Clubic est allé à la rencontre des opérateurs de télécommunications et de la Fédération française des Télécoms, qui ont accepté de répondre aux interrogations que l'on peut avoir quant à la sollicitation massive des réseaux, et au risque de surcharge.
Face à une crise sanitaire causée par l'expansion rapide et difficilement maîtrisable du coronavirus, Emmanuel Macron décrétait le confinement de la France, le 16 mars dernier. Un vrai séisme. La mesure, en vigueur depuis le 17 mars, est exceptionnelle. Elle entraîne une sollicitation des réseaux très importante, historique, qui fait craindre à certains une saturation de ces derniers. Le télétravail, les jeux en ligne et l'utilisation massive des services de streaming font redouter une cassure. Des plateformes à la bande passante pharaonique comme Netflix et YouTube ont décidé de dégrader leurs services pour limiter les débits, à la demande du commissaire européen au Marché intérieur et Numérique Thierry Breton. Disney, de son côté, a aussi pris part à l'effort en répondant positivement à la demande du gouvernement de reporter le lancement de sa plateforme vidéo, décalé au 7 avril 2020.
Concernant l'évolution du trafic internet, les fournisseurs d'accès à internet (FAI) que sont Orange, SFR, Bouygues Télécom et Free sont en première ligne. Dans ce contexte particulier, beaucoup se demandent comment les opérateurs de télécommunications gèrent la recrudescence des connexions à domicile (1), mais aussi dans quelle mesure les réseaux sont ou peuvent être bridés, et surtout s'ils risquent d'être saturés (2). En réponse, les FAI ont notamment décidé de faire des « cadeaux » à leurs abonnés (3), tout en leur livrant les recommandations utiles pour bénéficier du meilleur débit possible (4). Alors que les enchères pour la 5G étaient censées battre leur plein, certains se demandent également si le lancement de la technologie ne va pas être davantage repoussé (5).
Sous le flot des interrogations, nous avons souhaité discuter de ces diverses questions avec les opérateurs, qui ont tous joué le jeu (à l'exception de Free, qui ne nous a pas répondu), ainsi que la Fédération française des Télécoms, par le biais de son directeur général, Michel Combot.
1. La gestion de la recrudescence des connexions à domicile
Sébastien Soriano, le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, le disait très justement il y a quelques jours dans les médias : « D'habitude, le pic de trafic se situe le soir, quand tout le monde rentre à la maison et regarde des vidéos. Là, on retrouve ce pic du soir quasiment étalé sur toute la journée. Globalement, le réseau est extrêmement sollicité, comme si l'on mettait le trafic d'une autoroute sur une nationale ».
« Les gens ne veulent plus se voir, ils s'appellent »
En cette période de confinement, le réseau global n'est pas ménagé. Mais « les opérateurs télécoms sont entièrement mobilisés depuis plusieurs semaines au travers de leurs plans de continuité d'activité dans le cadre de la situation sans précédent qu'affronte notre pays », nous confie Michel Combot, directeur général de la Fédération française des Télécoms.
La multiplication par deux du trafic « voix » (voire par trois, à certains moments de la journée) est unanimement constaté chez les opérateurs. « Les gens ne veulent plus se voir, ils s'appellent », nous dit-on chez Orange. Outre le retour au premier plan du trafic « voix », les opérateurs ont constaté une multiplication par sept du télétravail. Orange a placé 50 000 de ses salariés en position de télétravail, contre 7 000 à 8 000 avant la crise. L'opérateur historique évoque également un trafic lié à la visioconférence qui a doublé, et un trafic WhatsApp multiplié par cinq. « Cette forte hausse est liée pour l'essentiel à un report important du trafic habituellement fixe vers le mobile ».
Depuis le 16 mars, le trafic est en effet soutenu sur la data mobile et fixe, « mais cela reste inférieur à la charge que notre réseau est habitué à supporter lors d'événements à très forte audience, comme une très grosse rencontre de foot ou un épisode attendu de Game of Thrones », explique l'opérateur.
« Nous équipes travaillent désormais avec des roulements afin de prévenir le risque en répartissant les compétences en présentiel et à distance »
Chaque opérateur appréhende le surplus de connexions à sa manière. Chez SFR, « nous suivons heure par heure l'évolution des trafics voix et data sur nos réseaux, avec des milliers d'ingénieurs et des techniciens mobilisés et prêts à intervenir en cas de besoin ». Pour se prémunir de tout risque, l'opérateur au carré rouge nous indique avoir « procédé à des redimensionnements importants des interconnexions avec les autres opérateurs », et ce dès les premiers jours de la crise, pour faire face au doublement des usages voix constaté en journée, dû au télétravail.
Bouygues Telecom, de son côté, a dispatché le pilotage de ses réseaux par les équipes de supervision qui tournent 24 heures sur 24 et sept jours sur sept sur différents lieux en Île-de-France. Et « pour la maîtrise des activités critiques et astreinte du support (gestion des incidents, gestion des changements, supports et experts techniques, ressources ultra-critiques SI, etc.) nos équipes travaillent désormais avec des roulements d'équipes afin de prévenir le risque en répartissant les compétences en présentiel et à distance ». La société maintient par ailleurs ses activités d'installation et de SAV, dans le strict respect des mesures de sécurité, pour ses clients et collaborateurs.
« L'heure n'est pas à la rupture. Les réseaux vont tenir »
Face à la recrudescence des connexions à domicile et devant la gestion des opérateurs de télécommunications, la Fédération française des Télécoms salue « une mobilisation sans faille de l'ensemble des personnels du monde des télécoms : techniciens, ingénieurs etc. », tout en rappelant que la difficulté de la tache réside dans le fait que, si les pics de consommation d'Internet sont habituels, ceux que nous connaissons actuellement s'établissent sur la durée et en continu. Et c'est inédit.
2. Réseaux bridés ? Saturation redoutée ? La réponse des FAI
La question est épineuse. La saturation des réseaux nous guette-t-elle ? Dans le cadre du confinement, cela ne serait pas très réjouissant. Mais les opérateurs sont plutôt rassurants sur le sujet. Si des baisses de qualité peuvent être observées, notamment le soir vers 21h00 ou 22h00, qui demeurent des horaires de grande écoute, de téléchargement ou de streaming, l'heure n'est pas à la rupture. Nous en sommes même assez loin.
« Depuis le 16 mars, la capacité des réseaux a bien tenu, en particulier pour Internet, la TV et les services OTT malgré une croissance des usages », nous rapporte-t-on chez Orange, où on affirme que « les réseaux vont tenir ». Le réseau de l'opérateur dirigé par Stéphane Richard a été conçu pour absorber des flux considérables, et il évolue de façon constante pour s'adapter à l'augmentation des usages. Une flexibilité nécessaire quand on sait que le volume de données échangées bondit de 40 % chaque année.
Avec des équipes mobilisées jour et nuit, les FAI veillent au grain. Pour SFR, « il n'y a pas de risque de coupure du service, malgré des infrastructures mises à rude épreuve, mais il pourrait y avoir une dégradation de la qualité à l'heure de pointe le soir en cas d'usage déraisonnable ». La filiale d'Altice salue en ce sens les décisions prises par les grandes plateformes du numérique, notamment celle d'avoir baissé leurs débits de l'ordre de 25 %. Cela va « dans le bon sens pour soulager les réseaux si le trafic continue d'augmenter dans les prochaines semaines ».
« Il pourrait y avoir une dégradation de la qualité à l'heure de pointe le soir en cas d'usage déraisonnable »
Un sentiment partagé par la Fédération française des Télécoms et son directeur général : « Nous avons des réseaux résilients et il n'y a donc pas de risque à court terme. Nous sommes dans l'anticipation pour les prochaines semaines. Nous voulions dès le début de cette crise que l'ensemble de la chaîne des acteurs du numérique (plateformes...) prenne sa part de responsabilité dans cette période inédite ». Les réseaux mobile et fixe des opérateurs, comme celui de Bouygues Telecom, sont « dimensionnés pour supporter des pics de consommation ». Le trafic data très élevé en soirée est ainsi théoriquement absorbé en journée.
Si le risque de saturation peut être considéré comme maîtrisé, prudence reste de mise. « Nous sommes particulièrement attentifs à leur charge actuelle », nous glisse Bouygues Telecom.
3. Les abonnés, ces chouchoutés !
L'attention des opérateurs envers les abonnés ne s'arrête pas à la gestion des réseaux et se prolonge à travers les offres et services dont ils bénéficient. Chacun des acteurs des télécoms y va de son ou de ses petits cadeaux destinés à chouchouter les utilisateurs durant cette période de confinement qui pousse un grand nombre d'entre eux, souvent, à tourner en rond.
Free est le premier à avoir dégainé, en annonçant dès le 13 mars, soit quelques jours avant que le confinement ne soit officiellement décrété, l'extension de la data de son forfait à 2 euros (0 euro pour les abonnés Freebox) de 50 Mo à 1 Go par moins (x20), et ce au moins jusqu'au 30 avril 2020. Le geste vient soutenir les collégiens, lycéens et étudiants qui bénéficient d'un forfait à 0 ou 2 euros comme solution de dépannage, mais qui ont besoin de data supplémentaire pendant cette période pour suivre leurs cours et rendre leurs devoirs en ligne.
Depuis cette première annonce, l'opérateur, filiale d'Iliad, a dévoilé d'autres mesures de solidarité comme la diffusion en clair, au moins jusqu'au 31 mars, de chaînes à destination des jeunes et des enfants (Boing, Boomerang, Boomerang+1, Toonami, CanalJ, Tiji, TV Pitchoun, TeleKidz, BabyTV). Free a également augmenté à 1 Mbit/s le débit 4G au-delà de l'enveloppe Internet pour ses abonnés aux Forfaits Free 100 Go et Série Spéciale Free 50 Go/60 Go. Le 27 mars, la société de la rue de la Ville-l'Évêque a annoncé doubler le nombre d'heures incluses dans le forfait 2 euros/ 0 euros (quatre heures d'appel, donc) au moins jusqu'à la fin du mois d'avril.
« Souligner l'implication et la mobilisation exemplaire de toute l'industrie des télécoms »
Les autres acteurs du marché ont globalement réagi en même temps. Orange « permet à ses clients internet d'accéder gratuitement aux quatre chaines OCS ainsi qu'à cinq chaines jeunesse : Boomerang, Tiji, Boing, Toonami et Canal J » depuis le 17 mars. L'opérateur historique a aussi annoncé, le lundi 30 mars, offrir sous forme d'option 10 Go d'internet mobile supplémentaires aux clients ayant consommé l'intégralité de leur enveloppe data, et ce dès le 1er avril 2020 pour les abonnés mobiles Orange et Sosh. Tous les clients (Orange et Sosh) détenteurs d'un décodeur TV d'Orange auront accès à 20 chaînes en clair entre le 2 et le 20 avril 2020.
Bouygues Telecom propose pour sa part la bagatelle de 34 chaînes à tous ses clients Fixe Grand Public, depuis le 18 mars et jusqu'au 30 avril, sans surcoût. « Dans le même temps, le débit de nos clients Fibre pourra aller jusqu'à 1 Gbit/s en débit descendant et 500 Mbit/s en débit montant, soit ceux normalement réservés à l'offre Bbox Ultym », rappelle l'opérateur.
Enfin, SFR a également pensé à ses abonnés en proposant à l'ensemble de ses clients fixes de bénéficier, pour une durée d'un mois à compter de l'activation, du bouquet « Plus Jeunesse », composé, vous l'aurez deviné, de nombreuses chaînes de dessins animés et films d'animation pour enfants, et du bouquet « Divertissement & Découverte », qui se destine à toute la famille puisqu'il comprend des chaînes jeunesse, people, mais aussi des séries, films et documentaires.
Le 25 mars, SFR a également annoncé s'engager aux côtés d'Emmaüs Connect et de la Croix-Rouge pour équiper 75 000 personnes exclues du numérique, à travers des dons de recharges prépayées avec appels, SMS illimités et data, des smartphones et des recharges prépayées de 12 Go mises à disposition de 50 000 élèves, qui en auront bien besoin pour poursuivre leur scolarité à distance.
La tentation d'évoquer un coup de communication de chacun des opérateurs peut être tentante, mais en réalité, rien ne les oblige à consentir à ces avantages envers leurs abonnés. La Fédération française des Télécoms préfère ainsi souligner « l'implication et la mobilisation exemplaire de toute l'industrie des télécoms ».
« Il faut clairement privilégier le réseau Wi-Fi ou Ethernet sur sa box plutôt que les connexions mobiles 3G ou 4G »
Michel Combot nous explique que « chaque opérateur a proposé très rapidement des actions et avantages à ses clients. Les opérateurs de la FFTélécoms ont décidé par exemple, vendredi dernier, d'offrir deux heures de communication gratuite pour les personnes sourdes et malentendantes via notre prestataire Rogervoice ».
Après tout, les opérateurs contribuent au maintien d'une certaine activité en France en rendant possible le télétravail ; ils veillent d'une certaine façon au moral des troupes en facilitant les communications et en rendant les divertissements plus accessibles.
4. Les recommandations des opérateurs pour bénéficier du meilleur débit possible
Alors que l'on s'approche du terme de ce dossier, vous êtes sans doute plus rassuré(e) quant au risque que les réseaux télécoms dont nous sommes tant dépendants finissent par craquer. Toutefois des baisses de débit sont possibles et, confinement oblige, vous êtes à la recherche de la meilleure connexion possible pour vos activités, qu'elles soient professionnelles ou personnelles. Si vous redoutez de ne pas avoir les bons réflexes, les acteurs du secteur ont délivré plusieurs recommandations utiles.
« Il faut clairement privilégier le réseau Wi-Fi ou Ethernet sur sa box plutôt que les connexions mobiles 3G ou 4G », clame par exemple SFR. L'opérateur de Patrick Drahi rejoint ainsi ses concurrents, qui relaie aussi cette première consigne. « C'est essentiel pour équilibrer la charge entre les réseaux mobile et fixe, car ces derniers sont moins sujets à saturation », vient préciser Orange.
Certains usages doivent donc être systématiquement apparentés au Wi-Fi. « C'est particulièrement important pour télécharger un fichier lourd, pour regarder la TV ou des vidéos sur les plateformes (YouTube, Netflix, B.tv, MyCanal...) ou pour échanger sur les réseaux sociaux. Il est ainsi possible de profiter de contenus audios ou vidéos téléchargés à tout moment, sans risque de coupure », nous indique Bouygues Telecom. La FFTélécoms rappelle à ce titre avoir lancé le hashtag #TousEnWiFi.
« Privilégier le début de matinée ou la nuit pour effectuer les téléchargements et les mises à jour d'applications non urgentes »
La deuxième recommandation majeure tient en la qualité de visionnage ou de téléchargement des vidéos consommées. Les opérateurs sont unanimes pour privilégier la qualité « SD », et éviter de regarder des contenus HD ou 4K.
Le troisième gros conseil est de choisir certaines plages horaires pour le téléchargement. Les FAI, Bouygues Telecom en tête, recommandent de « privilégier le début de matinée ou la nuit pour effectuer les téléchargements et les mises à jour d'applications non urgentes ».
5. Quid de la 5G ?
Quoi de mieux pour terminer ce dossier que d'évoquer le sort de ce qui devait être, normalement, l'événement majeur de cette année dans le monde des télécoms. Le premier semestre de 2020 était censé être réservé à l'attribution des fréquences 5G, alors que la phase de candidatures a pu être bouclée à la fin du mois de février, lorsque nous avions appris qu'Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile avaient déposé un dossier pour l'attribution des fréquences dans la bande 3,4 - 3,8 GHz en France métropolitaine.
Si les premières autorisations étaient attendues au plus tard en juin 2020, la crise du coronavirus devrait conduire, sans grande surprise, à repousser très certainement cette échéance. Il est effectivement difficile d'imaginer que le lancement commercial de la 5G puisse intervenir au mois de juillet dans ces conditions. Si l'ARCEP, autorité référence en la matière, n'a pas pu nous fournir d'éléments de réponse lors de notre prise de contact, plusieurs voix s'élèvent déjà pour évoquer un report.
« Il sera temps, une fois la crise surmontée, de voir comment la 5G sera lancée et comment elle contribuera à renforcer les réseaux et les usages »
En marge de la publication des résultats annuels de SFR, son patron Patrick Drahi a affirmé que les enchères pour la technologie de cinquième génération « n'auront pas lieu ce trimestre ». Thomas Reynaud, directeur général du groupe Iliad, la maison-mère de Free, avait avant lui évoqué un potentiel retard dans le déploiement de la 5G, au vu de la situation sanitaire.
Le directeur général de la Fédération française des Télécoms, Michel Combot, rappelle que « l'urgence est celle du maintien en exploitation de nos infrastructures », et qu'en ce sens, « il sera temps, une fois la crise surmontée, de voir comment la 5G sera lancée et comment elle contribuera à renforcer les réseaux et les usages ».
En cas de retard dans le lancement de la 5G, ce sont des revenus potentiels estimés, au minimum, à plus de 2 milliards d'euros dont l'État va devoir se passer.