Dans son jardin clos, l'entreprise Apple s'est toujours targuée de faire jongler matériel et logiciel dans une harmonie parfaite. Aujourd'hui, les choses commencent à voler en éclat.

Les iPhone ou les iPod n'auraient certainement pas connu la popularité d'aujourd'hui si Apple n'avait pas pris le soin de contrôler la chaine de production d'un bout à l'autre. En ce sens, la conception matérielle des produits d'Apple va de pair avec une optimisation stricte du logiciel. Encore aujourd'hui, alors que les derniers Samsung Galaxy S25 nécessitent 12 Go de mémoire vive pour exécuter le système Android, les optimisations d'iOS se traduisent par seulement 8 Go de RAM sur les iPhone 16.
Vers un contrôle historique du logiciel et du matériel
Apple a conçu ses propres SoC sur l'ensemble de ses appareils. Outre les séries A et M sur les iPhone et les Mac, nous retrouvons également les familles H et S sur les AirPods ou les Apple Watch. À chaque fois, l'objectif est de développer une plateforme technique très optimisée pour la couche logicielle. Et l'entreprise compte bien tout contrôler pour s'affranchir des partenariats existants, à l'instar de la puce C1 prenant en charge les connectivités cellulaires sur l'iPhone 16E.
Cette relation étroite entre les produits et les logiciels maison forme le socle du fameux "jardin clos" de la société. Car de cette fusion, Apple développe certaines technologies exclusives visant à retenir ses utilisateurs au sein de son écosystème. C'est le cas de Continuité, Handoff et des divers dispositifs de synchronisation entre les différents terminaux. Et en plaçant des barrières très restrictives, comme un App Store unique ou l'intégration d'iCloud, la société sait parfaitement comment tirer profit de tout cela.

Bruxelles dit stop
Et c'est précisément ce que la Commission européenne entend éclater. Pour continuer ses activités commerciales sur le Vieux Continent, Apple doit ouvrir ses technologies et les rendre compatibles avec celles des concurrents. Précédemment, dans le cadre du DMA, Apple a dû autoriser les app stores tiers tout en autorisant les applications tierces à pouvoir être configurées par défaut. L'UE n'en démord pas. C'est ainsi que, par exemple, nous pourrions prochainement retrouver le partage AirDrop en natif sur les smartphones Android.
Les technologies d'Apple ne seront donc plus réservées à ses propres produits. Cette relation logiciel-matériel se prend donc un premier coup de massue. Mais finalement, Apple semble également avoir perdu son propre fil. Le domaine de l'intelligence artificielle illustre parfaitement les difficultés d'Apple à maintenir cette stratégie.
L'IA fait vole en éclat la stratégie unifiée d'Apple
Un socle matériel paré pour les LLM... des autres
Dès 2017, avec la puce A11 Bionic, Apple introduisait son Neural Engine, cette enclave spécifiquement dédiée pour effectuer des calculs en local. À l'époque, la société ne parlait pas d'intelligence artificielle, mais de Machine Learning. Si Apple n'était pas la première société à travailler sur cette unité, elle fut néanmoins la première à proposer un réel usage aux consommateurs en y greffant sa technologie de reconnaissance faciale avec l'iPhone X.
Au fil des années, Apple a fait évoluer cette unité en la passant de 2 cœurs en 2017, à 8 cœurs en 2018, à 16 cœurs sur la puce M1 et à 32 cœurs sur le SoC M3 Ultra. Alors que l'iPhone 8 pouvait opérer 600 milliards d'opérations par secondes, ce chiffre a été multiplié par 63 à 38 billions de calculs par seconde avec la puce M4.
En début de mois, Apple levait le voile sur son nouveau Mac Studio, lequel peut être configuré avec la puce M4 Max ou la puce M3 Ultra. Avec cette dernière, la machine est animée avec un CPU 32 cœurs, un GPU jusqu'à 80 cœurs et une unité Neural Engine dédiée de 32 cœurs. En outre, il est possible d'y configurer jusqu'à 512 Go de mémoire unifiée. Il est intéressant de noter que sur la page officielle du Mac Studio, Apple le présente comme une machine véritablement taillée pour les tâches IA.
Sans surprise, certains se sont pris au jeu, à l'image du YouTubeur Dave Lee lequel a entrepris de faire tourner en local DeepSeek. Il explique que les quelque 671 milliards de paramètres du LLM fonctionnent bel et bien sur le Mac Studio prenant 404 Go d'espace sur le disque local. Il faudra tout de même allouer manuellement 448 Go de mémoire vidéo via une manipulation du Terminal.
Quand le software est à la traine.
Et pourtant, sur le secteur de l'IA, si Apple semble exceller du côté matériel, on le sait bien, l'entreprise reste encore à la traine sur le développement de la partie logicielle.
Apple a publiquement annoncé que les améliorations portées sur Siri étaient repoussées à 2026. La société a dû reprendre les pages de son site Web en y ajoutant des astérisques. En promouvant son iPhone 16E avec une version de Siri qui n'existe pas encore, la société a été accusée de publicité mensongère et doit désormais faire face à un recours collectif. Bref, la partie logicielle n'est pas à la hauteur et la société doit revoir son organisation.
Pression des actionnaires, pression des utilisateurs, Apple semble s'être précipitée et le message marketing est en décalage avec la réalité des avancements techniques. La société aurait-elle réellement menti, comme le souligne certains ou les équipes ont-elles manqué de communications entre elles ?
Apple se trouve donc confrontée à un double défi qui remet en question sa stratégie historique. D'une part, les exigences réglementaires de Bruxelles imposent à l'entreprise une ouverture sans précédent de son écosystème, bouleversant son modèle d'intégration verticale. D'un autre côté, l'essor rapide de l'intelligence artificielle place la firme de Tim Cook dans une position de retard technologique. Apple semble alors avoir du mal à appliquer sa traditionnelle approche d'innovation contrôlée, la forçant à envisager des partenariats externes (comme avec OpenAI) et à repenser fondamentalement sa stratégie hardware-software.