Écartée de Facebook et avec une liberté de parole retrouvée, la spécialiste de la donnée pointe du doigt le manque avéré de réaction du réseau social face aux pratiques illégales menées sur ce dernier, qui aurait sciemment ignoré ses alertes.
Dans la case « Opinions politiques » de son profil, Facebook aurait sans aucun doute coché celle qui nous indique que sa relation est « compliquée » si cela avait été possible. Licenciée du réseau, Sophie Zhang, data scientist de métier, a publié une note de 6 600 mots pour le moins explosive dans laquelle elle révèle, exemples à l'appui, que la firme de Mark Zuckerberg a cautionné, ou du moins a pris son temps, pour lutter contre de faux comptes et la désinformation sévissant dans le monde électoral, et ce tout autour du globe.
Facebook gangrené par la désinformation politique
Si Facebook a fait de la lutte contre la désinformation son cheval de bataille ces derniers mois, il semble pourtant que la plateforme aux 1,79 milliard d'utilisateurs actifs quotidiens traîne des pieds à ce sujet. « Au cours des trois années que j’ai passées chez Facebook, j’ai constaté de nombreuses tentatives flagrantes de la part de gouvernements étrangers d’abuser de notre plateforme à grande échelle pour tromper leurs propres citoyens », avoue Sophie Zhang.
Nous le disions, la note de la spécialiste des données est accompagnée d'exemples concrets, qui nous montrent à quel point les gouvernements étrangers utilisent le réseau social pour arriver à leurs fins, à l'aide de faux comptes sollicités pour influencer les utilisateurs et faire barrage aux partis et politiciens adverses.
Zhang explique notamment comment Facebook a aidé à faire élire le sulfureux président du Honduras Juan Orlando Hernández, réélu en 2017. Son équipe avait utilisé des milliers de faux comptes destinés à soutenir corps et âme le président, pour tenter de duper le peuple hondurien. Sophie Zhang dénonce le fait qu'il aura fallu neuf mois aux dirigeants de Facebook pour mener des actions contre la vaste campagne de désinformation. Le géant américain a bien fini par réagir, mais deux semaines plus tard, les faux comptes, qui seraient toujours actifs, réapparaissaient sur la plateforme.
« Du sang sur les mains »
Les cas pratiques ne manquent hélas pas. En Azerbaïdjan, Zhang révèle avoir signalé une forte activité de faux comptes utilisés par le parti politique au pouvoir. Facebook n'a réagi qu'un an après le signalement de sa data scientist, laissant ainsi tout le temps aux individus malveillants pour mener leur campagne de harcèlement de l'opposition.
Dans sa note exhaustive, Sophie Zhang révèle aussi avoir supprimé, avec d'autres collaborateurs, pas moins de 10,5 millions de fausses réactions et de fans de personnalités politiques au Brésil, mais aussi aux États-Unis lors des élections de mi-mandat de 2018. Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, la data scientist fut aussi alertée sur ce qu'elle appelle « une manipulation coordonnée » sur la page Facebook du ministère espagnol de la Santé. Ce fut alors l'occasion pour elle de lancer une enquête qui a abouti à la suppression de 672 000 faux comptes « agissant sur des cibles similaires », partout dans le monde.
Si la note n'a pas été publiée dans sa totalité de façon à protéger certaines informations personnelles ainsi que sa propre sécurité, Sophie Zhang estime avoir désormais « du sang sur les mains », malgré ses efforts à lutter contre la manipulation politique mondiale. Dans un communiqué, Facebook confirme que la lutte contre les comportements inauthentiques est sa priorité, au même titre que le spam et les fausses réactions. « Nous enquêtons soigneusement sur chaque problème, y compris ceux soulevés par madame Zhang », a écrit la porte-parole Liz Bourgeois.
Source : BuzzFeed News