Il y a quelques jours, j'ai pu entrer pour Clubic au sein des installations d'Airbus Defence & Space à Toulouse, pour découvrir la sonde JUICE (Jupiter Icy Moons Explorer). C'est l'une des plus ambitieuses et longues missions de l'agence spatiale européenne, qui arrive à un stade critique : la dernière année de tests avant le décollage.
Vous venez avec moi ?
Mais où est JUICE ?
Dans cette grande cathédrale (un peu caverneuse) qu'est le site d'assemblage et de tests d'Airbus Defence & Space à Toulouse, la sonde JUICE n'est pas directement à côté des énormes satellites de télécommunications, alignés à différents stades de leur préparation. Elle ne se cache pas encore dans un des gigantesques caissons à vide, ni dans les salles d'essais couvertes de panneaux anéchoïques…
Il faut la chercher plus loin, isolée derrière des panneaux, et derrière une dernière volée de questions malgré les protections que nous portons déjà pour la salle blanche : a-t-on encore sur soi un dernier équipement électronique ? Téléphone, montre connectée, tout est resté au vestiaire… Même les photos de ce reportage seront prises à une distance respectable par mes accompagnants. En cette fin mars, JUICE n'est pas encore tout à fait complète, et comme les techniciens et ingénieurs mettent en place ses protections thermiques, ses entrailles sont encore ouvertes.
La boite de JUICE
JUICE, au premier regard, n'est peut-être pas si impressionnante. A l'horizontale, elle mesure environ 3 x 3 x 4m, grand caisson d'où dépassent, de toutes formes, différents éléments tantôt recouverts des traditionnels couvercles « Remove Before Flight » (qui ne seront donc débarrassés que juste avant la mise sous coiffe), tantôt emballés dans leurs couvertures thermiques ou leurs protections transparentes.
Pourtant, elle est grande, et elle sera, une fois ses réservoirs pleins, la plus imposante et la plus puissante des sondes européennes interplanétaires : plus de 5 tonnes sur la balance. La plus lointaine aussi, si l'on excepte Huygens (qui voyageait grâce à Cassini) et Rosetta (qui était en sommeil lors de ses phases de vol lointaines). Bref, une aventure pour l'ESA et tous ses partenaires industriels, qui s'en ira à pratiquement 900 millions de kilomètres étudier Jupiter et ses lunes gelées. Une mission qui se terminera en apothéose autour de Ganymède, à l'horizon 2033-34.
De Toulouse à Ganymède
C'est en réfléchissant à sa destinée, à sa dimension et au travail accumulé pour produire un véhicule aussi perfectionné, que le respect arrive. Un objet qui, toute sa mission comprise, représente 1,5 milliard d'euros. Pour un peu, on se prendrait à chuchoter devant… Ce qui ne servirait à rien, entre le masque de rigueur et le soufflement des différents équipements présents dans la salle, toute parole deviendrait inaudible. Le prix à payer pour découvrir les lunes gelées de Jupiter est élevé, mais il est à la hauteur des enjeux scientifiques de la mission.
En effet, il s'agit avec ses 11 suites instrumentales de caractériser les océans sous la glace, d'en caractériser les différentes couches, de faire les relevés topographiques, géologiques et de composition les plus précis de la surface de Ganymède et de Callisto, d'étudier leur composition interne et celle de leur banquise, de quantifier leur atmosphère très ténue, et d'étudier le champ magnétique de Ganymède, la seule lune du Système Solaire avec sa propre magnétosphère.
3, 2, 1… Attendez, attendez un peu
JUICE, en quelque sorte, est déjà dans les starting-blocks… La concentration et les regards en coin à qui s'approche de la sonde en témoignent. Mais il convient de la tester pour être certains qu'elle résistera comme prévu à son décollage, en avril 2023 sur la toute dernière Ariane 5. Une fin de carrière qui représentera pour plus d'un amateur de l'espace à la fois le début et la fin d'une extraordinaire aventure. Elle devra ensuite survivre à 5 survols de Venus, de la Terre (y compris le premier survol avec assistance Terre et Lune jamais réalisé) puis de Mars en 8 ans avant d'atteindre finalement Jupiter et de se freiner pour obtenir sa trajectoire « finale » d'étude des lunes gelées ! Un long voyage, qui va la soumettre à des conditions très différentes de chaleur mais aussi d'environnement électromagnétique.
Sur l'une de ses faces, on retrouve la gigantesque antenne « grand gain » de 2,5 m de diamètre, devant laquelle on se sent tout petit. C'est un élément indispensable de la mission, sans lequel elle ne pourrait transmettre qu'une minuscule partie de ses données. Et l'exemple d'une autre sonde à destination de Jupiter (Galileo, de la NASA) est dans tous les esprits : mal déployée, son antenne n'avait pas bien fonctionné. L'antenne grand gain sera presque toujours pointée « côté Soleil », aidée au jour le jour par celle à gain moyen, qui est sur un bras orientable (juste à côté), et les deux petites antennes à très faible gain, utilisées en cas d'urgence ou pour prendre contact avec la sonde juste après son décollage.
Des panneaux et des couvertures
En faisant le tour de la sonde, on remarque immédiatement que les énormes panneaux solaires manquent encore à l'appel. Ils ont leur propre circuit de préparation, et ne rejoindront JUICE que beaucoup plus tard : même dans les énormes salles de test d'Airbus, il n'y a pas assez de place pour les étendre tous les deux.
Les équipes s'affairent, dans cette phase de finition, à disposer les « MLI » (Multi-Layer Insulation), ces couvertures ici très épaisses (22 couches internes) sur JUICE. Elles protègent le matériel de vol, autant des vagues de chaleur que des perturbations électromagnétiques. Sur la sonde, elles sont d'une couleur particulière qui tire sur le violet, et non couleur or ou argent comme c'est régulièrement le cas pour les satellites ou autres télescopes : le matériau est particulier, comme pour la majorité de la construction de JUICE : peintures, appendices pare-soleil, fixations, structure… Jusqu'à l'utilisation de boitiers « coffre forts » pour l'électronique de bord qui devra tantôt être chauffée, tantôt évacuer sa chaleur. Les précautions sont maximales. Il ne restera plus, après les MLI, qu'à installer le bras déployable qui manque, avant de quitter la salle d'intégration pour les essais électromagnétiques (ou essais rayonnés) puis mécaniques et acoustiques pour simuler au plus près les conditions du lancement sous la coiffe d'Ariane 5.
Plus de proto, c'est pour le vol
Ce qui signifie aussi que les instruments installés ici devant nous sont les modèles de vol. Pas seulement les boitiers scientifiques qui observeront pour la première fois avec de telles résolutions et bandes de fréquence les surfaces d'Europe, Callisto et Ganymède, mais aussi ceux qui serviront à la navigation, au repérage de la trajectoire, aux « suiveurs d'étoiles » qui permettent d'orienter le véhicule le plus précisément possible pour calculer les ajustements à suivre. Un grand nombre de ces capteurs sont redondants, de façon qu'une panne dans la décennie qui vient puisse être compensée sans perte de performance.
Enfin, il y a les propulseurs, par paires sauf sur le « dessous » de la sonde, qui abrite le moteur principal. Plus d'un tiers de la masse de JUICE au décollage sera au sein de ses réservoirs, pour alimenter sa propulsion chimique.
Tout cela devra marcher de concert pour que les chercheurs puissent comprendre les lunes gelées, et que nous puissions nous émerveiller devant les photographies. Avec un seul objectif qui est déjà dans les esprits de tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à cette mission : l'insertion en orbite de Jupiter, en juillet 2031.