La Tech, un milieu d’hommes ? Rien n’est moins sûr. Si moins de 1 personne sur 5 travaillant dans le secteur est une femme, il faut rappeler que ce domaine leur doit beaucoup. Malheureusement, les contributions féminines sont bien souvent minimisées au profit de celles de leurs collègues masculins. À l’occasion de la Journée Internationale des Droits de la Femme, nous avons voulu célébrer toutes celles qui ont contribué et participent encore aujourd’hui à l’essor de l’industrie technologique.
Des débuts de l’informatique à l’avènement de l’intelligence artificielle, les femmes ont eu un impact bien réel sur le développement des technologies dont nous bénéficions tous aujourd’hui. Pourtant, nombreuses sont celles qui, de nos jours, n’envisagent même pas cette carrière : en France, au lycée, 66 % des garçons pensent étudier dans une école d’ingénieur ou d’informatique, contre 37 % des filles seulement. Comment ouvrir la voie à une plus grande mixité dans la Tech ? Quelles sont les femmes qui ont fait bouger les choses dans ce secteur ? On explore ces questions et bien d’autres dans cet article.
La Tech, un univers fortement masculinisé
Si de nombreuses inventions modernes ont été imaginées par des femmes, ce domaine attire en majorité un public masculin. Comment expliquer cela ?
Les femmes et la Tech : état des lieux en quelques chiffres
Les femmes sont les grandes oubliées des métiers technologiques et leur sous-représentation est bien loin de s’atténuer. Selon la Grande École du Numérique, en France, 30% des salariés dans le secteur du numérique, quel que soit le métier, sont des femmes. En Europe, le chiffre dégringole à 18 %.
Du côté de la Silicon Valley, qui est pourtant l’un des hauts lieux de l’innovation mondiale, le constat est le même : 7% des entrepreneurs sont des entrepreneuses. Dans la French Tech 120, rebelote, on trouve seulement 11,7% de dirigeantes d’entreprises. Pire, l’écosystème ne compte que 3 % de créatrices de logiciels.
Si l'on en croit les nombreuses études parues sur le sujet, l’informatique et autres domaines technologiques n’attireraient pas le public féminin : bien que près de 6 diplômés de l’enseignement supérieur français sur 10 soient des femmes, seule 1 sur 4 choisit de se spécialiser dans le numérique.
Les parents auraient même tendance à pousser plus leurs garçons que leurs filles à se distinguer dans le domaine. Et, par la suite, les inégalités perdurent : au sein des startups, par exemple, un homme est capable de lever 1,6 fois plus de fonds qu’une collègue féminine et les équipes composées de femmes sont 4,3 fois moins bien financées que les hommes. Et ce n’est, hélas, que le haut de l’iceberg.
Comment la Tech est-elle devenue un milieu masculin ?
Rien ne prédestinait pourtant la Tech à devenir un milieu masculin. En 1960, on estimait que le développement informatique était un métier de femmes, car il exigeait de la patience et de la minutie, des qualités alors perçues comme “féminines”.
Dix années plus tard, le secteur rencontre le succès et se met à rapporter gros. On estime alors, de façon fort injuste, que c’est une affaire d’hommes. Les sociétés démarchent en priorité le public masculin. Les formations n’accueillent, en grande majorité, que des hommes. Les femmes sont priées de laisser leurs places et leurs découvertes sont attribuées à leurs collègues masculins. C’est le fameux “Effet Matilda” qui touche encore beaucoup de personnes compétentes aujourd’hui.
Des années plus tard, le mal est fait. Le secteur de la Tech est composé presque exclusivement d’hommes et leurs consœurs ont bien du mal à s’y faire une place. Pire : beaucoup sont persuadées qu’elles n’ont rien à y faire.
Pourquoi y’a-t-il si peu de mixité dans la Tech ?
Même si les mentalités évoluent, il y a encore de nombreux facteurs qui freinent la mixité dans le numérique :
- Les stéréotypes sociaux : depuis longtemps, un certain nombre de préjugés laissent penser que les sciences, la logique, les mathématiques sont pour les garçons, tandis que les disciplines en lien avec la communication, la beauté, le soin des autres seraient pour les filles. L’imaginaire collectif a, de plus, intégré la figure du geek, ce fan de pop culture, d’informatique et de jeux vidéos, qui, s’il était moqué dans les années 90, est devenu de plus en plus valorisé. Impossible pour les jeunes filles de s’identifier.
- Le sexisme : remarques lourdingues, mansplaining, propos déplacés, harcèlement… 7 femmes sur 10 estiment avoir été victimes de sexisme durant leurs études. Et cela ne s’arrête pas une fois le diplôme obtenu.
- La culture d’entreprise : congé maternité perçu de façon négative, promotions entre hommes, avances déplacées lors de levées de fonds, rencontres professionnelles pensées pour le public masculin... Là aussi, il y a beaucoup de progrès à faire pour améliorer les choses et empêcher la culture du sexisme.
- Les freins personnels : actuellement, et c'est probablement la conséquence de tout ce que nous venons de citer, 67 % de femmes ne se sentent pas légitimes à faire des études informatiques.
Un autre obstacle à souligner : même si de nombreux efforts ont été faits récemment pour les mettre en lumière, les modèles féminins sont bien souvent rendus invisibles. Ils sont pourtant de taille.
Les modèles féminins qui ont marqué la Tech
Dans un secteur où les contributions des femmes sont souvent sous-estimées, voici quelques noms à retenir absolument.
Ces femmes qui ont révolutionné le numérique
La première ligne de code a été créée par Ada Lovelace. Fille de la mathématicienne Anne Milbanke et du poète Lord Byron, elle invente le premier programme informatique en 1843, alors qu’elle travaille avec le professeur Charles Babbage : “La machine analytique n’a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même (...) Son rôle est de nous aider à exécuter ce que nous savons dominer”.
Bien plus tard, en 1941, Hedy Lamarr, actrice, mais surtout inventrice, met au point avec son ami Georges Antheil un procédé capable de coder les transmissions. Le système est aujourd’hui à l’origine du Wi-Fi, du Bluetooth, du GPS et de la téléphonie mobile. Un coup de maître qui n’a pourtant été reconnu qu’en 1997 (3 ans avant son décès), avec l’obtention du prix de l'Electronic Frontier Foundation.
Bien d’autres femmes peuvent également être source d’inspiration :
- Les ENIAC Six, qui sont parvenues à programmer les premiers ordinateurs de l’histoire.
- Grace Hopper, créatrice du premier compilateur.
- La religieuse Mary Keller, première femme à obtenir un doctorat en informatique et qui a participé à la création du langage BASIC.
- Katherine Johnson et Margaret Hamilton, qui ont permis à l’homme de marcher sur la Lune.
Les femmes qui ont marqué la Tech ces dernières années
On entend beaucoup parler d’Elon Musk, Mark Zuckerberg et bien d'autres. Pourtant, il est important de souligner les avancées de leurs homologues féminines :
- Dr Fei-Fei Li : directrice du Stanford Institute for Human-Centered AI, elle est notamment à l’origine d’ImageNet. Cette base de données a aidé au développement de l’intelligence artificielle.
- Sheryl Sandberg : ancienne COO de Facebook, elle a contribué à faire de ce réseau social ce qu’il est aujourd’hui.
- Susan Wojcicki : ancienne PDG de YouTube, elle a joué un rôle primordial dans le développement de la plateforme.
- Juliana Rotich : entrepreneuse et militante kényane, elle est à la tête d'une compagnie dont l’objectif est le développement de logiciels open source.
- Marissa Meyer : informaticienne, elle dirige une équipe de développeurs chez Google avant de devenir PDG de Yahoo. En 2017, elle démissionne et créé Lumi Labs, une entreprise spécialisée en intelligence artificielle.
On peut citer bien d’autres exemples : Dorcas Muthoni, Meg Whitman, Nicola Mendelsohn, Belinda Parmar, Ginni Rometty, Carole Bartz, Mitchell Baker… La liste est longue mais, malheureusement, peu connue du grand public.
Les femmes à connaître pour les années à venir
Le secteur du numérique et des nouvelles technologies étant florissant, il serait difficile de faire le tour de toutes les personnalités féminines qui ont le vent en poupe en 2024.
Citons, toutefois, le réseau Women In Tech, qui comprend plus de 3,5 millions de personnes dans 172 pays. Chaque année, cette initiative diffuse une sélection des 100 dirigeantes féminines les plus prometteuses dans le domaine de la Tech. Cette année, on y retrouve notamment :
- Elizabeth Stone, CTO de Netflix.
- Anu Bharadwaj, présidente d’Atlassian.
- Lakecia Gunter, CTO de Microsoft.
- Melanie Perkins, PDG de Canva.
- Mira Murati CTO, d’Open AI.
Impossible bien sûr d’être exhaustif, mais il est très encourageant de noter que les choses progressent.
Comment réduire l’écart des genres dans la Tech ?
Pour que la Tech poursuive son évolution, il est crucial qu’elle se nourrisse d’intelligences multiples. Promouvoir la mixité est l’un des nombreux défis à relever.
Quel est l’impact d’une culture masculine dans la Tech ?
Écrire le monde uniquement au masculin peut avoir toutes sortes de conséquences sur :
- Les produits que l’on utilise : nombre de technologies conçues en fonction des hommes négligent les besoins des femmes, mais aussi d’autres groupes minoritaires. Un modèle unique ne peut convenir à tout le monde et il est temps de réfléchir à des solutions plus inclusives.
- La diversité : en mettant de côté tout un pan de la société, on exclut une grande richesse de perspectives et d’esprits brillants. Avec une telle logique, ne freine-t-on pas l’innovation ?
- Le renforcement des stéréotypes : associer hommes et informatique est réducteur et revient à exclure voire dissuader énormément de monde de contribuer à l’évolution des technologies, des métiers, etc.
- L’environnement de travail : discriminations, harcèlement et préjugés tenaces vont à l’encontre du bien-être de nombreuses personnes. Ils peuvent entraîner une baisse de productivité dans les entreprises ainsi qu’un fort turnover.
Favoriser la mixité peut aider le secteur technologique à devenir plus ouvert mais aussi plus dynamique.
Comment féminiser le monde de la Tech ?
De nombreux organismes, telles que l'institut Anita Borg ou encore le NCWIT (National Center For Women & Information Technology), se sont penchés sur la problématique de l’inclusion des femmes, mais aussi des personnes non-binaires dans la Tech. Voici quelques pistes intéressantes pour améliorer les choses :
- Poursuivre les efforts de sensibilisation et éduquer dès le plus jeune âge.
- Valoriser les modèles à parts égales pour inciter à plus de mixité et diversifier le recrutement de talents.
- Créer des espaces de discussion et libérer la parole pour mieux lutter contre les préjugés.
- Proposer aux femmes des opportunités d’avancement égalitaires et mettre en place des politiques spécifiques pour créer un environnement plus sûr et respectueux.
- Supprimer les écarts de rémunération, favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale et mettre en place des politiques de recrutement non discriminatoires, voire même instaurer des quotas pour favoriser la mixité.
Pour conclure…
On estime à l’heure actuelle qu’il nous faudra 135 ans pour atteindre la parité dans la Tech. Un chiffre bien triste quand on considère ce que ce secteur aurait à gagner de plus de diversité. Cependant, les choses évoluent : aujourd’hui, une culture trop “masculine” dissuaderait même les hommes de postuler à un emploi. Le numérique est en plein boom et il est clair que nous aurons besoin de toute l’aide possible pour créer le monde de demain.
Redonner de la visibilité aux femmes qui ont contribué à l’essor de ce secteur est essentiel. Mais il faut aller plus loin et donner à leurs filles, et plus largement à tous ceux que ce domaine attire, les conditions nécessaires pour s’épanouir dans le secteur.
Si vous connaissez d’autres initiatives ou d’autres modèles féminins inspirants, n’hésitez pas à les citer dans les commentaires.
Femmes dans la Tech : les initiatives à connaître
Ce sujet vous intéresse ? Voici 10 organisations à connaître pour aller plus loin (nombre d’entre elles ont des antennes en France) :
- Women in Tech.
- Women in AI.
- Women in Machine Learning and Data Science.
- Women who code.
- Anita Borg Institute.
- NCWIT (National Center For Women & Information Technology).
- Femmes@Numérique.
- Women in Technology France.
- Digital Ladies And Allies.
- Girls Can Code.
Il en existe bien d’autres, tout aussi intéressantes.