Et si de nouvelles techniques d’impression 3D permettaient de tout fabriquer en quelques secondes ? Et si cela transformait en profondeur notre façon de produire et de consommer ?
Moonshots est une rubrique de Clubic présentant de façon résolument optimiste des technologies innovantes et futuristes, susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes de notre monde à moyen ou long terme. Idées improbables, innovations de rupture et solutions crédibles : de quoi faire (un peu) rêver à un monde meilleur, un mercredi sur deux.
En 2009, Fast Company évoquait une « révolution en matière de fabrication des objets ». Le magazine décrivait : « Prenez le design d’un produit quelconque – une pièce de moteur ou un ustensile de table – et introduisez-le dans un ordinateur. Appuyez sur “Imprimer” et il surgira un duplicata physique de l’objet, réalisé à partir de plastique, céramique, métal, ou même de sucre. Appuyez à nouveau sur “Imprimer” et il en sortira une autre copie, ou insérez un nouveau design pour fabriquer un autre objet ». Et d’ajouter : « Ca ressemble à une scène de Star Trek, mais c'est réel et devient de plus en plus courant. Ce processus porte plusieurs noms, mais il est désormais communément appelé "Impression 3D” ».
Demain, de l’électricité solaire spatiale ?
Révolution — ou pas
Depuis longtemps maintenant, l’impression 3D — ou plus généralement la fabrication d’objets couches par couches ou par itérations successives à partir de leur modélisation numérique (fabrication additive) — fascine. Ses promesses sont décrites par d’innombrables médias et experts, la plupart annonçant une « révolution » induite par cette technologie.
Au début des années 2010, The Street expliquait ainsi comment «
l’impression 3D va changer le monde » : « Ce n'est pas souvent que survient une révolution qui va tout changer. Mais comme Internet a changé la façon dont nous communiquons et partageons l'information, l'impression 3D va fondamentalement changer notre façon de fabriquer les choses ». En 2013, on pouvait lire sur Clubic que « l’impression 3D ne semble pas être une simple innovation » mais bien « une technologie de rupture qui pourrait chambouler l'industrie telle que nous la connaissons actuellement, tout autant que nos habitudes de consommation ».Pourtant, l’impression 3D a-t-elle vraiment entrainé une révolution qui a « tout changé » ? Oui et non.
Oui, car l’impression 3D est désormais une réalité industrielle. Elle est utilisée pour produire d’innombrables catégories de produits et pièces en tous genres, dans des secteurs très différents — de l’industrie automobile à celle des prothèses médicales, des chaussures aux bijoux jusqu’à la construction de bâtiments, sans parler de bio-impression 3D, qui est encore un autre domaine. Et la tendance ne s’infirme pas. Tout récemment, Adidas sortait des lunettes pour cyclistes imprimées en 3D, tandis que l’Institut des nanotechnologies pour le soldat décrivait un matériau inédit destiné aux revêtements de protection, plus résistant que le kevlar ou l’acier et imprimé en 3D à l’échelle nanoscopique. Aux Jeux olympiques de Tokyo, les archers coréens raflaient plusieurs médailles d’or... avec des arcs dont les poignées étaient toutes imprimées en 3D (une technologie Hyundai).
L’impression 3D est donc partout. Pour autant, on peut arguer que la promesse d’une « révolution de l’impression 3D » ne s’est pas encore pleinement réalisée.
En 2009, Fast Company notait que « le prix des imprimantes 3D chute rapidement et on en trouve aujourd’hui en-dessous de 10 000 $ ». Aujourd’hui, un modèle d’entrée de gamme coûte à peine quelques centaines d’euros. Pourtant, sont-elles aussi répandues dans les foyers que peuvent l’être une imprimante classique (ou d’autres appareils électroniques récents de prix comparables, comme les enceintes connectées) ? En regardant autour de vous, voyez-vous beaucoup d’objets imprimés en 3D ? Et quand vous avez perdu ou cassé un objet usuel, votre premier réflexe est-il de chercher un moyen de l’imprimer à partir de son modèle numérique ? D’ailleurs, trouve-t-on à chaque coin de rue des établissements ou des machines proposant d’imprimer à la demande n’importe quel objet, comme l’annonçaient beaucoup d’experts il y a une dizaine d’années ?
Les photocopieurs, les photomatons et autres distributeurs automatiques sont partout. Même s’il existe des sociétés de services spécialisées (comme Sculpteo ou Stereoleap en France), les imprimantes 3D en accès public demeurent rares. La fabrication additive a bel et bien engendré une révolution, mais qui demeure limitée et n’a pas encore véritablement touché le grand public, en tout cas pas au sens où l’entendaient les prospectivistes. En particulier, l’impression 3D n’a (pour l’instant) pas changé grand chose aux modes et habitudes de consommation. Une révolution industrielle certes, mais pas une révolution sociétale.
Xolo-innovation
Est-ce à dire que l’impression 3D restera cantonnée à des processus industriels complexes ou aux makers passionnés des fab-labs ? Probablement que non. En fait, la (vraie) révolution de l’impression 3D est encore en devenir, mais se précise.
Même si l’expression « impression 3D » recouvre de nombreuses réalités — technologies, matériaux, procédés — très distinctes, d’une façon générale la R&D dans ce domaine progresse vite et les innovations se multiplient. Le rapport de l’Office européen des brevets de juillet 2020 confirme que « l’innovation liée à la fabrication additive est en plein essor » et note même « une forte accélération de l’innovation dans ce domaine au cours des dernières années ». « De 2015 à 2018, le nombre de demandes de brevets liées à la fabrication additive a progressé de 36% par an en moyenne, un taux dix fois supérieur à la croissance annuelle moyenne du nombre de demandes déposées auprès de l’Office des brevets sur la même période », détaille le rapport.
Il y a donc une véritable vague d’innovation dans ce domaine et certaines des limites qui empêchaient l’impression 3D de « passer à l’échelle », notamment la lenteur de fabrication, sont en train de tomber.
En décembre 2020 ont ainsi été publiés dans la revue Nature des résultats de recherches qui feront date. Une dizaine d’universitaires allemands y présentent ce qui est décrit comme « la prochaine étape » en matière de méthodes de fabrication additive séquentielle, et introduisent le principe de « xolographie ».
Il s’agit d’une méthode inédite de photopolymérisation d’une résine. Pour simplifier, un faisceau laser « dessine » en quelque sorte les formes de l’objet « plan par plan » au sein même d’un bloc de matériau photosensible liquide qui se durcit au contact de la lumière. L’objet est ainsi fabriqué « tranche par tranche », au fur et à mesure des déplacements du laser. Ce qu’il faut surtout en retenir est que, selon les auteurs, le procédé offre « une résolution 10 fois supérieure à celle d’autres procédés d’impression 3D comme la lithographie axiale », et une vitesse de production volumétrique « de 10 000 à 100 000 fois supérieure » à celle de techniques de photopolymérisation à deux photons. « Nous pressentons que cette technologie va transformer la production volumétrique rapide d'objets, tant à l’échelle nanoscopique qu’à l’échelle macroscopique », estiment les chercheurs, qui ont d’ailleurs créé une start-up, Xolo, pour commercialiser le procédé et sortir sur le marché la première « imprimante 3D xolographique ».
Et ce n’est qu’un début. « Il est déjà prévisible que la vitesse augmentera sensiblement en accroissant la puissance des sources laser ou en utilisant d’autres matériaux photosensibles », décrivent les chercheurs, qui entrevoient « une méthode de production volumétrique idéale » sans être limités par la taille (de grands objets pourraient être produits via cette technique, par exemple en combinant les systèmes optiques à des flux de résines et non seulement à un bac fixe). Dit autrement, la fabrication quasi instantanée et pourtant précise d’objets en tous genres et (presque) de toutes tailles est à l’horizon.
Avenir imprimé
L’approche allemande est unanimement saluée comme très novatrice. Mais, au-delà de cette seule innovation (il y en a d’autres), l’important est de souligner que l’impression 3D est loin d’être un domaine figé aux contraintes immuables. C’est tout le contraire.
« La technologie d'impression 3D évolue aussi rapidement que ses scenarios d’usages », souligne John Barcus, Vice-président d’Oracle en charge des industries manufacturières, dans Forbes en 2020. Il décrit : « Les imprimantes 3D peuvent déjà utiliser des matériaux qui se dissolvent, ce qui leur permet de produire des objets avec des composants imbriqués. On peut aussi déjà mixer différents matériaux à différentes fins, par exemple pour imprimer un support avec une surface intérieure glissante et un extérieur rigide. Il en va de même pour l'impression d'un objet utilisant plusieurs couleurs différentes, ce qui implique de garder les matériaux séparés mais néanmoins liés ».
« Nous continuons à surmonter les limitations persistantes » de l’impression 3D, conclut-il, invitant à imaginer « toutes les options qui s'offriront à nous quand nous pourrons fabriquer presque tout ce que nous voulons, quand nous le voulons, en utilisant une imprimante 3D ».
Du reste, les spécialistes sont extrêmement confiants quant à l’avenir de la fabrication additive. Début 2020, 3D Printing Industry demandait à une centaines d’experts et d’acteurs de cette industrie leur vision de l’impression 3D à horizon 2030. Les réponses étaient aussi unanimes qu’optimistes. « Au cours de la prochaine décennie, l'impression 3D sera pleinement intégrée à la fabrication traditionnelle - la fabrication additive sera un élément courant de la plupart des chaînes d'assemblage », estime par exemple Naresh Shanker, directeur technique de Xerox. Et, au-delà de l’impact industriel, « l’impression 3D sera au cœur de notre économie à la demande, instantanée et hautement personnalisée, modifiant notre façon d'aborder la conception, l'inventaire, la logistique et l'exécution, offrant de puissants avantages économiques et environnementaux », annonce-t-il.
« D'ici la fin de la décennie, la fabrication additive transformera les chaînes d'approvisionnement avec des produits personnalisés disponibles sur commande grâce à une impression à la demande et locale », commente également Vyomesh Joshi, PDG de 3D Systems. « La qualité des impressions augmentera considérablement », prédit Bart Van der Schueren, directeur technique de Materialise, ajoutant que « la promesse de l'impression multi-matériaux et l'intégration de l'électronique permettront le développement de toutes nouvelles catégories de produits à haute valeur ajoutée, y compris des wearables sophistiqués et personnalisés ». « La fabrication hyper-locale promet des délais de livraison encore plus rapides de, disons, moins de 12 heures, et une approche plus durable de la fabrication en réduisant les émissions de carbone du transport », remarque Filemon Schöffer, directeur commercial de 3D Hubs.
Bénéfices
Les prémisses de ces profondes transformations sont déjà visibles aujourd’hui, et certaines de leurs conséquences sont perceptibles.
Sur le plan industriel, l’impression 3D va considérablement simplifier les méthodes de production, permettant de réaliser de vastes économies d’échelles, y compris pour les industries les plus exigeantes. La façon même dont sont pensées et conçues des réalisations complexes va être radicalement transformée. En juin 2021, la société californienne Relativity Space présentait par exemple la toute première fusée réutilisable imprimée en 3D — un lanceur concurrent des Falcon de SpaceX, qui comporte 100 fois moins de pièces détachées qu’une fusée classique et peut être entièrement produit par des robots et des imprimantes (moteurs compris) en deux mois.
L’impression 3D aura aussi un double impact bénéfique pour l’environnement. Elle est en train de changer les logiques de production pour les rendre plus éco-responsables et plus locales. Le studio de design autrichien EOOS vient de présenter un modèle de tricycle utilitaire dont l’essentiel de la structure est imprimée en 3D à partir de matériaux recyclés. L’intérêt est bien double : ne plus livrer ce type de véhicules là où ils sont nécessaires (mais les produire localement) et les fabriquer à partir de déchets (en l’occurrence les déchets plastiques rejetés par les supermarchés).
Enfin, l’impression 3D va permettre de changer la façon dont nous consommons. « L’adoption de l'impression 3D dans le commerce de détail a été lente, en grande partie à cause de ses limites conventionnelles : vitesse, coût et matériaux. Mais à mesure que celles-ci s’estompent, l'impact en termes de personnalisation et de contrôle des stocks sera majeur », prédit John Barcus. Des techniques comme la xolographie (ou d’autres), parce qu’elle autorisent la fabrication d’un objet en quelques secondes, tout au plus quelques minutes, vont permettre de généraliser machines et services produisant à la demande des objets complexes. Le fameux « distributeur d’objets sur mesure », aussi simple d’emploi qu’un distributeur de boissons, est enfin possible et pourrait apparaître dans les 10 ans qui viennent, dans les centres commerciaux et autres lieux publics. Entrer dans une boutique et en sorte quelques minutes plus tard avec une paire de lunettes de soleil fabriquées en exemplaire unique aux dimension s de votre visage sera vite une réalité. Moins de transport, moins de stock, moins d’invendus et du « sur mesure » généralisé.
L’aboutissement de la logique de fabrication d’objets à la demande, rendu possible par l'innovation technologique, devrait donc bien entrainer de profondes mutations en matière de production et de consommation, et même avoir un impact positif pour l’environnement. La (vraie) révolution de l’impression 3D aura bien lieu.