Alors qu'un lanceur Falcon 9 a réussi il y a quelques jours à décoller avec un étage qui s'envolait pour la 20e fois, il s'agit toujours de la seule fusée partiellement réutilisable sur le marché. Malgré tout, les efforts d'autres acteurs du secteur, start-up et géants, seront bientôt complétés. Seront-ils aussi efficaces ?
Avec un décollage et un atterrissage tous les trois jours en moyenne, l'année 2024 de SpaceX tutoie des sommets de qualité et de quantité pour ses fusées Falcon 9. Sans réutilisable, une telle cadence ne serait pas une option pour les équipes de l'usine à Hawthorne (Californie), et l'entreprise capitalise lourdement sur la récupération de ses étages comme de ses coiffes.
Pourtant, si SpaceX a aujourd'hui un étage avec 20 vols, d'autres avec 19 ou moins, tout a commencé fin mars 2017 à la première réutilisation d'un booster. Certains concurrents promettaient déjà de répondre avec leur propre technologie, et l'on se demandait si SpaceX aurait 5 ans d'avance. Finalement, ils en avaient au moins 7 : bien peu d'entreprises de fabrication et de lancement de fusées sont en lice pour réutiliser leurs lanceurs. Trop petits, trop gros, trop peu de charges utiles, trop ambitieux... Certains sont très loin de leurs promesses de réutilisation. Mais d'autres ont travaillé patiemment, et leurs fusées réutilisables arrivent (comme dirait Netflix : prochainement).
Rocket Lab, le plus proche
Avec son petit lanceur Electron, Rocket Lab a eu l'élégance de ne pas choisir exactement la même solution que SpaceX pour récupérer les étages de ses fusées. En effet, lorsque l'entreprise teste une version réutilisable de son étage, elle utilise un corps de fusée avec un revêtement et un bouclier moteur particulier, qui lui permet de revenir en traversant l'atmosphère tout en s'accommodant des terribles chaleurs et des effets du plasma autour de la structure du booster. Ensuite, dans la dernière phase au-dessus de l'Océan, l'étage d'Electron déploie un parachute.
Ce dernier devait durant un temps être capturé par un hélicoptère dans une manœuvre aussi risquée que techniquement difficile. Rocket Lab a choisi une solution plus simple, celle de traiter ses éléments contre la corrosion et de repêcher l'étage au large de ses sites de lancement en Nouvelle-Zélande et en Virginie. Tous les étages d'Electron ne sont pas récupérables aujourd'hui, mais l'entreprise a déjà accumulé plusieurs années de savoir-faire, et la première réutilisation approche.
En réalité, Electron a déjà volé avec un moteur récupéré sur un étage en mer en 2023, mais pas encore avec un étage entier. Cette étape est prévue cette année, en particulier avec un corps de fusée récupéré en mer en janvier : ce dernier a passé une batterie de tests rigoureux, et il fait partie de la « flotte » d'étages à disposition des futurs clients. Il devra encore, avant le tir, subir les mêmes essais standards que n'importe quel autre booster.
Est-ce une bonne méthode ? Est-ce rentable ? Probablement oui et non : Peter Beck, le fondateur de Rocket Lab l'a déjà expliqué, pour son entreprise le réutilisable est avant tout une clé pour éviter d'avoir à produire trop d'étages dans son usine. Utile, donc, alors que la firme vise entre 12 et 14 tirs cette année...
LandSpace, la surprise chinoise
L'entreprise chinoise s'est surtout fait connaitre pour avoir réussi le premier décollage orbital avec une fusée au méthane. Mais la version qui prendra le pas sur sa Zhuque-2 (nommée, sans grande originalité, Zhuque-3) sera bel et bien réutilisable ! Pour ce faire, la start-up privée qui dispose d'amples fonds a d'abord travaillé sur sa gamme de moteurs, avant de tester et de réussir des premiers « sauts » à quelques centaines de mètres d'altitude (350 mètres), à la façon de ce que SpaceX avait réalisé avec ses prototypes Grasshopper autour de 2011-2013.
On pourra dire que ce n'est pas la première fois qu'une entreprise chinoise mène ce type de test. Certes, mais LandSpace a pris soin de les mener avec un moteur-fusée, ce qui est déjà beaucoup plus rare (souvent il s'agit, pour tester le contrôle et l'approche au sol, de petits réacteurs). Ensuite, l'entreprise a déjà construit un deuxième prototype, qui a pour but de grimper jusqu'à 10 km d'altitude avec des moteurs-fusées au méthane, avant de revenir se poser.
Le test est pour l'instant prévu cet été, et les enjeux, côté chinois, sont aussi importants que ceux des Américains : le secteur, privé d'une large part du marché international, est très concurrentiel. D'autres entreprises sont à peu près au même stade de développement, comme Deep Blue Aerospace, mais n'ont pas l'expérience de LandSpace.
Blue Origin, de la miniature à la maxi-fusée
L'entreprise fondée par Jeff Bezos opère en réalité une fusée réutilisable depuis 2014, mais elle ne transporte la petite capsule New Shepard que sur une trajectoire qui la fait monter et descendre à moins de 110 km. Si l'étage de fusée atteint tout de même 3 500 km/h dans l'opération et revient se poser seul, cela suffira-t-il pour assurer le succès de la bien plus imposante New Glenn ? C'est pourtant le pari de Blue Origin avec son impressionnante fusée de presque 100 mètres de haut et 7 mètres de diamètre. Le premier étage de New Glenn reviendra se poser sur une barge positionnée au large de la côte de Floride, à l'image de ce que propose SpaceX aujourd'hui, mais avec un étage beaucoup plus imposant.
Surtout, Blue Origin compte sur ses essais en amont pour éviter au maximum la période d'apprentissage par l'échec. En effet, les moteurs BE-4 sont déjà censés être réutilisables, et l'étage tentera à priori de revenir se poser dès son tout premier décollage. Une façon pour Blue Origin d'économiser massivement sur la production d'étages de fusée (ce qui leur évitera une montée en cadence) et de moteurs, puisque chaque premier étage de New Glenn dispose de 7 unités BE-4... Mais les calculs et les tests suffiront-ils ? Nous devrions a priori avoir la réponse en 2024 !
Et l'Europe ?
Les acteurs classiques du spatial européen n'ont pas fait le choix du réutilisable pour la génération qui est actuellement mise en place, avec Vega C et Ariane 6. Pourtant, cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun effort sur la question sur le continent. Même s'ils ont une demi-décennie de retard sur le planning initial, il y a les projets de démonstrateurs Callisto (France, Allemagne et Japon) et Thémis (ESA, CNES et ArianeGroup) qui devraient voler à partir de 2025, ainsi que plusieurs jeunes pousses qui utiliseront leurs propres architectures si le développement se passe bien d'ici là.
La fusée orbitale Miura-5 des Espagnols de PLD Space dispose notamment d'un étage récupérable sous parachutes, tandis que l'étage principal de la fusée de MaiaSpace (spin-off d'ArianeGroup) devrait utiliser les moteurs réutilisables Prometheus. Le premier vol de démonstration n'est prévu qu'en fin 2025 lui aussi. D'ici là, peut-être que SpaceX ne sera plus la seule entité commerciale à réutiliser une partie de ses lanceurs ?