Lightyear One
Lightyear One

Alors que la transition vers les véhicules électriques semble s’accélérer, plusieurs modèles de voitures rechargeables au soleil vont arriver sur le marché en fin d’année. Gadgets anecdotiques ou vraies solutions ?

Sur le papier, l’idée d’une « voiture solaire » peut faire sourire. On sait que les panneaux photovoltaïques actuels pour l’habitat affichent une efficacité de 20 à 25 % (c'est-à-dire que 75 à 80% de l’énergie solaire n’est pas convertie en électricité). Pour les objets portables, on sait aussi que la recharge au soleil est lente : il existe une multitude de panneaux solaires pliables, powerbanks et autres sacs à dos équipés de cellules photovoltaïques mais, dans tous les cas, recharger un simple smartphone au soleil nécessite plusieurs heures. Enfin, il paraît difficile d’imaginer une voiture pouvant tirer parti d’une énergie qui, par essence, fluctue fortement selon les endroits et les saisons. Autant dire que le principe de voiture solaire n’est pas un pari gagné d’avance...

Gamme solaire

Pourtant, plusieurs constructeurs, dans plusieurs pays, s’apprêtent à lancer sur le marché des véhicules 100% électriques rechargeables au soleil, de toutes tailles et dans des gammes de prix variées.

Aux Pays-Bas, Lightyear développe depuis 2016 sa « Lightyear One », un « véhicule électrique solaire à forte autonomie conçu pour être indépendant du réseau électrique », et confirme sa livraison pour fin 2021. La voiture est une luxueuse berline, vendue 150 000 € HT, dont toit et capot son recouverts de cellules photovoltaïques. Mi-mars 2021, l’entreprise réalisait une nouvelle levée de fonds, de 48 millions de dollars, notamment destinée à développer un autre modèle solaire, plus « grand public ».

Lightyear One
Lightyear One

Aux Etats-Unis, Aptera vient également de bénéficier d’une injection de capital de 4 millions de dollars, et assurait en février dernier avoir engrangé plus de 7000 précommandes pour son petit véhicule solaire, qui devrait être lui aussi produit d'ici la fin de l'année. La voiture au look futuriste, à deux places et trois roues, est proposée à partir de 21 900 € (de 25 900 à 44 900 $, selon les configurations).

En Allemagne, Sono Motors a pris du retard (notamment à cause de la pandémie Covid) pour la sortie de sa Sono Sion, prévue en 2022 : un petit monospace à l’équipement dépouillé, commercialisé à 25 000 € et presque intégralement recouvert de cellules solaires (selon un procédé breveté d’injection thermoplastique, les cellules sont directement intégrées à la carrosserie). Des dires du constructeur, le véhicule devrait servir à recharger d’autres véhicules, et ses batteries se rechargeront au soleil même quand elle roule. Après avoir levé 53 millions d’euros en 2020, l’entreprise chercherait actuellement à s’introduire en bourse aux Etats-Unis, selon l’agence Reuters.

Sono Sion

De nouveaux acteurs apparaissent, comme Squad Mobility, fondé par d’anciens responsables de Lightyear pour développer un petit véhicule urbain et solaire. Le premier modèle, Squad, est une micro-citadine électrique à deux places, limitée à 45 km/h en version de base et proposée en précommande à 5750 € HT. La voiture évoque la Citroën Ami, mais avec la particularité de ne se recharger qu’au soleil (les batteries peuvent toutefois s’enlever pour être chargées via le grid).

L’entreprise entend aussi se développer sous l’angle du service (MaaS, « Mobility as a service ») avec un principe d’abonnement forfaitaire à environ 100 €/mois, et assure que la première série sera livrée au dernier trimestre 2021.

Squad Mobility

Kilomètres solaires

Si l’idée de voitures solaires a été accueillie ces dernières années avec scepticisme par les médias, toutes ces start-ups semblent donc bien motivées à en faire une réalité. Reste à savoir ce qu’elles apportent, notamment au plan de l’équation énergétique.

A en croire les constructeurs, le solaire est loin d’être un gadget. Produire des véhicules plus écologiques et répondant mieux aux nécessités de la crise climatique est l’ambition initiale, mais tous les fabricants de voitures solaires affirment également, avec force, que leurs véhicules s’avèreront à l’usage à la fois plus souples, plus autonomes et plus économiques.

Aptera, par exemple, défend le concept « Never Charge » : une voiture qui ne se rechargerait jamais, puisque « elle produit chaque année plus d’énergie que la plupart des automobilistes n’en utilisent sur la route ». Le véhicule pourrait ainsi rouler « jusqu’à 74 kilomètres par jour en utilisant une énergie gratuite produite par ses panneaux solaires intégrés ».

Aptera

« L’énergie du soleil est moins chère que celle du grid », croit bon de rappeler Sono Motors, qui assure que sa Sion permettra « une diminution du coût d’utilisation global de 20% sur huit ans, puisque plus de 5000 km par an sont fournis gratuitement ».

Même pour des véhicules de forme et de taille classique, le supplément d’autonomie kilométrique ne serait pas négligeable, en tout cas pour certains usages. La Lightyear One, recouverte de 5 m2 de panneaux solaires, peut fournir 12 km d’autonomie en une heure de recharge au soleil. C’est à la fois peu et beaucoup. En France, le travail est le principal facteur de déplacement en voiture et, ici comme ailleurs, la majorité des trajets s’effectuent sur de courtes distances.

Sono Sion

En 2012 aux Etats-Unis, des travaux de l’Université de Colombia avaient par exemple montré que « 95% des 750 000 trajets enregistrés par les participants à l’étude concernaient des distances de moins de 48 km ». En outre, pour les américains utilisant leur voiture quotidiennement pour se rendre sur leur lieu de travail, « la distance moyenne parcourue était de 22 kilomètres ».

On comprend dès lors, comme le soutiennent les créateurs de voitures solaires, qu’un véhicule principalement utilisé le matin et le soir sur des trajets courts, et restant sur un parking en plein air tout le reste de la journée, pourrait facilement emmagasiner assez d’énergie pour ne presque jamais avoir à être rechargé. « La Sion peut ajouter jusqu’à 112 km d’autonomie par semaine via l’énergie solaire. C’est-à-dire une pleine auto-suffisance pour de courtes distances », note Sono Motors.

Hyundai Ioniq 5

Du solaire partout

Même sans parler de voitures solaires proprement dites, optimisées pour consommer le moins d’énergie possible (matériaux légers, profils très aérodynamiques...), l’idée d’utiliser le solaire en situation de mobilité semble faire son chemin.

En 2019, le fabricant chinois de panneaux solaires flexibles Hanergy avait montré qu’une petite voiture citadine classique pourrait significativement gagner en autonomie en étant recouverte de cellules photovoltaïques. Utilisée sur des trajets de 20 km tous les jours pendant un mois, dont huit jours de pluie, sans jamais être rechargée autrement qu’au soleil, la voiture affichait toujours une charge de 60% de sa batterie à la fin du test. Quelques constructeurs traditionnels proposent d’ailleurs des équipements solaires en option. C’est notamment le cas de Hyundai, qui présentait en février 2021 une version de sa Ioniq 5 dotée d’un toit solaire. Selon les endroits, « les panneaux solaires peuvent étendre son autonomie de 2000 km par an, ou environ 5 km par jour ».

Même constat pour les futures véhicules sans chauffeurs. En Australie, Blanc Robot est une plateforme de mobilité qui vise une autonomie décisionnelle de niveau 5 (la plus élevée). L’engin est une sorte de châssis bardé de capteurs sur lequel peuvent s’installer différents modules pour le transformer en minibus, en véhicule utilitaire ou en chariot de livraison. Début mars 2021 a été montré un prototype de ce véhicule autonome équipé d’une coque solaire en polycarbonate, qui peut apporter « jusqu’à 30 % de ses besoins en énergie, en conditions optimales ». Via le solaire, le véhicule peut parcourir « 30 à 55 km supplémentaires ».

Sono Motors

L’équation semble encore plus favorable au solaire si l’on considère les camions. En début d’année, Sono Motors présentait un semi-remorque entièrement recouvert de cellules photovoltaïques, soit une surface de 115 m2 de panneaux solaires. « L’intégration solaire pourrait générer en moyenne 38 kw/h par jour, ce qui signifie que le camion pourrait rouler 16 990 km par an en utilisant uniquement l’énergie solaire », estime l’entreprise, ajoutant que ce sont là des estimations « prudentes », basées sur l’ensoleillement à Munich, en Allemagne.

Tout cela laisse entrevoir une véritable explosion du marché des véhicules solaires. « Les concepteurs de véhicules qui n'envisagent pas encore de carrosserie solaire sont dingues », lance même IDTechEx. La cabinet d’études prospectives, expliquant que « l’adoption du solaire pour les véhicules est si rapide » qu’il a dû actualiser son rapport sur le sujet quelques mois après sa sortie, estime en février 2021 que le nombre de véhicules solaires vendus pourrait progresser de quelques milliers aujourd’hui à près de 3 millions en 2041. Un marché naissant, qui pourrait représenter près de 40 milliards de dollars dans vingt ans — 200 fois plus qu’aujourd’hui.

Hyundai

Coup marketing ou innovation disruptive ?

Reste à savoir, côté voitures au moins, si les données optimistes avancées par les constructeurs résisteront à l’usage en situation réelle. On le sait, les performances des panneaux solaires sont fortement amoindries par la poussière et les salissures. Et dans beaucoup d’endroits, à commencer par les villes, les parkings sont sous-terrain ou abrités...

D’un autre côté, l’efficacité des panneaux solaires ne fait qu’augmenter d’année en année. En laboratoire, on atteint déjà une efficacité de plus de 40 % (un record mondial d’efficacité solaire, à 47 %, a été établi en août 2020) et beaucoup d’experts estiment qu’on peut aller au-delà (soit en améliorant les principes existants, soit en utilisant d’autres matériaux qu’aujourd’hui). On a donc tout lieu de penser que les performances des voitures solaires vont s’améliorer à moyen ou long terme.

Semi-remorque solaire Scania

Au final, l’intégration du solaire dans la mobilité pourrait ne plus du tout être négligeable, voire jouer un rôle important pour juguler l’empreinte carbone globale du transport mondial.

En attendant, on peut s’attendre à ce que les voiture solaires fassent parler d’elles — en bien ou en mal – dès l’année prochaine. Et se prendre à rêver qu’un jour, peut-être, nos véhicules utiliseront principalement une énergie propre, gratuite et disponible et quantité illimitée.