Moins de cinq ans pour se préparer… Le télescope spatial Plato de l'ESA devient réalité, et sa mission de détection d'exoplanètes devrait marquer une nouvelle génération de découvertes. Nous avons échangé avec le chercheur Alexandre Santerne (Laboratoire d'Astrophysique de Marseille) pour tout comprendre de ce futur chasseur de « jumelles de la Terre » !
Le cap des 5 000 exoplanètes détectées et confirmées sera dépassé cette année. C'est à la fois beaucoup (il y a 30 ans, le compteur était encore coincé à 0) et très peu, car les astrophysiciens estiment qu'il y a plusieurs exoplanètes autour de l'écrasante majorité des milliards d'étoiles qui nous entourent. Les détections progressent aujourd'hui grâce à des missions d'observation des transits planétaires, principalement en orbite avec le télescope spatial TESS, mais aussi depuis le sol, notamment pour confirmer les résultats… Mais qu'en est-il de l'avenir ?
Les exoplanètes comme sur un Plato
Le domaine, qui progresse à toute vitesse, se prépare à l'arrivée du télescope européen Plato. C'est une mission de détection avec de grandes ambitions, équipée d'une technologie originale : 26 petits télescopes sur le même véhicule. Plato décollera (si tout va bien fin 2026) vers le Point de Lagrange L2, où résident déjà Gaia et James Webb. Pour Clubic, j'ai pu échanger avec le chercheur Alexandre Santerne, rattaché au Laboratoire d'Astrophysique de Marseille, qui intervient sur plusieurs aspects de la mission. « Au sein du consortium européen qui s'occupe de Plato, je suis responsable dans le développement du logiciel qui va déterminer les paramètres des différents systèmes planétaires observés. Mais de façon générale, je prends part à toutes les grandes étapes de la mission, de la préparation scientifique au design et développement des logiciels de traitement des données au sol et l'exploitation scientifique. »
L'objectif principal de Plato sera d'observer longtemps une même zone du ciel pour chercher des planètes rocheuses avec une période orbitale d'environ un an. Une tâche très difficile… « Aujourd'hui, nous n'avons découvert aucun système qui est vraiment analogue au Système solaire, et on est loin de connaître des « sosies de la Terre », explique A. Santerne. « On connait énormément d'exoplanètes qui ont des périodes orbitales courtes, ce qui est dû à nos méthodes d'observation, et certaines sont dans la zone habitable, c'est vrai. Mais on est loin d'avoir une exoplanète rocheuse d'une période d'un an autour d'une étoile plus ou moins similaire… Nous estimons qu'on devrait en détecter une cinquantaine avec Plato ! On se donne le plus de chances possibles, et peut-être qu'on aura des détections de planètes un peu plus petites (pas trop petites ni trop lointaines, détecter un sosie de Mars est probablement à la limite de nos capacités), mais pour nous c'est évident, cette recherche sera fructueuse ».
Plus d'informations sur les exoplanètes découvertes
Surtout, Plato aura des capacités plus poussées que les observatoires spatiaux qui l'ont précédé. TESS détecte beaucoup d'exoplanètes candidates mais reste une mission beaucoup plus petite et ne travaille que sur les étoiles les plus brillantes. Il y a aussi le petit satellite CHEOPS de l'ESA, qui est une mission de suivi et de caractérisation… Mais il n'a pas vocation à découvrir des nouvelles candidates, plutôt à mieux comprendre ces planètes, leur période orbitale, leur densité, leur étoile, etc. De la même façon, le James Webb est un outil formidable, mais il ne sera (sauf exception) pointé que vers des exoplanètes connues, pour pouvoir par exemple détecter et caractériser leurs atmosphères.
« Chacune de ces missions est très différente des autres », détaille A. Santerne. « Il y a aussi Kepler, qui a fourni énormément de données, et le suivi des résultats est toujours très complexe : il y avait des étoiles trop peu brillantes, la photométrie offrait moins de précision donc moins d'informations sur les étoiles, et à cause des marges d'erreur sur les étoiles (entre 10 et 20% sur les rayons des exoplanètes), on n'a pas vraiment pu classer ou identifier ces exoplanètes avant de les étudier avec d'autres moyens depuis la Terre ».
« Avec Plato, ce sera une grande évolution, avec l'ambition de faire mieux et une technologie différente. On aura plus d'informations par exemple sur les étoiles, des paramètres planétaires très fins (seulement 2 à 3% de marge d'erreur) et du coup des indices directs sur leur type, leur formation, leur masse. Ce sera donc un télescope spatial unique en son genre ! ». Les exoplanètes sont au cœur de l'axe de recherche d'Alexandre Santerne, qui est spécialiste de leur découverte et de leur caractérisation. Il utilise les données des missions spatiales avec les techniques de photométrie par transit, puis confirme leur présence grâce à différents instruments de télescopes au sol, comme le spectrographe Sophie de l'Observatoire de Haute Provence, HARPS ou ESPRESSO sur le Very Large Telescope, par exemple.
Qu'est-ce qui a 26 yeux et deux ailes ?
Plato sera une mission remarquable, qui pèsera plus de 2,1 tonnes le jour de son décollage, et qui embarque… 26 télescopes. Voilà une architecture bien particulière pour « scanner » l'univers à la recherche d'exoplanètes ! Mais comme l'astronome l'explique, tout est lié aux objectifs de la mission, qui vise à observer sur une longue période une part la plus importante du ciel. « Il faut revenir aux bases de ce que l'on veut observer : une planète qui passe devant son étoile… Une seule fois en un an ! Et ça ne dure pas longtemps, donc si on quitte l'étoile des yeux pendant quelques heures, il est possible de la rater. » Il faut donc observer en continu la même zone de mesure durant au moins deux ans, afin d'avoir une chance de détecter deux transits, et donc d'avoir un degré de certitude suffisamment élevé pour déclarer une exoplanète candidate.
« Comme on souhaite une meilleure probabilité d'en détecter, il faut observer des dizaines, voire des centaines de milliers d'étoiles… Le champ de vue doit donc être énorme ! Pour Kepler, le concept optique utilisée était classique avec un seul grand miroir. Mais alors que Kepler n'observait « que » 10 degrés de champ, il y avait déjà des aberrations optiques et la forme de ses capteurs était légèrement bombée en conséquence. Pour Plato, on vise un champ de 40 degrés : avec un seul miroir, il y aurait énormément de déformations, ce serait impossible. Donc on utilise une technique différente, la même que pour une lunette astronomique, et là on peut corriger l'image avec l'usage de lentilles optiques. Mais pour éviter d'avoir à emmener à 1,5 millions de kilomètres une seule gigantesque lunette astronomique (et surtout sa masse), on va en embarquer 26 petites. Ces petits télescopes ont chacun un grand champ de vue, et comme on en a mis beaucoup, on arrivera à obtenir une excellente précision des mesures ».
« D'ailleurs 26 télescopes, cela semble beaucoup, mais nous étions beaucoup plus gourmands dans la phase initiale du projet, glisse le chercheur, puisque nous visions 100 télescopes ! Pour être plus réalistes, nous sommes descendus à 42, mais comme pour toute mission spatiale, il y a d'énormes contraintes. Nous avons donc retenu une configuration à 24 + 2 télescopes. 4 groupes de 6 qui vont couvrir une très grande zone, et deux caméras rapides, qui serviront pour le pointage exact de Plato, mais que l'on utilisera aussi pour des données scientifiques. Enfin, on parle souvent du nombre de télescopes, mais Plato sera aussi à ma connaissance la mission avec la plus grande matrice CCD jamais envoyée dans l'espace. Cela représente 4 capteurs CCD par télescope, presque 1m2 de surface équivalente au total ! »
Big Telescope, Big Data
Ces 26 petits télescopes vont cependant avoir un impact direct sur la quantité phénoménale de données que la mission va produire. Et ceci alors même que ce ne sont pas des images qui seront téléchargées vers le sol. Comme nous l'explique Alexandre Santerne, autour de chaque étoile brillante, le logiciel embarqué laissera une matrice de 6x6 pixels, ce qui formera un véritable patchwork de dizaines de milliers de matrices et de leurs positions. A ce prétraitement, les télescopes ajoutent sous forme de liste, les valeurs de photométrie des autres sources lumineuses de moindre importance. Mais sous cette forme, cela représente déjà environ 1 pétaoctet de données sur 4 ans !
« Cela implique que le traitement au sol doit être adapté à la masse de data que Plato va produire. Plus question d'écrire un « petit soft » pour traiter un lot de données, ce sont des vraies logiques du big data avec des algorithmes qui sont testés en amont, qui doivent être plus souples, plus adaptables et efficaces. Et je vais devancer la question, non il n'est pas question de laisser une « Intelligence artificielle » s'occuper des détections ! Il y a cependant des essais qui sont en cours et que l'on observe avec intérêt avec les données de TESS et Kepler, mais les techniques classiques sont mieux contrôlées ». Ce volume est aussi un progrès direct par rapport aux missions passées de détection d'exoplanètes.
En réalité, c'est même sans commune mesure : « CoRoT, qui était une mission active il y a moins de 20 ans, photographiait dans son mode standard un cliché toutes les 516 secondes, avec un mode rapide capable de capturer une scène en 32 secondes. Plato… Eh bien Plato va passer devant tous ses prédécesseurs en termes de données, avec une photographie toutes les 25 secondes pour ses 24 petits télescopes, et un cliché toutes les 2.5 secondes pour les deux appareils de pointage à haute vitesse. C'est gigantesque : une « image » regroupant les données de dizaines, voire de centaines de milliers d'étoiles, toutes les 25 secondes durant au moins 4 ans (et probablement 8) ! »
« Du coup oui, cela va représenter énormément de données et on s'y prépare déjà aujourd'hui, précise A. Santerne. Nous avons d'ailleurs dans l'équipe des gens qui ont travaillé avec Gaia, car il faut anticiper de gigantesques transferts de plusieurs Terraoctets entre différents sites répartis en Europe ». Il s'agit de préparer les « tuyaux » pour travailler au jour le jour avec autant de données qui voyageront entre l'antenne de réception principale de l'ESA à Madrid et Göttingen (Allemagne), Cambridge (Angleterre) ou Orsay. Quitte, d'après le chercheur, à envoyer de temps à autre des disques durs en livraison express… Plutôt que de saturer les réseaux durant quelques heures ou même quelques jours !
« Contrairement à Gaia cependant, nous n'allons pas comme eux préparer de titanesques mises à jour (les Data Release de Gaia représentent chacune des années de travail), mais plutôt disposer de ce que nous appelons un « living Catalogue », qui sera actualisé tous les trois mois environ. C'est lié à la physique de notre orbite au Point de Lagrange L2, explique A. Santerne, l'orientation du télescope est fixe et nous le tournons tous les trois mois, donc on interrompt le flux de données. C'est le moment idéal pour faire tourner les algorithmes de détection sur les nouveaux résultats ! Cela dit évidemment, nous aurons dans les archives de quoi travailler et analyser finement les données pour des décennies ».
Instants critiques avant la salle blanche
Pratiquement cinq ans avant son décollage, Plato semble encore loin de l'ambiance frénétique qui précède les lancements. Pourtant, 2021 était une année capitale pour le projet… Tout simplement parce qu'il est inédit avec ses 26 télescopes. « Il va falloir gérer la quantité, mais aussi s'assurer de la qualité, mettre en place une chaine de production et de tests, le tout avec des industriels pour qui ce sera également un défi, justifie A. Santerne. Du coup l'agence, lorsqu'elle a donné le feu vert à Plato, a imposé pour 2021 un droit de regard, une énorme évaluation qui a duré six mois, la « Critical Milestone ». Et en plus de vérifier la technologie et la qualité des travaux réalisés, l'agence a confirmé que nous sommes toujours bien partis pour tenir la date de lancement prévue. Donc oui, cela semble loin mais en même temps tout va se rapprocher très vite ! »
« Aujourd'hui, ce que l'on voit sur les photos ce sont des prototypes, ou bien du matériel de test, parce que comme dans toute mission novatrice, il y a différentes plateformes et modèles qui sont réalisés en amont. Mais il est temps de passer en production : je n'ai pas la date exacte mais il faudra livrer les télescopes dès fin 2024 ou début 2025, donc ça va être une période assez intense qui s'annonce ! Et bien entendu ce n'est pas que matériel, il faut aussi préparer le logiciel ».
Les équipes espèrent que Plato excèdera sa durée de vie initiale de 4 ans de mesures au Point de Lagrange L2. L'environnement y est très stable, et la conception du véhicule est telle qu'il n'y a pas de cryostat, ou de refroidissement actif des instruments. Si le télescope spatial arrive en place avec une bonne réserve de carburant… « Quand on regarde l'actualité avec le James Webb, on se prend à espérer une mission qui dure 8 ans ou plus ! En sachant que nous aurons une période de caractérisation, d'étalonnages et de réglages qui sera plus longue que celle du JWST (pour Plato, cela va durer pratiquement un an) », conclut Alexandre Santerne. Et bien entendu, des synergies sont espérées avec d'autres missions de la fin de la décennie, qu'elles soient dans le vide spatial (James Webb, Ariel) ou sur Terre, avec les gigantesques machines telles que le GMT, le TMT ou l'ELT qui seront inaugurées à ces horizons. Vivement ces futures découvertes d'exoplanètes !
Toute l'équipe de Clubic se joint à moi pour remercier Alexandre Santerne d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.