A l'occasion du salon du salon du livre qui s'est tenu le week-end dernier Porte de Versailles, le Centre d'Analyse Stratégique (CAS) rattaché à Matignon a exposé des notes d'analyse pour permettre de mieux cerner le secteur du livre électronique en France, et d'anticiper au mieux son évolution tout en garantissant sa croissance. Car si ce format s'installe très doucement sur le territoire, plus personne, de l'éditeur à l'auteur en passant par les bibliothèques, n'est dupe quant à l'évolution à venir.
Au salon du livre 2012, visiteurs comme exposants ont pu constater que l'espace dédié à la lecture numérique était bien plus important que les précédentes années. Et pour cause : le secteur est de plus en plus prisé par les entreprises, qu'elles se destinent d'emblée à cette spécialité ou qu'elles partagent leur activité entre papier et numérique. Pourtant, le livre numérique tarde à s'installer en France, où il représente à peine 1% du marché du livre - contre 15% aux USA, et 10% au Royaume-Uni.
Mais pour le Centre d'Analyse Stratégique, « un changement majeur est sur le point de se produire » et « le livre numérique va bousculer la chaîne traditionnelle du livre et ses acteurs », en raison principalement de l'effervescence autour des tablettes tactiles et de l'adoption des liseuses numériques par les Français. De fait, le CAS a publié hier 3 notes d'analyse visant notamment à énoncer des propositions à l'intention des différents acteurs du secteur.
Une baisse de prix des livres numériques
Parmi les propositions les plus conséquentes faites par le CAS, on trouve celle évoquant une baisse de prix conséquente des ouvrages numériques par rapport à leur équivalent papier. Le conseil évoque la réussite du livre électronique aux USA, qui repose selon lui sur « l'attractivité de l'offre proposée par Amazon avec des fichiers vendus 9,90 dollars pour des œuvres qui coûtent 20 ou 25 dollars en version papier. » Néanmoins, l'organisme admet qu'une telle situation n'est pas possible en France, où l'éditeur se doit, comme pour les éditions papiers, de fixer un prix de vente publique les commerçants doivent respecter.
Pour autant, le prix d'un livre numérique est aujourd'hui souvent prohibitif quand on le compare à celui d'une édition papier : un récent rapport remis au ministère de la Culture souligne que les lecteurs estiment qu'un livre numérique devrait être 40% moins cher que sa version papier. Aujourd'hui, en moyenne, l'écart de prix se situe entre 20 et 35%, et le CAS explique que les éditeurs sont rétiscents à adopter une décote plus conséquente : « Au-delà des “coûts cachés” précédemment évoqués, le risque est de voir apparaître une spirale à la baisse dans le marché du livre, créant chez les lecteurs des habitudes de consommation de livres à bas prix qui auraient des effets redoutables pour la rentabilité du secteur. Il s'agit donc de parvenir à un prix suffisamment attractif pour le lectorat, sans déprécier le travail des acteurs de la chaîne du livre. » explique le rapport. A noter que la récente baisse de la TVA sur le livre numérique, passée de 19,6% à 7% en janvier, attend encore d'être appliquée par de nombreux éditeurs - Hachette a passé le cap en fin de semaine dernière.
Unification et interopérabilité
Deux autres propositions du ministère de la culture peuvent être mises en parallèle : d'un côté, celle de constituer une homogénéité dans les formats utilisés par les éditeurs et les constructeurs de tablettes, pour rendre l'ensemble intéropérable, et faciliter la vie du consommateur qui n'aurait pas, ainsi, à se soucier de savoir si son contenant peut lire son contenu. « Il n'est pas possible pour un possesseur de Kindle d'acheter des titres en format ePub. Un possesseur de Kobo ne pourra pas non plus acquérir des titres par le biais de la librairie en ligne d'Amazon » déplore le CAS, qui estime que cette situation est « contraire à l'exercice d'une libre concurrence ». Cette proposition ne concerne pas uniquement la France, mais toute l'Europe, précise l'organisme.
De l'autre côté, le CAS souhaiterait « Réunir les acteurs de l'édition et de la distribution du livre pour aboutir à un regroupement de la distribution française du livre numérique autour d'une plate-forme unique », visant à faciliter l'accès à l'ensemble des offres. La fragmentation des plateformes de distribution est un vrai problème pour le CAS, qui cite les 3 principaux acteurs du domaine - Numilog, Eden et E-Plateforme - couplés à d'autres, plus modestes - Immateriel, i-Kiosque... « Or, pour intégrer le catalogue de chaque plate-forme, les revendeurs de livres numériques doivent payer un abonnement élevé ; la tentation est donc de se tourner vers un seul grand acteur, quitte à se priver d'une offre exhaustive » explique le CAS, qui ajoute que certains éditeurs gèrent eux-mêmes leurs ventes numériques, ce qui complique encore les choses. « La solution pour remédier à la fragmentation de l'offre de livres numériques sera en tout état de cause de constituer à terme une plate-forme unique de distribution » conclut le CAS sur ce point, ajoutant au passage qu'une telle démarche permettrait de considérablement accroitre l'offre et de freiner le piratages de titres qui ne sont pas disponibles partout en version numérique.
Des propositions aux bibliothèques
Bien évidemment, ces propositions sont importantes pour les lecteurs, d'autant plus si ces derniers s'intéressent au numérique, puisqu'elles seraient susceptibles de changer la donne sur le marché français. Mais le CAS ne s'est pas arrêté là et s'est également penché sur le cas des bibliothèques, et lance des propositions pour développer « la mise en œuvre de la politique de numérisation, de diffusion, de valorisation et de promotion de l'écrit numérique, qu'il soit patrimonial, littéraire ou informatif » avec l'aide, notamment, du Centre national du livre. L'idée est également de développer la communication et l'usage des bibliothèques numériques comme Gallica ou Europeana, pas toujours très intuitives de prime abord.
La totalité des propositions faites par le CAS - dont les notes d'analyse sont disponibles ici - seront adressées prochainement au gouvernement.