L’or est la référence monétaire absolue depuis 2 500 ans. Mais depuis quelques temps, certains estiment qu’il a un équivalent numérique : le Bitcoin. Vivement discutée, cette question mérite qu’on s’y attarde un instant.
La motivation du créateur de Bitcoin, Satoshi Nakamoto, était de créer une forme purement « peer-to-peer » (pair à pair) de monnaie numérique (monnaie dans sa fonction de moyen de transaction1) dont les transactions n’exigent pas la confiance de tierces parties, et dont l’offre ne peut pas être altérée par une autre partie. Autrement dit, Bitcoin permet de rassembler les propriétés de la monnaie physique, mais en mode numérique : anonymat (même si les transactions en bitcoins sont traçables), pas d’intermédiaire dans les échanges, caractère définitif dans les échanges...
Ces propriétés sont combinées avec une logique monétaire à toute épreuve, car le Bitcoin ne peut être manipulé au risque de créer une inflation incontrôlable et préjudiciable à ses détenteurs. En effet, si dans une banque centrale moderne la nouvelle monnaie créée finance le crédit et les dépenses de l’Etat, en Bitcoin la monnaie profite uniquement à ceux qui ont dépensé des ressources et mis à jour le registre (« mineurs »).
Une monnaie numérique aux caractéristiques particulières
En matière de crypto-monnaie, le minage est une opération qui consiste à vérifier des transactions, à sécuriser et effectuer des calculs pour créer de nouveaux exemplaires de la crypto-monnaie. Ce mode de validation dans une blockchain est nommé « preuve de travail » ou PoW (« Proof of Work »). Cette opération est rémunérée, et cette rémunération récompense le mineur (« nœud” du réseau doté d’une puissance informatique et de calcul) qui valide le bloc lors d’une transaction.
Le livre blanc publié en 2009 par Satoshi Nakamoto énonce que la création de nouveaux bitcoins est transparente et prédéterminée à un rythme programmé par le protocole. Ainsi, le nombre de bitcoins en circulation est limité à 21 millions (ou plus exactement à 20 999 999,9769). 50 bitcoins ont été générés environ toutes les 10 minutes pendant les 4 premières années d’existence de la crypto-monnaie, puis cette valeur est passée à 25 BTC le 28 novembre 2012 et à 12,5 BTC le 9 juillet 2016. Depuis le 11 mai 2020, ce sont seulement 6,25 BTC qui sont versés aux mineurs. Tous les 210 000 blocs (soit environ 4 années), la rémunération pour validation d’un bloc décroît donc progressivement.
Nous sommes entrés dans la phase de croissance très faible du nombre de bitcoins : plus de 18,5 millions des 21 millions ont déjà été minés depuis le dernier halving du mois de mai 2020, c’est-à-dire que 89% des bitcoins ont déjà été créés. On prévoit que le dernier bloc avec récompense sera miné vers l’an 2140, avec une récompense d’un satoshi (0,00000001 BTC).
Le « halving » de Bitcoin, ou « Block Reward Halving » (réduction de moitié), est donc le moment où la récompense pour les mineurs est divisée par deux. Le « halving » est aussi l’événement par lequel l’inflation2 de Bitcoin est réduite instantanément de moitié. Par ce mécanisme, aucun détenteur central ne peut manipuler à son gré l’offre de monnaie Bitcoin, cet actif n’étant pas inscrit dans un bilan centralisé mais créé par le réseau de participants selon les règles du protocole.
Bitcoin, un or 2.0 ?
Au-delà de ses caractéristiques nouvelles qui tiennent de son état d’actif numérique et des particularités de la plus célèbre des blockchains (sa décentralisation complète, sa sécurité absolue mais aussi sa « scalabilité » limitée), Bitcoin présente de grandes similitudes avec l’or. Évidemment, outre ces particularités mathématiques et technologiques, très différentes des qualités physiques du métal jaune, la caractéristique de rareté, explique la pertinence de la comparaison de Bitcoin avec l’or.
Pour mesurer les caractéristiques communes de l’or et du Bitcoin, on se réfère au modèle dit stock to flow.
Minute définition : ratio stock to flow
Mesure qui permet d’estimer la rareté d’un métal précieux ou d’un actif rare en divisant le stock total « extrait » disponible par la quantité produite chaque année. Plus ce ratio est élevé, moins le prix du métal ou de l’actif considéré est sensible à la fluctuation de la production.
Dans le cas de l’or, avec 190 000 tonnes extraites du sol depuis le début de l’humanité (le stock) et 3 100 tonnes produites chaque année (le flux), le ratio stock to flow est de 61,3. Cela signifie que le taux de croissance annuelle de l’offre est de 1,6%, et qu’au rythme actuel de production il faudrait un peu moins de 62 ans pour reconstituer le stock d’or existant dans le monde. Par comparaison, le ratio stock to flow de l’argent-métal est de 22.
Concernant Bitcoin, étant donné que le flux de bitcoins est fixe mais qu’il diminue de moitié tous les quatre ans et tous les 210 000 blocs, le ratio stock to flow vient de doubler en 2020 pour se situer à 52,8. Il y a moins d’un an, avant le dernier halving du mois de mai 2020, ce ratio avoisinait les 24. Ces chiffres montrent que la proposition de Bitcoin comme actif de réserve se rapproche de celle de l’or, et devrait la dépasser dans un futur proche.
Il existe des modélisations de l’évolution du prix du Bitcoin selon ce modèle stock to flow, comme le graphique ci-dessus qui affiche une valorisation à près de 55 000$ d’ici début 2021 et 100 000$ pour la fin de l’année prochaine. Bien sûr, ce genre de modèle arithmétique prédictif a deux limites évidentes :
- La première est celle de la demande : ce n’est pas parce qu’un actif se raréfie que la demande augmente mécaniquement, et de nombreux altcoins basés sur le modèle de raréfaction de Bitcoin n’ont pas du tout connu le même succès ;
- La seconde est que ce modèle ne sera de toute façon pas éternellement fiable, à moins que l’expansion monétaire effrénée ne se poursuive et que Bitcoin devienne le seul actif refuge crédible. Dans cette hypothèse, sa valeur pourrait atteindre des prix stratosphériques.
Néanmoins, le modèle est intéressant à suivre est permet de visualiser la valeur potentielle d’actifs à offres limitées, et permet ainsi de mettre en parallèle l’or, placement séculaire de référence, et le Bitcoin, nouvel actif numérique décentralisé.
C’est sur cette base que plusieurs spécialistes s’autorisent à qualifier la crypto-monnaie « d’or digital » ou « or numérique ». Ils qualifient ainsi Bitcoin de métal précieux en version numérique principalement en raison de sa « rareté », mais aussi en raison des caractéristiques propres à chacun de ces actifs (qualités physiques pour l’or, protocole informatique novateur et création d’une valeur décentralisée pour le Bitcoin). En effet, dans les deux cas la limitation de la masse des actifs leur procure un caractère « refuge » unique pour faire face à la dévaluation des grandes devises souveraines qui nous servent pourtant de « valeurs d’ancrage ».
À plus long terme et compte tenu de cette conception intrinsèquement déflationniste du Bitcoin, on peut s’interroger sur son apparent potentiel de valorisation. Mais c’est Nassim Nicholas Taleb (ex-trader et statisticien auteur du célèbre ouvrage « Black Swan ») qui résume le mieux le potentiel de cet actif :
« Bitcoin n’a pas de propriétaire et aucune autorité ne peut décider de son sort. Il appartient à la masse : ses utilisateurs. Et il justifie maintenant d’un historique de plusieurs années, suffisamment pour être pris très au sérieux. Sa seule existence constitue une police d’assurance qui rappelle aux Etats qu’ils n’ont désormais plus le monopole sur le dernier objet que l’establishment contrôle : la monnaie. »
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1 Les 3 fonctions de la monnaie sont la fonction de transaction, d’unité de compte et d’actif de réserve
2 Inflation du Bitcoin = 21 millions x nombre de blocs validés / masse monétaire existante