Une analyse menée par l'Université de Leiden (Pays-Bas) vient de démontrer l'expansion systématique des activités de sabotage russes en Europe. L'étude, basée sur des données collectées depuis 2022, démontre une mutation préoccupante des méthodes d'ingérence, passant des attaques numériques aux opérations physiques contre les infrastructures stratégiques.

 Les opérations russes ne sont pas aléatoires. Elles se concentrent sur les pays membres de l'Union européenne, en particulier ceux ayant des populations russophones importantes ou ceux situés aux frontières de la Russie. © SERSOLL / Shutterstock
Les opérations russes ne sont pas aléatoires. Elles se concentrent sur les pays membres de l'Union européenne, en particulier ceux ayant des populations russophones importantes ou ceux situés aux frontières de la Russie. © SERSOLL / Shutterstock

Dans un rapport détaillé intitulé Russian Operations Against Europe (téléchargeable ici via le Harvad Dataverse), les chercheurs du projet Bewaken en Beveiligen (« Protection et sûreté » en français) de l'Université de Leiden dressent un panorama alarmant des activités subversives russes sur le sol européen.

La cyberguerre menée contre l'Ukraine est désormais bien connue, mais la menace pour l'Europe se fait de plus en plus pressante et ses ramifications se sont étendues bien au-delà des frontières du pays. Ce dernier rapport ne fait que confirmer cette évolution, avec l'analyse de 63 incidents documentés depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022.

L'arsenal hybride du Kremlin : de la désinformation au sabotage physique

L'année 2024 a marqué une inflexion majeure dans la stratégie russe avec une intensification des opérations contre les infrastructures critiques européennes. Les chercheurs ont répertorié des attaques ciblées contre les réseaux énergétiques, les systèmes hydrauliques et l'aviation civile.

L'incident le plus emblématique de cette année restera la tentative d'assassinat présumée par les services secrets russes, visant Armin Pappergerle PDG de Rheinmetall, géant allemand de l'armement. Ce dernier, depuis le début du conflit, a vu son influence et les revenus de son entreprise monter en flèche et l'entreprise a indéniablement profité de la guerre en Ukraine. Résultat : la demande en équipements militaires a explosé, propulsant Rheinmetall au centre de l'attention médiatique et politique.

Le professeur Bart Schuurman, titulaire de la chaire Terrorisme et Violence Politique, analyse : « Nous assistons à une escalade claire des tactiques russes. Au-delà des cyberattaques traditionnelles, nous observons désormais des actions directes compromettant la sécurité des infrastructures physiques et la sûreté des populations ».

 La guerre menée par la Russie ne se mène pas uniquement sur le terrain. © DZMITRY SCHAKACHYKHIN / Shutterstock
La guerre menée par la Russie ne se mène pas uniquement sur le terrain. © DZMITRY SCHAKACHYKHIN / Shutterstock

Le glissement stratégique vers l'Europe occidentale

La transformation des opérations russes en Europe s'articule autour de trois axes principaux : temporel, géographique et opérationnel.

Sur le plan temporel, les données compilées par l'équipe de Bewaken en Beveiligen révèlent une progression exponentielle des incidents : 6 opérations recensées en 2022, 13 en 2023, pour atteindre 44 actions documentées en 2024. Cette augmentation de 238 % entre 2023 et 2024 traduit une intensification délibérée des activités de déstabilisation.

Le redéploiement géographique des opérations russes suit une logique d'expansion concentrique. Initialement focalisées sur la périphérie orientale de l'Union européenne, notamment les États baltes, les actions se sont progressivement déplacées vers l'ouest. L'Allemagne et la France, principaux contributeurs à l'aide militaire ukrainienne, concentrent désormais l'attention des services russes. Cette réorientation ne représente pas un abandon des zones d'action traditionnelles, mais plutôt une extension du périmètre opérationnel.

Les modes opératoires tendent aussi à se diversifier et les chercheurs de Leiden ont identifié trois catégories d'actions complémentaires. Premièrement, le sabotage économique, comme évoqué en première partie, visant à fragiliser la résilience européenne. Deuxièmement, les perturbations des chaînes d'approvisionnement militaire vers l'Ukraine. Enfin, les opérations d'influence politique, plus subtiles, combinent désinformation et pressions sur les décideurs pour éroder le consensus européen sur le soutien à l'Ukraine.

Une stratégie multidimensionnelle spécialement concoctée pour exploiter les vulnérabilités structurelles de la colonne vertébrale sécuritaire européenne, notamment le manque de coordination entre États membres face aux menaces hybrides.

Le professeur Schuurman souligne l'urgence d'une réponse collective : « L'Europe doit impérativement renforcer sa résilience et développer une riposte coordonnée contre ces formes évoluées de guerre hybride ». Ce qui est certain, c'est qu'une réponse isolée de chaque État membre sera dans tous les cas vouée à l'échec. L'unité et la cohésion de l'Union européenne ; si tant est qu'elle existe ; devrait donc être le pilier de ce renforcement si l'on en croit les conclusions des chercheurs.

Source : Phys.org