Et si l’air qui nous entoure servait à bien plus de choses qu’à nous permettre de respirer ?
Moonshots est une rubrique de Clubic présentant de façon résolument optimiste des technologies innovantes et futuristes, susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes de notre monde à moyen ou long terme. Idées improbables, innovations de rupture et solutions crédibles : de quoi faire (un peu) rêver à un monde meilleur, un mercredi sur deux.
Ce que nous appelons « air » dans le langage courant est plus complexe qu’il n’y paraît. La masse gazeuse qui nous entoure au quotidien, appelée troposphère, contient beaucoup d’éléments chimiques distincts (sans parler des différent polluants et particules fines) : de l’oxygène bien sûr, mais aussi de l’azote, de l’argon, du dioxyde du carbone, de la vapeur d’eau... L’air ambiant peut donc être vu comme un vaste « réservoir » de ressources naturelles que l’on peut chercher à exploiter. Beaucoup d’initiatives, de projets de recherche et même d’entreprises vont dans ce sens.
De l’air à l’eau
L’un des exemples les plus notables est la possibilité de produire de l’eau à partir d’air.
Depuis 2015, l’entreprise américaine Source (anciennement Zero Mass Water) est entièrement dévolue à « produire une eau potable parfaite à partir de la lumière du soleil et d’air ». Pour cela, elle commercialise des « Hydropanels », des appareils de la taille d’une grosse TV, composés de panneaux solaires et d’un dispositif de condensation. L’entreprise ne détaille pas précisément les technologies utilisées, mais le principe est facile à comprendre : des ventilateurs conduisent l’air ambiant sur des matériaux absorbants qui emprisonnent la vapeur d'eau de l'air, avant de la restituer après condensation sous forme d’eau liquide. Des minéraux sont ajoutés pour rendre l’eau potable. Le tout est totalement déconnecté du grid et produit une eau dépourvue de tous polluants. Une appli mobile permet d’ailleurs de suivre en temps réel le fonctionnement de l’appareil et le remplissage du réservoir, mais aussi de surveiller la qualité de l’eau produite.
Un hydropanel coûte environ 2 500 $ et peut produire de l’ordre de 5 litres d’eau potable par jour. Le fondateur de Source assure que les deux hydropanels installés sur le toit de sa maison dans l’Etat de l’Arizona, réputé pour son climat particulièrement sec, suffisent à subvenir aux besoins en eau potable de toute sa famille (quatre personnes et deux chiens). L’entreprise a du reste déjà installé des hydropanels dans 45 pays, par exemple à destination de logements sociaux pour sans-abris en Californie ou de villages isolés aux Philippines, et effectué une levée de fonds de 50 millions de dollars en juin 2020 pour poursuivre son développement.
Source n’est pas seule à démontrer la possibilité de produire de l’eau à partir d’air et plusieurs méthodes font l’objet de recherches nourries. C’est le cas des MOF (Metal Organic Framework), des matériaux particuliers formés à partir d’ions métalliques et de molécules organiques, caractérisés par leur extrême porosité. Ces matériaux très prometteurs peuvent servir à de nombreux usages comme le stockage d’hydrogène ou le traitement des déchets nucléaires, mais peuvent aussi permettre de générer de l’eau. Pour le dire simplement (et schématiquement), certains MOF se comportent comme de véritables éponges capables d’absorber les molécules d’eau présentes dans l’air.
Pionnier en la matière, le professeur Omar Yaghi, à l’Université de Berkeley en Californie, travaille sur des MOF pour extraire l’eau de l’air depuis 2014. En 2019, son équipe montrait un « récolteur d’eau » capable de produire jusqu’à 1,3 litre d’eau pure à partir de 1 kg de MOF, y compris en plein désert. La start-up Water Harvesting, co-fondée par Yaghi, assurait récemment tester un appareil plus petit, susceptible de produire 4 litres d’eau par jour à partir de 100 g de MOF, et pouvant fonctionner pendant 5 à 6 ans sans remplacer les substances absorbantes.
Sans surprise, les MOF suscitent partout dans le monde un intérêt considérable, à la hauteur des enjeux concernés. En octobre 2020, une équipe de l’Université nationale de Singapour montrait un procédé à base de MOF particulièrement simple, qui ne nécessite ni lumière ni électricité et ne comporte aucune pièce mécanique mobile. Testé de façon continue en laboratoire pendant 1 440 heures, la méthode permettrait, à grande échelle, de produire jusqu’à 17 litres d’eau parfaitement potable par jour avec un seul kg de MOF. Même si 1 kg de cette substance très légère occuperait un volume imposant, on comprend l’intérêt de la solution. « Notre invention est une solution prometteuse pour la production d'eau douce de façon durable quelle que soient les conditions climatiques et à un coût énergétique minimal », concluaient les chercheurs.
Les progrès en la matière sont donc bien réels et tout porte à croire que ce type de solutions est une voie d’avenir. En février 2021, GE confirmait un financement de 14 millions de dollars de la part de l’agence de recherche de l’armée américaine (DARPA) pour mettre au point dans les quatre ans qui viennent « un appareil portable très compact qui peut littéralement produire de l'eau propre et saine à partir de rien ». Baptisé AIR2WATER, le projet, mené en collaboration avec trois universités, s’appuiera notamment sur l’impression 3D pour conduire à un appareil pouvant être porté par quatre personnes, et capable de subvenir aux besoins quotidiens en eau potable de 150 soldats.
En dehors des MOF, d’autres pistes sont également explorées, comme des hydrogels ou divers matériaux aux caractéristiques singulières. En juin 2021 en Suisse, l’université ETH Zurich montrait un récolteur d’eau totalement passif utilisant des panneaux fabriqués à partir de polymères et d’argent. L’appareil, testé en version miniature sur un toit de Zurich, permet de condenser l’eau de l’air 24h/24 sans utiliser aucune source d’énergie. Les chercheurs estiment que le procédé pourrait permettre de récolter 5,3 cl d'eau par mètre carré de panneau et par heure (soit 1,2 litre d’eau par mètre carré et par jour).
De l’air aux diamants
Une autre possibilité offerte par l’air ambiant est d’en extraire du carbone. L’idée de retirer artificiellement le dioxyde de carbone de l’atmosphère n’est pas nouvelle et se traduit par de multiples procédés industriels de « séquestration du carbone ». Si certains interviennent directement en aval des usines pour traiter leurs émissions nocives et limiter leur impact carbone, d’autres solutions fonctionnent à partir de l’air ambiant, comme le principe de « Direct Air Capture » (DAC) : on concentre un flux d’air dans des colonnes, afin de piéger le CO2 via différents procédés physico-chimiques. En quelque sorte, il s’agit de directement « pomper » le CO2 présent dans l’air.
C’est par exemple la technique employée par la start-up suisse Climeworks, dont la mission est de combattre les effets du changement climatique en retirant le CO2 de l’air de façon permanente via des collecteurs de CO2 modulaires qui peuvent être empilés pour construire des machines de toutes tailles. « Ces machines sont alimentées uniquement par des énergies renouvelables ou à partir d'énergie provenant des déchets. Les émissions grises sont inférieures à 10%, ce qui signifie que sur 100 tonnes de dioxyde de carbone que nos machines captent dans l'air, au moins 90 tonnes sont définitivement éliminées et seulement 10 tonnes sont réémises », explique l’entreprise, qui opère déjà 14 installations de DAC.
La plus imposante installation de capture directe du CO2 au monde a d’ailleurs été officiellement inaugurée aujourd’hui le 8 septembre 2021 en Islande : baptisée Orca, elle permettra de retirer 4 000 tonnes de CO2 de l’atmosphère chaque année.
Que fait-on du CO2 capturé ? Plusieurs options sont possibles, dont l’injection du gaz dans les profondeurs souterraines (entre 800 et 2 000 m de profondeur), où il se reminéralisera et se fondra aux couches rocheuses de la planète (le procédé est utilisé par Climeworks, en partenariat avec l’entreprise spécialisé Carbfix).
Mais qui dit CO2 dit aussi... carbone. On peut donc utiliser ces méthodes pour extraire du carbone de l’air — et en faire ce que l’on veut.
En Californie, Negative commercialise ainsi depuis fin 2020 des bracelets de perles noires produites à base de dioxyde de carbone extrait de l’atmosphère (en partenariat avec Climeworks et Carbon Upcycling Technologies, autre entreprise utilisant la DAC pour produire des dérivés carbonés). D'autres vont plus loin : au moins deux entreprises, Aether aux Etats-Unis et SkyDiamond en Grande Bretagne, transforment le CO2 capturé dans l’air... en diamants.
« Fabriquer des diamants à partir de rien d'autre que du ciel, de l'air que nous respirons, est une idée magique et évocatrice, c'est de l'alchimie moderne », commente Dale Vince, fondateur de SkyDiamond. Concrètement, l’entreprise utilise le CO2 extrait de l’atmosphère sous forme gazeuse puis le purifie et le liquéfie, avant de le combiner à de l’hydrogène (produit à partir d’eau par simple hydrolyse) pour produire du méthane. Une fois porté à de très hautes température, le résultat final est un diamant en forme de boule, ensuite taillé de façon conventionnelle pour obtenir des pierres précieuses.
Le tout est hautement écologique. L’extraction des diamants naturels est très lourde au plan environnemental, comme le rappelle une méta-étude du Collège impérial de Londres en février 2021 : chaque carat de diamant extrait de façon traditionnelle représente une empreinte carbone moyenne de plus de 100 Kg d’équivalent CO2, nécessite près de 4 m3 d’eau et consomme 100 kWh d’énergie, sans parler des tonnes de roches déplacées. Les diamants synthétiques ont, eux, une empreinte carbone généralement moindre, mais sont néanmoins produits à partir d’énergies fossiles. La solution de SkyDiamond, qui utilise exclusivement des énergies renouvelables (éolien et solaire), de l’eau de pluie et, surtout, du carbone issu de l’air, paraît autrement plus « eco-friendly ».
Si la possibilité de produire des pierres précieuses à partir d’air est en soi frappante, les bijoux ne sont évidemment pas la seule application possible. Carbon Upcycling produit par exemple des additifs destinés à renforcer le béton tout en le rendant plus durable et en réduisant considérablement son empreinte carbone. L’idée maîtresse dans tout cela est que l’excès de CO2 nuisible pour l’environnement et la planète peut non seulement être capturé dans l’air mais aussi être considéré comme une ressource à part entière.
De l’électricité dans l’air
On peut ainsi poursuivre la liste des choses — parfois surprenantes — qu’il devient possible de faire avec l’air qui nous entoure.
En Finlande, Solar Foods entend révolutionner la production alimentaire et promet « une nourriture abondante produite à partir d’air et d’électricité ». L’entreprise a mis au point un procédé de fermentation inédit : des micro-organismes sont nourris à partir des composants issus de l’air (en particulier le CO2 et l’eau) et, après avoir avoir été séchés, sont transformés en une farine très riche en protéines. Baptisée Solein, elle apporte tous les acides aminés nécessaire au régime alimentaire humain. C’est donc une façon radicalement nouvelle de produire de la nourriture, de façon respectueuse de l’environnement et en puisant l’essentiel des ressources nécessaires dans l’air ambiant. Cela pourrait être la clé d’une « véritable révolution agricole » (en rupture notamment avec les productions d’aliments d'origine animale « qui occupent les terres, gaspillent les eaux et provoquent le changement climatique »), comme le décrit Solar Foods. L’entreprise a déjà levé 35 millions d’euros, dont 10 millions en avril 2021 du Fonds finlandais pour le climat, et s’apprête à ouvrir un centre de production de Solein à grande échelle, qui devrait être opérationnel en 2023.
Autre exemple, l’université du Massachusetts à Amherst a publié l’année dernière des travaux si particuliers qu’ils semblent presque étonner les scientifiques qui en sont à l’origine : « Nous fabriquons littéralement de l’électricité à partir de l’air ambiant », résument-ils. Le procédé s’appuie sur un appareil baptisé « Air-Gen », pour « générateur alimenté par l’air », tirant parti des caractéristiques physico-chimique d’une protéine naturelle générée par un microbe. « L’Air-Gen connecte des électrodes aux nanofils protéiques de telle sorte qu'un courant électrique soit généré à partir de la vapeur d'eau naturellement présente dans l'atmosphère », décrivent les chercheurs.
Si le procédé demeure expérimental, il permet déjà de produire une énergie propre, 24h/24, qui pourrait suffire à « alimenter les petits appareils électroniques portables tels que les capteurs de santé et de fitness ou les montres connectées, en éliminant le recours aux batteries traditionnelles ». Les chercheurs n’excluent pas non plus d’utiliser la technique pour recharger des téléphones mobiles et imaginent même « des systèmes à grande échelle avec par exemple une peinture murale qui pourrait aider à alimenter une maison en électricité ». Et ils concluent que la possibilité de produire de l’électricité à partir d’air pourrait être « une contribution majeure à la production d'énergie durable ».
L’air comme ressource
Tout cela devrait peut-être nous amener à relativiser les habituelles assertions sur la rareté des ressources, ou au moins à changer de regard sur la définition d’une ressource.
Les progrès scientifiques (en particulier en matière de compréhension des processus physico-chimiques), l’innovation technologique et l’ingéniosité humaine sont à l’œuvre pour tenter de transformer l’air qui nous entoure en ressource aussi infinie que polyvalente. Et si nous sommes capables aujourd’hui de produire de l’eau, de la nourriture ou de l’énergie à partir d’air, de quoi serons-nous capables dans 30 ans ?