Notre époque où tout le monde prend tout en photo ne marque-t-elle pas un recul dans le plaisir de vivre ?
Il est difficile de se souvenir de l'époque où il était nécessaire d'avoir un appareil photo avec soi pour prendre des photos. Aujourd'hui, tout smartphone, même le plus basique, possède un module photo qui ferait pâlir d'envie n'importe quel appareil des générations précédentes. Malheureusement, avoir constamment sur soi cet appareil semble avoir créé une pathologie qui nous pousse tous à prendre en photo de très nombreux moments, que l'on n'aurait même pas imaginé chercher à immortaliser auparavant !
On ne voit plus, on prend en photo ce que l'on voit
Ouvrez votre iPhone 15 ou votre Samsung Galaxy S23, et rendez-vous dans votre dossier photo. Passez rapidement en revue les photos qui s'affichent sur l'écran défilant. Combien de ces fichiers vous semblent illustrer des souvenirs mémorables que vous voudriez garder pour dans 5 ans, 10 ans ou 15 ans ? Quasiment aucun, avouez-le ! Et pourtant, vous continuerez encore à l'avenir à prendre des photos.
Que ce soit en concert, durant une rencontre sportive, lors d'une soirée, ou même tout simplement au quotidien, dès qu'un petit rien parait détonner, les nouveaux humains ne regardent plus directement, mais à travers l'écran. Et tout cela pour, la plupart du temps, ne plus jamais regarder à nouveau ces photos et ces vidéos. Quant au moment passé, il n'évoquera que de vagues souvenirs, tout du moins, beaucoup moins que s'il avait été observé directement. Alors, quel est réellement l'intérêt de photographier et filmer à tout propos ? On se le demande bien.
Voyager comme sur Google Images
Le côté maladif de cette habitude s'aperçoit encore plus nettement en vacances. Là encore, un petit comparatif avec l'époque pré-smartphone peut être utile. Allez faire un tour sur vos anciens albums photos. On prenait déjà beaucoup de photos dans les années 90 et 2000, quand on partait en vacances. Mais il est intéressant de noter que l'on saisissait surtout des moments de joie entre personnes parties ensemble, ou avec les amis rencontrés sur le lieu de villégiature. On retrouvera somme toute assez peu d'images d'endroits iconiques ou de monuments historiques.
Aujourd'hui, si on ne peut pas dire que c'est nécessairement l'inverse, on voit tout de même une proportion non négligeable (qui est souvent la grande majorité) de photos de vacances représentant des monuments ou des lieux « à voir ». C'est comme si la photo et la possibilité de prendre des photos étaient devenues le but principal des vacances.
Votre serviteur a pu même apercevoir l'illustration la plus ridicule de cette tendance au Japon, au niveau du sanctuaire Fushimi Inari de Kyoto, célèbre pour son allée de toriis (des portiques japonais vermillons). L'endroit est l'un des plus fameux du Japon, et des queues extrêmement longues de touristes s'y forment pour que chacun puisse prendre une photo de soi, cadrées de telle façon que l'on semble jouir d'un lieu extrêmement calme et étonnamment dépaysant, alors que dans la réalité, une centaine de personnes pousse à 50 centimètres du photographe pour vite pouvoir à leur tour prendre le cliché.
Partir en vacances, une activité qui a, semble-t-il, pour fonction première de se reposer, se serait-il transformé en volonté frénétique de (mal) copier Google Images ? Ne peut-on imaginer qu'il faille peut-être à l'avenir brider les appareils photos des smartphones, et autoriser un nombre fini de photos et de vidéos pouvant être prises chaque mois, histoire de renvoyer leur utilisateur dans la réalité, où il s'agit de vivre ? Ce n'est évidemment qu'une simple hypothèse. Car l'auteur ne souhaite clairement pas s'attirer les foudres des fans d'Instagram et de TikTok !