif, de le ramener chez eux et de l'utiliser au quotidien. Et c'est là que nous pensons pouvoir avoir de l'impact. Le design fait partie de ce sur quoi on travaille beaucoup en ce moment.

Jérémy Pointel : Je travaille sur une deuxième version de l'exosquelette, qui devra devenir une version personnelle à plus long terme. Il faut réussir à penser pour et par l'utilisateur, d'où l'étude lancée en ligne qui est une analyse sous forme d'un sondage, qui permet d'étudier la perception des gens notamment pour les aspects formels de l'exosquelette. L'idée est de mêler à la fois l’ingénierie et le design pour essayer de comprendre ce qui fait que notre exosquelette va être « accepté ».

En ce qui concerne l'étape grand public, dont vous venez de parler, avez-vous un objectif daté ?

Matthieu Masselin : Nous avons encore quelques années devant nous avant de sortir un produit grand public. Mais nous tablons sur quelques années, plutôt qu'une dizaine d'années. Nous avons toujours été très attentifs à ne pas donner de date sans certitude. Je ne veux pas susciter d'espoirs mal placés. Mais il faut se rendre compte que les premiers pas avec un patient, c'était il n'y a même pas trois ou quatre ans. À cette époque, le dispositif ne pouvait faire qu'un pas en avant. En quelques années, nous sommes passés de ce stade à un dispositif qui est capable de grandes enjambées, de faire marcher un patient en totale autonomie.

Quel est le coût approximatif, aujourd'hui, d'un exosquelette ?

En développement, nous avons levé environ 30 millions d'euros auprès d'investisseurs, il nous en reste d'ailleurs une bonne partie. Ce que nous avons utilisé a pu être investi dans le développement de l'exosquelette. Le coût de production est très dépendant de la quantité que l'on fabrique. Les premiers prototypes coûtaient plusieurs centaines de milliers d'euros. Notre ambition, sur une version grand public, est que l'exosquelette coûte moins cher à produire qu'une voiture. Et c'est possible, car il y a moins de composants, moins de matière, moins de pièces.

« La mesure du succès, c'est de descendre de chez soi dans la rue et de croiser quelqu'un qui vaque à ses occupations en exosquelette »

Quels matériaux composent Atalante ?

Il y a de l'aluminium, un peu d'acier, de la fibre de carbone, du plastique.

Jérémy Pointel : Il y aussi une partie veille pour la matière qui est en cours. Aller chercher des matières plus souples peut être une bonne solution, parce que quand on imagine la situation en extérieur et même parfois en intérieur, on peut se cogner partout. Il va falloir que les coques d'habillage résistent. Une solution souple peut être la bonne solution.

© Wandecraft

Quel peut être le poids moyen de vos exosquelettes ?

Matthieu Masselin : Il faut avoir conscience, d'abord, que l'exosquelette n'est pas devant soi, il est autour de soi. C'est lui qui porte la personne. Le poids de l'exosquelette ne pourra pas être complètement décorrélé de la personne qu'il doit déplacer. On sait que ce sera une dizaine ou plusieurs dizaines de kilos, forcément. L'encombrement est encore plus important que le poids, d'une certaine manière, car il va définir les cas d'usage.

Jérémy Pointel : Si on parle de la situation d'usage, il faut pouvoir, par exemple, passer des portes, monter dans sa voiture…

Matthieu Masselin : Au final, pour nous, la mesure du succès, c'est de descendre de chez soi dans la rue et de croiser quelqu'un qui vaque à ses occupations en exosquelette. Notre objectif, c'est que cela ne choque personne de voir quelqu'un en exosquelette, un peu comme ça ne choque personne aujourd'hui de voir des usagers sur les trottinettes.

Peut-on imaginer que l'usage, la démocratisation de l'exosquelette puisse devenir, dans le prolongement du handicap, une cause nationale ? Et par exemple bénéficier de la même considération qu’un autre objet qui aide les personnes handicapées : le fauteuil roulant ?

Paradoxalement, je pense que ça ne sera pas nécessaire. L'exosquelette va permettre de remettre les personnes debout, de leur redonner accès à toute une partie de la vie qui leur est refusée aujourd'hui et d'avoir accès à un certain nombre d'endroits qui sont primordiaux si on veut avoir une activité professionnelle. La notion d’accessibilité à l'emploi sera par exemple facilitée par l'exosquelette. L'équation médico-économique pourrait être positive, ce qui facilitera les choses. Il faut que ce soit un bénéfice pour tout le monde.

Une question un peu technique à présent, concernant les algorithmes de l'exo. Combien de personnes travaillent sur ces derniers ? Quelles sont les perspectives d'évolution ?

Nous sommes environ 70 dans l'entreprise. Une vingtaine de personnes travaille purement sur les algorithmes. C'est un investissement très important, parce que ce sont des gens brillants, très demandés sur le marché du travail et pour lesquels nous sommes en compétition avec des géants de la tech comme Google, Amazon etc. La plupart des personnes qui sont à nos côtés ont dit « non » à des offres d'embauche de géants de la technologie. Ce qui les attire, chez nous, c'est que la mission est concrète. Elle donne du sens à leur travail.

« Plutôt qu'une version différente pour chaque usage, je réfléchis plutôt à l'idée d'une version qui pourra faire un certain nombre de choses, avec un software qui va évoluer »

À côté, nous avons aussi des compétences réglementaires, cliniques, de conception, etc. L'exosquelette, c'est un système, donc énormément de gens travaillent les uns avec les autres.

C'est une plateforme extrêmement polyvalente. Et l'avantage de notre approche de base, c'est de se dire que si la plateforme peut tout faire, derrière il y a juste une question de déploiement des bons algorithmes. Plutôt qu'une version différente pour chaque usage, je réfléchis plutôt à l'idée d'une version qui pourra faire un certain nombre de choses, avec un software qui va évoluer, pour permettre de plus en plus de choses. Le potentiel de la plateforme est quasiment sans limite.

Vous êtes situés rue de Rivoli, au cœur de Paris. Est-ce que les avantages sont plus importants que les inconvénients, et n'y a-t-il pas le risque d'être considérée comme une entreprise élitiste ?

Je ne pense pas que ce soit élitiste. C'est un endroit central qui est accessible à pas mal de personnes, où qu'elles soient situées dans Paris et aux alentours, avec un temps de projet acceptable. Notre choix a été de trouver des locaux très sympas, qui sont un facteur d'attractivité vis-à-vis des gens que nous essayons de faire venir chez Wandercraft. Nous avons fait en sorte de nous doter de locaux PMR (Personnes à Mobilité Réduite, ndlr.), ça c'est fondamental. Le désavantage, c'est le prix de l'immobilier. Mais c'est un investissement que nous faisons pour notre équipe, ce que nous avons de plus précieux. Et nous n'avons pas encore besoin de bouger puisqu'on a fait en sorte d'avoir pas mal de marge de croissance.

La crise du coronavirus vous permet-elle d'avoir davantage d'opportunités ? La société a-t-elle pu tourner convenablement avec le télétravail ?

D'un côté, les équipes soignantes ont été et restent très mobilisées avec la COVID-19. D'un point de vue purement business, nous avons laissé beaucoup de contacts en « stand-by », parce qu'on comprenait bien que ce n'était pas le moment. On faisait un peu de télétravail, mais là, nous avons été forcés d'accélérer sur le sujet, et ça s'est bien passé. C'était intéressant, parce que lorsqu'on travaille sur un exosquelette, on a besoin de le tester, d'être sur le hardware. À distance, beaucoup ne pouvaient pas faire leur travail, donc nous avons dû avoir recours un peu à de l'activité partielle, dans une certaine mesure, et avons du être un peu créatif dans ce qu'on faisait.

On vous souhaite bon courage pour cette noble cause. Merci à vous pour votre temps.

Merci beaucoup.

© Wandecraft