Venus Explorer a pris cette photo de la planète-enfer. Crédits ESA.
Venus Explorer a pris cette photo de la planète-enfer. Crédits ESA.

Plusieurs décennies après les exploits des missions soviétiques Venera, et avec de nombreuses interrogations suite à Magellan, les européens envoient leur première mission vers Venus en 2005. Issue d'une opportunité économique, la sonde tiendra finalement son rôle pendant une décennie d'étude de l'atmosphère…

Elle en profitera même pour freiner grâce à son sujet d'analyse !

Effet de série

Il y a parfois des idées à ne pas manquer, des opportunités uniques qui naissent d'un hasard de calendrier ou d'une proposition qui sort des sentiers battus. La mission Venus Express fait définitivement partie de ces dernières. En effet au tournant des années 2000, l'Agence spatiale européenne travaille déjà à sa première mission vers Mars, souhaitant dépasser l'échec cuisant de la mission russe Mars 96 dans laquelle plusieurs de ses membres avaient amplement investi. Elle prépare aussi Rosetta, la mission qui partira étudier les comètes comme jamais auparavant. Une proposition nait alors, grâce à 3 responsables français, allemands et anglais : réaliser une sonde quasi-identique à Mars Express, avec des répliques des instruments étudiés pour cette mission et pour Rosetta… Et construire à partir de là une mission à très bas coût vers Venus.

Le concept rencontre quelques barrières (notamment parce qu'il y a des différences entre l'environnement martien et celui de Venus), mais l'équation économique est simple, et il faut faire vite pour profiter de cet effet de duplication. L'accord pour la mission est donné en 2001, et se révélera diablement efficace. Le décollage est prévu en 2005… Et il aura lieu à temps ! Mieux, le budget pour un véhicule aussi capable est vraiment plancher : 220 millions d'euros « tout compris » y compris le lancement et les deux premières années d'opérations.

Venus Express le jour de son départ pour la Russie.Crédits ESA
Venus Express le jour de son départ pour la Russie.Crédits ESA

Certains en viennent à douter de l'intérêt d'une mission parfois présentée comme étant au rabais, image erronée qui collera longtemps à Venus Express. Car la sonde embarque tout de même 7 instruments : l'imageur visible et infrarouge VIRTIS, la caméra large champ VMC, l'instrument radio par occultation VeRA, le spectromètre à radiations SPICAV, le spectromètre infrarouge PFS pour sonder l'atmosphère, le magnétomètre MAG et l'analyseur de particules plasma ASPERA-4.

Un départ sous haute tension

En août 2005, la sonde arrive à temps à Baïkonour pour ses derniers tests avant le départ prévu fin octobre. En effet, l'ESA ne dispose pas encore à cette date d'autres lanceurs qu'Ariane V à Kourou (trop puissante et trop chère pour cette mission), un lanceur Soyouz a donc été « acheté » via l'entreprise française Starsem à la Russie.

Les équipes de Venus Express en seront tout de même quittes pour une grosse sueur froide : une fois la coiffe refermée, ils observent des morceaux d'isolant de l'étage supérieur Fregat qui se sont détachés. Il faut rouvrir la coiffe, détacher la sonde, l'inspecter et la nettoyer avant de pouvoir reprendre la campagne de tir… Heureusement, la « fenêtre » optimale pour un départ vers Venus est toujours ouverte, et Venus Express décolle sans incident le 9 novembre. Le trajet durera cinq mois.

Vue d'artiste de la sonde Venus Express. Crédits ESA/ATG Medialab

Le 11 avril 2006, la sonde de 1 260 kg (seulement 730 hors carburant) allume ses moteurs et freine pour entrer en orbite de Venus. L'opération est un succès retentissant, d'autant qu'il n'y aura besoin que de quelques semaines pour obtenir les paramètres orbitaux voulus pour la mission scientifique. Le 7 mai, Venus Express est sur une ellipse de 250 x 66000 kilomètres qui la fait passer très près du pôle Nord de la planète-enfer, et qui dure précisément 24 heures. Bonus de ce succès, chaque jour la sonde est durant dix heures en vue directe avec la nouvelle antenne que l'ESA a fait installer à Cerebos en Espagne, spécialement à cette occasion. De quoi entamer ses 500 orbites prévues pour les observations !

Comprendre (un peu) Venus

La campagne scientifique sera un succès, et la sonde réussira à transférer entre 500 Mo et 5 Go de données vers la Terre chaque jour ! Un véritable trésor qui est toujours étudié aujourd'hui, non seulement parce que les relevés prennent du temps à être épluchés en profondeur, mais aussi parce qu'ils peuvent être comparés à ceux des missions précédentes et actuelles (comme la sonde japonaise Akatsuki). Les résultats sont nombreux.

On peut citer notamment l'observation sur le long terme des complexes vortex polaires créés par les vents (ils font le tour de Venus en 4 jours, tandis que la planète tourne sur elle-même en 254 jours), une vitesse de rotation de la planète en décroissance, des indices probants d'une activité volcanique récente (à défaut de contemporaine) à la surface, la présence régulière d'orages avec de grosses activités électriques dans l'atmosphère de Venus, de gros progrès sur sa composition fine (notamment la présence d'ozone, mais aussi d'une étonnante « couche froide »).

Un vortex au pôle Sud de Venus observé par l'instrument VIRTIS. Crédits ESA/VIRTIS-VenusX/INAF-IASF/Obs. de Paris-LESIA (A.Cardesin Moinelo, IASF-INAF)

Il y a eu aussi différentes publications sur le champ magnétique de Venus, ou la perte de l'eau dont la mécanique pourrait, comme pour Mars, être liée au vent solaire… Bref, des centaines d'articles à comité de lecture, et une bien meilleure compréhension des mécanismes actifs autour et sur la surface de notre voisine, qui fut il y a bien longtemps une « jumelle de la Terre ». Ces études servent aussi dans notre ère de grandes découvertes d'exoplanètes : savoir identifier, différencier et comprendre les « Venus des autres systèmes » est aussi une clé importante pour l'avenir.

Venus Express, une sonde bien résistante…

A cause du point le plus bas de son orbite, à 250 kilomètres d'altitude, Venus Express nécessitait périodiquement des ajustements de son orbite : malgré sa durée de vie impressionnante, elle ne pouvait éternellement poursuivre ses observations. Néanmoins, elle opérera jusqu'à 2014, soit pratiquement cinq fois sa durée de vie prévue à l'origine. L'ESA en a même profité pour tester une technique peu utilisée à cause des risques qu'elle engendre : le freinage atmosphérique, aérofreinage ou aérobraking. En effet, en contrôlant son orientation et grâce à de minuscules ajustements de trajectoire, les équipes à Darmstadt ont pu faire évoluer son orbite avec un freinage mesuré économisant énormément de carburant, puisque généré par les frottements contre les plus hautes couches de l'atmosphère de Venus. Une fin en guise d'apothéose !

S'aider de l'atmosphère pour freiner... C'est chaud ! Crédits ESA/C.Carreau

Le contact sera perdu le 28 novembre 2014, probablement car la sonde n'avait plus de carburant pour s'orienter vers la Terre. Episodiquement, les stations au sol captèrent la porteuse du signal, jusqu'au 18 janvier 2015. Depuis, Venus Express a fait une dernière plongée dans son sujet d'étude…