Les géants de la Silicon Valley sont-ils au cœur des opérations militaires à Gaza ? Des documents confidentiels ont fuité et ont révélé comment Microsoft a fourni ses technologies les plus avancées à l'armée israélienne ; et il ne s'agissait pas là de simple support informatique.

 Israël dispose d'un écosystème technologique très dense, avec de nombreuses startups spécialisées dans la défense et la sécurité. © KrispelSlavin / Shutterstock
Israël dispose d'un écosystème technologique très dense, avec de nombreuses startups spécialisées dans la défense et la sécurité. © KrispelSlavin / Shutterstock

Microsoft et le Tsahal (l'armée d'État israélienne) semblent entretenir des liens plus que rapprochés. L'entreprise américaine n'a pas seulement fourni ses services cloud via Microsoft Azure : ses ingénieurs ont travaillé main dans la main avec les unités d'élite du renseignement militaire israélien. En moins d'un an, cette collaboration a rapporté près de 10 millions de dollars à la société dirigée par Satya Narayana Nadella.

Un partenariat très lucratif, prouvant que certains grands acteurs civils de la tech sont progressivement devenus des prestataires essentiel au service des opérations militaires.

L'empreinte numérique d'Azure dans les opérations militaires

Le partenariat entre Microsoft et le Tsahal a énormément évolué : la plateforme Azure, initialement déployée pour la simple gestion administrative de l'armée, s'est muée en infrastructure stratégique pour les opérations militaires. Les documents sont clairs à ce sujet : l'Unité 8200, fer de lance du renseignement d'origine électromagnétique (SIGINT) israélien, et l'Unité 81, laboratoire des technologies d'espionnage les plus avancées de l'état, ont intégré Azure dans leurs dispositifs opérationnels.

Un exemple particulièrement révélateur de cette intégration : le système « Rolling Stone ». Cette plateforme, qui encadre la surveillance des déplacements et la gestion des registres de population en Cisjordanie et à Gaza, repose entièrement sur les technologies Microsoft. Dans le domaine aérien, l'unité Ofek exploite les systèmes de communication Microsoft pour administrer ses « banques de cibles », des bases de données qui recensent les objectifs potentiels des frappes.

L'engagement de Microsoft s'est largement intensifié pendant le conflit. Ses ingénieurs, présents physiquement sur les bases militaires, ont fourni une assistance technique directe aux unités de renseignement. L'Unité 9900, spécialisée dans l'analyse d'images satellites et le renseignement visuel, a ainsi bénéficié d'un support technique sur site. Entre octobre 2023 et juin 2024, Microsoft a ainsi facturé 19 000 heures de support technique au Misrad HaBitahon, le ministère de la Défense israélien.

 Quels types de régulations internationales pourraient être envisageables afin d'encadrer l'utilisation de telles technologies dans les conflits armés ? © Mojahid Mottakin / Shutterstock
Quels types de régulations internationales pourraient être envisageables afin d'encadrer l'utilisation de telles technologies dans les conflits armés ? © Mojahid Mottakin / Shutterstock

L'intelligence artificielle au cœur des systèmes militaires

L'intégration des technologies d'IA dans l'arsenal militaire israélien s'est accélérée de manière spectaculaire : en six mois, de septembre 2023 à mars 2024, l'armée israélienne a multiplié par 64 son utilisation des outils d'apprentissage automatique d'Azure. Cette augmentation vertigineuse traduit une nouvelle réalité : l'IA n'est plus un simple outil d'appui, mais devient un outil essentiel des missions militaires. La plateforme fournit notamment un accès privilégié à un modèle bien connu : GPT-4 d'OpenAI, qui représente aujourd'hui un quart de la consommation totale d'outils d'IA par l'armée israélienne.

Pour la colonelle Racheli Dembinsky lors d'une conférence à Tel-Aviv, les services de Microsoft ont représenté une réelle aubaine pour combler les failles des infrastructures militaires traditionnelles du pays. L'unité Mamram, véritable cerveau numérique de Tsahal, s'est retrouvée dépassée par l'intensité des opérations au début de l'offensive terrestre. Ses systèmes informatiques ne parvenaient plus à traiter le flux massif de données générées par les opérations.

En novembre 2023, Mamram a donc déporté ses opérations vers les services cloud de Microsoft. Sur une période de six mois, l'utilisation du stockage Azure par l'armée israélienne a augmenté de 60 %. En s'appuyant sur ces infrastructures civiles, plus évolutives et flexibles, le Tsahal a donc pu s'adapter rapidement aux changements rapides et imprévisibles du champ de bataille, tout en maintenant ses capacités opérationnelles à un niveau suffisant.

Les entreprises tech peuvent-elles réellement tenir ce double rôle, fournissant simultanément des services aux civils et aux forces armées ? La question se pose sérieusement, car dans le cas de Microsoft, elle-même fait la promotion d'innovations pacifiques : investissements dans l'éducation, développement d'outils pour les personnes handicapées ou engagement dans la lutte contre le changement climatique.

Dans l'ombre, elle tisse en revanche des partenariats militaires très juteux, alimentant ainsi la grande machine de guerre : les preuves sont juste sous nos yeux. Jusqu'où ira-t-elle sur ce chemin, assez discutable, sans compromettre ses valeurs et sa responsabilité sociale ? Qu'est-ce qui prime ici : le profit, l'innovation ou le respect des droits de l'homme ? Aucune réponse simple n'existe à cette question, mais c’est précisément dans ce flou que réside le danger : une absence totale de responsabilisation des acteurs concernés.

Source : The Guardian