Naval Group
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Fin 2020, COVID-19 oblige, le salon Euronaval dédié au naval de la défense a connu sa première édition 100% online. Cela n'a pas empêché le français Naval Group de présenter son dernier « concept ship » : le SMX-31 E. A la manière des « concept cars » dans les salons automobiles, ce sous-marin futuriste préfigure ce que pourraient être les technologies navales de demain.

En 2040, les IA, la réalité augmentée et la propulsion tout-électrique pourraient offrir des capacités inédites d'exploration et d'exploitation des ressources sous-marines mondiales.

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Un design à la fois révolutionnaire et réaliste

En 2018, lors du 50e anniversaire du salon Euronaval qui se tient tous les deux ans au Bourget, le constructeur français Naval Group a présenté le SMX-31. Concept révolutionnaire de sous-marin, le SMX-31 était en rupture avec tous les designs existants depuis la Première Guerre mondiale : le « kiosque », qui permet notamment de naviguer en surface, a disparu ; les propulseurs sont placés à l’extérieur de la coque plutôt qu’à l’arrière de cette dernière ; et le navire est recouvert d’une « peau intelligente » agissant à la fois comme un bouclier acoustique et une antenne sonar conforme.

Deux ans plus tard, Naval Group revient à Euronaval Online avec une copie revue et corrigée, le SMX-31 E. Si cette nouvelle mouture conserve une forme résolument futuriste, Naval Group a travaillé pendant deux ans avec des marins et des équipementiers pour rendre son concept plus crédible, plus réaliste. Il en résulte un design plus équilibré, emportant notamment moins d’armes mais plus de drones. La peau intelligente disparaît également au profit d’antennes sonar plus conventionnelles.

Plus réaliste ne signifie cependant pas moins ambitieux, au contraire ! Avec le SMX-31 E, Naval Group présente un sous-marin novateur qui pourrait réellement être opérationnel en 2040. La forme et le revêtement du sous-marin sont ainsi conçus pour le rendre plus furtif face aux sonars actifs, tout en s’inspirant (par biomimétisme) de certaines caractéristiques physiques des cétacés et des requins. Et à l’intérieur de cette coque futuriste, ce sont toutes les technologies actuellement développées pour le monde civil et militaires qui pourraient lui permettre de révolutionner le combat sous-marin.

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Un sous-marin 100% électrique

Mis à part les sous-marins nucléaires, qui restent l’apanage des grandes puissances, la plupart des sous-marins disposent d’une propulsion diesel-électrique. Hybride par définition, ce mode de propulsion repose généralement sur des batteries au plomb qui alimentent le sous-marin en plongée. Lorsqu’elles sont épuisées, elles sont rechargées par un moteur diesel, imposant de remonter vers la surface pour évacuer les gaz d’échappement. Une manœuvre bruyante qui rend le sous-marin vulnérable.

Avec le SMX-31 E, Naval Group entend passer de la propulsion hybride à la propulsion tout-électrique, afin de supprimer cette vulnérabilité. Et l’ambition est grande, puisque le SMX-31 E doit pouvoir passer 40 jours sous l’eau à la vitesse de 8 nœuds, ce que seuls les sous-marins nucléaires arrivent à faire aujourd’hui !

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Pour réaliser un tel exploit, point de miracle. Naval Group s’appuie sur les progrès déjà réalisés – et les travaux en cours – en matière de batteries lithium-ion. Profitant de l’intérêt universel pour les batteries li-ion, l’industriel espère disposer dans 20 ans de batteries deux fois plus énergétiques qu’aujourd’hui, mais aussi bien plus fiables.

Toutefois, le monde sous-marin aura besoin de ses propres technologies de rupture, notamment en matière de Battery Management System. Ces « systèmes de contrôle des batteries d'accumulateurs », en bon français, sont des équipements électroniques intégrés à la plupart des sets de batteries. Dans le domaine de la mobilité, les BMS vont servir à contrôler l'état, la charge, le flux sortant et la sécurité des batteries de nos trottinettes, vélos et voitures électriques.

Mais dès lors que le SMX-31 E embarque plusieurs centaines de tonnes de batteries li-ion interconnectées, il faudra intégrer aux BMS une puissance de calcul et des algorithmes de contrôles qui n’existent tout simplement pas aujourd’hui. La gestion électrotechnique des batteries actuelles cédera la place à une gestion numérique pleinement automatisée, seule à même d'assurer les performances et la sécurité de packs de batteries de cette importance.

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Economiser l’énergie partout et tout le temps

L’autre grande évolution proposée par le SMX-31 E concernera la gestion énergétique. Tous les sous-systèmes du bord seront pensés pour économiser leur consommation énergétique, à la manière d’un vaisseau spatial où chaque Watt est compté. Tout équipement inutilisé pourra par exemple être mis en veille de manière automatique, les éclairages par LED seront généralisés et les déperditions énergétiques limitées autant que possible.

Cela passera notamment par ce que Naval Group appelle l’énergie diffuse. En plus des gros blocs de batteries pour alimenter les moteurs et l’ensemble du bâtiment, les sous-systèmes pourront disposer de leurs propres batteries intégrées. On peut ainsi imaginer un affichage principal constitué en réalité d’une multitude de tablettes tactiles bord à bord. En cas d’avarie au combat séparant cet affichage du réseau électrique, ou pour économiser de l’énergie en fin de mission, on pourrait alors transférer l’affichage sur un seul mini-écran avec une ergonomie dégradée mais toujours fonctionnelle.

Autre nouveauté, Naval Group entend équiper le SMX-31 E de convertisseurs étagés afin d’adapter en permanence la tension et la résistance du réseau électrique du bord. En fonction des besoins à l’instant T, la puissance extraite des sources d’énergie pourra être adaptée au plus juste, ce qui évitera de devoir convertir et évacuer l’électricité non-utilisée sous forme de chaleur, comme c'est le cas actuellement à bord des navires.

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L’intelligence artificielle au profit du Smart Ship

Malgré ses 80 m de long et ses 3 200 tonnes de déplacement, le SMX-31 E n’a besoin que d’un équipage de 15 marins, auxquels viendront s’ajouter jusqu’à 20 spécialistes, en fonction de la mission. Pour arriver à un équipage aussi réduit, le SMX-31 E misera sur la carte de l’automatisation.

Dans l’ensemble, il sera équipé des mêmes senseurs que les sous-marins actuels : sonars, radars, capteurs électromagnétiques, caméras intégrées aux périscopes, etc. Mais en 2040, ces capteurs seront beaucoup plus précis qu’aujourd’hui et 100% numériques, emmagasinant considérablement plus de données auxquelles viendront s’ajouter celles obtenues par les différents capteurs déportés à bord de drones opérés depuis le SMX-31 E.

Aujourd’hui, une telle quantité de données serait humainement et informatiquement impossible à traiter en temps réel. Mais demain, Naval Group devrait pouvoir compter sur les progrès en cours de réalisation en matière d’algorithmique complexe. Dès aujourd’hui, des démonstrateurs d’intelligence artificielle que nous avons pu voir fonctionner permettent de classifier de manière autonome les échos sonars les plus courants. Ce qui permet aux opérateurs sonars de se concentrer sur les éléments les plus importants.

A l’avenir, ces algorithmes devront être couplés à des solutions de deep learning, en faisant de véritables intelligences artificielles capables d’apporter une aide à la décision à tous les échelons du sous-marin. Ces futures IA pourront ainsi prédire la maintenance des équipements mécaniques, aider à construire la situation tactique présentée aux officiers, aider à la navigation et même assister le commandant dans ses prises de décisions !

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L’interface homme-machine, le véritable défi du SMX 31E

Dès lors, Naval Group travaille déjà sur la question essentielle de l’explicabilité des intelligences artificielles. Pour que l’équipage puisse faire confiance à un assistant virtuel alors que des vies sont en jeu, il est en effet impératif que les opérateurs comprennent pourquoi telle action leur est recommandée.

La question de la présentation de l’information est non seulement essentielle, mais également difficile à appréhender. Chez Naval Group, on le dit clairement : la question de l’interface homme-machine est aujourd’hui la plus complexe à anticiper. Tous les experts, analystes et industriels interrogés au sein du groupe sont unanimes : personne ne peut prévoir aujourd’hui les affichages de 2040. Les lunettes de réalité augmentée auront-elles remplacé les écrans de smartphone ? Les écrans souples seront-ils généralisés ? Quid des écrans transparents, ou des écrans holographiques ?

En attendant que la réalité dépasse l’imagination, Naval Group travaille sur des concepts plus larges, et se positionne sur certains points. Les lunettes de réalité virtuelle, si elles permettraient de se passer de grands écrans énergivores, semblent rejetées d’office. Au sein d’un central opération, chaque opérateur est un maillon essentiel de la chaîne de décision, et il est hors de question d’isoler un marin de ses camarades par des lunettes opaques.

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On envisage donc plutôt des systèmes d’affichage panoramiques, éventuellement à l’opacité variable et à l’ergonomie reconfigurable en fonction de chaque tâche. Une salle 360° pourrait servir pour afficher en temps réel les données visuelles obtenues par le périscope ou par un drone aérien déployé depuis le bord. Partout, la réalité augmentée pourrait jouer un rôle central. Par exemple, les signaux électroniques perçus par des antennes dédiées pourraient être représentés de manière visuelle par-dessus l’image du périscope. L’opérateur pourrait alors « saisir » l’un de ces signaux, le déposer sur sa console et le décortiquer en détail, à la manière de Tom Cruise devant son interface dans le film Minority Report.

Enfin, indépendamment du support sur lequel elle sera intégrée en 2040, la réalité augmentée devrait être généralisée à toutes les tâches de maintenance, afin de « voir » les équipements, câblages et fluides à travers les cloisons et tuyaux. Des outils de réalité augmentée intégrés sur des tablettes sont déjà utilisés aujourd’hui sur les chantiers de Naval Group, afin de visualiser le positionnement des équipements avant leur assemblage.

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Des réseaux connectés sous l’eau

Dans les deux prochaines décennies, les marines occidentales vont être confrontées à de nouvelles menaces. Constellations de satellites d'observation militaires, drones de détection à longue portée, missiles hypersoniques et balistiques anti-navires, mais aussi canons électromagnétiques et lasers vont rendre le combat de surface de plus en plus risqué. Si on y ajoute le besoin de protéger des câbles sous-marins, gisements miniers et exploitations pétrolières offshore de plus en plus nombreux, on devrait assister à un glissement progressif des centres d’intérêt maritimes de la surface vers les fonds marins.

Ce faisant, les marines se préparent déjà à un nouveau concept opérationnel : l'Extended Underwater Battlefield. Le principe de ce nouveau champ de bataille sous-marin étendu réside dans l’installation de réseaux de capteurs maillés subaquatiques, capables de surveiller en permanence les mouvements d’un adversaire et de communiquer l’information au reste de la flotte. Un sacré défi lorsque l’on sait que les ondes radio se diffusent extrêmement mal sous l’eau !

Dès à présent, laboratoires et industriels s’intéressent aux technologies pouvant être intégrées à ce nouveau champ de bataille, même s’il est impossible de connaître celles qui seront opérationnelles –et abordables– en 2040. De manière générale, il s’agira de déployer des capteurs sur le fond marin mais aussi à bord de bouées, voire de mini-drones autonomes. Les senseurs pourraient comprendre des sonars et des hydrophones, comme aujourd’hui, mais aussi des capteurs magnétiques miniaturisés, des détecteurs de radiations ou d’ondes électromagnétiques, voire des Lidars (détecteurs lasers) à laser bleu-vert.

Au-delà de ces senseurs déportés, le véritable défi portera sur les relais de communication. Pour disposer d’un réseau maillé déporté capable de trianguler précisément les menaces, ces capteurs devront pouvoir communiquer entre eux, mais aussi transmettre leurs informations au SMX-31 E et à la flotte de surface. Au-dessus de l’eau, cela pourra se faire par liaison hertzienne ou satellitaire, ou même par communication laser directionnelle, plus discrète. Sous l’eau, par contre, il faudra tout réinventer.

Des avancées sont attendues en matière de communication acoustique longue portée, qui manque cependant de discrétion. A courte portée, pour relier les capteurs entre eux, le laser bleu-vert peut ici aussi être une solution. Mais pour la longue distance, la solution la plus pratique et la plus discrète pourrait être, tout simplement, la fibre optique.

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Un sous-marin porte-drones

Pour mettre en place et entretenir ses champs de capteurs à l’échelle d’un théâtre d’opération, le SMX-31 E se présente comme une solution idéale grâce à sa furtivité et sa grande autonomie. Par rapport au SMX-31 de 2018, le SMX-31 E embarque deux fois moins d’armes mais beaucoup plus de drones sous-marins (UUV).

Les hélices étant déportées dans des nacelles latérales, l’arrière du sous-marin peut intégrer un tube de 900 mm de large relié à un atelier et permettant la mise à l’eau de drones autonomes ou téléopérés de taille moyenne. Comme aujourd’hui, ces UUV pourront servir pour des opérations d’inspection, de déminage ou de surveillance. Mais ils pourront aussi servir directement à l’entretien des capteurs déportés, notamment pour remplacer leurs batteries, ou à la reconfiguration des réseaux de capteurs diffus.

En plus de ces UUV, déjà présents sur le concept de 2018, le SMX-31 E incorpore dans son dos deux gros XLUUV. Disposant d’une capacité d’emport de 5m3 en interne et près de 40m3 en externe, ces gros drones pourraient fonctionner de manière autonome sur de très longues distances. Selon Naval Group, ils seraient idéalement utilisés pour déployer les réseaux de capteurs maillés, mais aussi pour dérouler les câbles de fibre optique, transporter des plateformes de recharge à induction pour les drones de surveillance, ou embarquer des mini-drones chargés de l’entretien du réseau. Ces XLUUV pourront embarquer leurs propres capteurs et périscopes, et pourront agir comme de véritables mini-sous-marins autonomes.

En complément de ces UUV, le SMX-31 E peut également mettre en œuvre un petit drone volant, libéré par une plateforme flottante qui serait reliée au sous-marin par un câble déroulant. Ce drone permettrait de surveiller l’environnement visuel et électronique du SMX sans le forcer à remonter à immersion périscopique.