D'un côté, Netflix. 4,37 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2013, une progression de près de 25% par an et 112 millions de dollars de bénéfices. De l'autre, YouTube, le roi de la vidéo sur le Web dont les résultats financiers sont noyés dans ceux de la nébuleuse Google.
Les derniers chiffres avancés estiment à 3,5 milliards de dollars le chiffre d'affaires publicitaire de YouTube, mais aussi à 1,5 milliard le montant des reversements effectués par l'américain aux « Youtubers », (les internautes et marques qui produisent du contenu pour le diffuser sur YouTube). Si on retire les frais d'infrastructure liés à l'hébergement des 100 heures de vidéos uploadées sur le site chaque minute, les frais de réseaux pour diffuser 1 milliard de vidéos vues chaque mois, la rentabilité d'un tel service pose question.
Le streaming musical a déjà basculé
Un marché du streaming a déjà basculé dans le modèle payant, c'est celui de la musique. S'il perdure encore quelques rares services gratuits financés par la publicité, les géants du secteur sont aujourd'hui Spotify ou Deezer. Deux acteurs qui ont basé leur succès sur le modèle de l'abonnement. Autre service qui mise sur le modèle payant, Qobuz.
Yves Riesel, le co-cofondateur du service de streaming musical en sévères difficultés explique ce choix : « Le gratuit financé par la publicité n'est pas un modèle viable sur ce marché, hormis sur des modèles très particuliers portant sur des catalogues restreints, ou bien si l'intérêt du diffuseur est ailleurs ».
Il évoque notamment la diffusion du dernier album de U2 sur iTunes, une opération gratuite pour les fans de la marque, mais qui aurait coûté 100 millions de dollars à Apple. Pour Yves Riesel, le modèle du freemium est mort sur ce marché : « Une idée qui a fait beaucoup de mal sur le marché était qu'on devait donner des contenus gratuits aux internautes pour leur prouver l'intérêt du service avant de les faire payer. C'était une mauvaise idée. »
Le streaming porté par le succès de la pub vidéo
Ce scénario peut-il se reproduire sur le marché de la vidéo sur Internet ? Giuseppe de Martino, le secrétaire général de Dailymotion n'y croit pas : « Nous avons la chance d'être sur un secteur du digital qui connait la plus forte croissance, la publicité vidéo ». Au premier trimestre 2014, le marché français de la publicité en ligne ne progressait que de 3% (chiffres SRI) alors que celui de la publicité vidéo gagnait 34% dans le même temps. Une aubaine pour Dailymotion, dont le chiffre d'affaires est constitué à 97% par la publicité. Autre facteur encourageant pour le français : l'essor de la programmatique (le RTB) a gagné 49% au premier semestre en France.
Dailymotion, qui commercialise ses espaces auprès de dizaines d'ad-exchanges, est en train de créer son propre service pour se passer d'intermédiaires... Tout comme Google, qui cumule les rôles pour rentabiliser son service.
Pour Aymeric Guilhaumaud, Manager Consulting Digital chez Deloitte, c'est le secret pour gagner de l'argent sur ce marché : « le modèle gratuit est clairement viable dès lors que le diffuseur, le producteur, éditeur de contenu qui ne font qu'un, comme c'est le cas de YouTube ».
Toutefois, l'analyste considère que ce modèle a atteint aujourd'hui son zénith : « Ce modèle gratuit va se dégrader dans les années à venir, du fait de la concurrence des autres modèles économiques. Il faut bien voir que YouTube est une goutte d'eau dans l'océan Google. Ce n'est que l'un des nombreux axes de développement de Google dont la stratégie va bien au-delà. »
Parmi ces nombreux axes, certaines plateformes maintiennent une stratégie hybride. C'est le cas de Dailymotion qui propose en grande majorité des vidéos librement consultables mais déploie aussi des chaînes thématiques payantes (Kids+ notamment). Ce positionnement permet au service de multiplier les sources de revenus.
Les coûts de déplacement de l'infrastructure vers les contenus
Pour Giuseppe de Martino, le gratuit a de l'avenir, d'autant que si les reversements aux producteurs de contenus représentent la moitié de ses gains, le coût de la bande passante a énormément baissé ces dernières années. « Par le passé, nous avons eu de gros coûts d'infrastructure technique mais ceux-ci ont énormément baissés. Nous sommes en quelque sorte devenus des brokers qui négocient la meilleure qualité de service auprès des différents fournisseurs de bande passante, que ce soit sur le peering, le transit, le CDN (Content Delivery Network). Cette expertise est peu à peu devenue notre valeur ajoutée et une raison pour laquelle les détenteurs de droits mettent leurs contenus chez nous », explique-t-il.
Les frais de fonctionnement technique de tels services restent toutefois importants, notamment en bande passante. C'est pourquoi les acteurs du secteur tentent de multiplier leurs ressources en nouant des partenariats avec des éditeurs de contenus ou tentent, tout ou en partie, l'aventure du payant.
C'est donc pour se différencier de ces services gratuits que Netflix, mais aussi Amazon, investissent lourdement dans la production de contenu. « HBO, qui est l'une des principales chaines de production de séries aux Etats-Unis, va produire 100 séries cette année », souligne Aymeric Guilhaumaud. « Dans le même temps, Netflix en produira 120 ! ». Une stratégie comprise depuis plusieurs années par les services américains. Si YouTube mise sur les chaînes thématiques, les plateformes de vidéo à la demande par abonnement n'hésitent donc plus à mettre la main à la poche et à investir plusieurs millions d'euros dans des formats exclusifs.
Ces plateformes ont depuis plusieurs années fait le pari de remplacer les médias traditionnels. Elles se présentent dorénavant comme des chaînes gratuites financées par la publicité qui font face aux chaines payantes. Un affrontement bien connu dans l'univers des médias traditionnels et qui s'est désormais déplacé sur Internet.
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