Suite à notre article initial "Google Maps, Waze, Apple Plans : la France veut vos données GPS, mais trouve un opposant de taille", certains spécialistes pointent du doigt la prétendue "anonymisation" des diverses données que le gouvernement souhaite collecter.

Le projet du gouvernement français visant à contraindre Google Maps, Waze et Apple Plans à partager les données GPS de leurs utilisateurs avec les collectivités locales se heurte à un obstacle de taille : la réglementation européenne. L'anonymisation des données pourrait-elle être au centre de ce bras de fer ?
Un projet contesté entre régulation et protection des données
Alors que Bruxelles a bloqué cette initiative pas plus tard que cette semaine au nom du principe du pays d’origine, des experts en protection des données soulèvent une autre problématique : l’anonymisation réelle des données que souhaitent collecter le gouvernement français. Pour rappel, l'initiative dont il est question, détaillée dans l'article L.1214-8-3 du Code des transports, doit permettre aux collectivités locales de « mieux comprendre les modèles de
mobilité, promouvoir des alternatives à la conduite individuelle et évaluer l’impact des
stratégies de report modal ». Ci-dessous, notre article initial vous permettra de mieux saisir les enjeux.
20 février 2025 à 13h01
Alors que l'UE soulève des problématiques de fragmentation du marché numérique et retoque cette réforme en vertu du principe du pays d'origine, une autre question vient s'ajouter aux griefs adressés au gouvernernement français : les données peuvent-elles réellement être rendues "anonymes" ?
Alessandro Fiorentino, expert en conformité RGPD chez Adequacy, remet en question la nature des données concernées. Selon lui, si ces données peuvent réellement être anonymisées, elles ne seraient pas soumises au RGPD ; l'initiative française n'aurait donc, on peut le penser, probablement pas été retoquée par la Commision européenne. Mais dans les faits, la grande précision de ces données (localisation, vitesse, horodatage, itinéraires) risque fort de rendre leur réidentification possible, même après avoir subi le processus d'anonymisation. Cela exposerait ainsi les utilisateurs à un risque accru de surveillance ou d’exploitation de leurs habitudes de déplacement.
« Si ce partage peut être fondé sur le consentement, il n’y a donc plus de doutes sur le fait que ces données ne soient pas anonymes. De plus, il paraît étonnant de prévoir une sanction (NDLR : 300 000 euros d'amendes pour les entreprises ne s'y soumettant pas) en cas de non-respect d’une démarche présentée comme volontaire. »
Alessandro Fiorentino, expert en protection des données et conformité RGPD chez Adequacy,
Enfin, l'expert souligne également que l’article L.1214-8-3 du Code des transports n’évoque pas le fait que les données attendues soient anonymisées. De son côté, l’article 23 du Data Gouvernance Act (DSA) définit l’altruisme en matière de données comme le partage volontaire de données, fondé sur le consentement donné par les personnes concernées ou l’autorisation accordée par des détenteurs de données pour l’utilisation de celles-ci, sans contrepartie.
Entre volonté de régulation et menace d’une collecte massive
Au-delà du débat sur la conformité au RGPD, cette affaire illustre un enjeu plus large de gouvernance numérique. La mesure française, si elle avait été adoptée, aurait pu créer un précédent ouvrant la voie à d’autres obligations similaires. Smart cities, véhicules connectés, infrastructures de mobilité : autant de domaines où les autorités pourraient chercher à imposer des obligations de partage des données aux entreprises privées.
Ce bras de fer entre Paris et Bruxelles révèle aussi les limites de la souveraineté numérique française face aux géants du numérique. La France, en tentant de renforcer la régulation du secteur, se heurte aux principes de libre concurrence défendus par l’Union européenne. À terme, ce conflit pose une question clé : comment garantir aux collectivités un accès aux données essentielles à la gestion des mobilités sans tomber dans une dérive de collecte massive et sans contrevenir aux règles européennes ? Une équation complexe à laquelle le gouvernement devra répondre dans les semaines qui suivent.