Metal hurlant SF 2

L’été dernier, la revue Métal Hurlant, initialement fondée dans les années 70, annonçait son grand retour. Après un projet de crowdfunding réussi, le premier numéro a débarqué en septembre dans nos kiosques. Focus sur ce revival d’une institution de la science-fiction en France.

Métal Hurlant (2021)

Collectif

Demandez à n’importe quel membre de la génération X amateur de bande-dessinée : Métal Hurlant a marqué le monde de la science-fiction en France, porté par de nombreux auteurs et autrices iconiques. Philippe Druillet, Moebius, Gotlib, Jacques Tardi, Enki Bilal ou encore Nicole Claveloux sont passés dans ses colonnes, et la revue a même été déclinée dans une version américaine : Heavy Metal.

Arrêtée en 1987, et subrepticement republiée entre 2002 et 2004, on aurait pu croire le temps de Métal Hurlant révolu… C'était sans compter sur l'équipe de rédaction menée par Vincent Bernière (déjà à l’origine du retour des Cahiers de la bande dessinée), qui a décidé de ressusciter le géant. Au programme, comme au bon vieux temps, des interviews et des articles sur des sujets d’anticipation, et bien sûr… de la BD !

« Décaler un tout petit peu le monde tel qu’il est »

Pour cette nouvelle mouture, l’équipe rédactionnelle a mis en place un nouveau concept : un numéro sur deux proposera du contenu nouveau, sur des thématiques actuelles. Les autres numéros permettront, pour les lecteurs qui n’en avaient pas l’âge à l’époque, de découvrir des contributeurs historiques de Métal Hurlant, avec certaines œuvres inédites de ces géants de la bande dessinée. Pour ce premier numéro, on attaque avec du contenu nouveau, centré autour d’une thématique : l’anticipation proche ou near futur.

"E-Balade" de Merwan dans Métal Hurlant #1 © Humanoids, Inc.
"E-Balade" de Merwan dans Métal Hurlant #1 © Humanoids, Inc.

L’occasion pour la revue de présenter de nombreux auteurs, jeunes et moins jeunes, parmi lesquels Mathieu Bablet ou encore Ugo Bienvenu, dignes représentants de la SF moderne en bande dessinée. Au fil des pages, on retrouve également les très talentueux Merwan Chabane, Carole Maurel… et même des auteurs étrangers dont Brian Michael Bendis par exemple.

« La ville a tellement changé, ces dernières années »

Chaque histoire est un récit court en une seule partie : les auteurs doivent donc parvenir à capter notre attention et dessiner un univers cohérent en quelques pages seulement. Un exercice délicat… et pas toujours réussi. Certains auteurs sont partis dans un concept trop compliqué qu'il leur a fallu expliquer pendant tout le récit au détriment d’une histoire vraiment prenante. D'autres pages, au contraire, manquent de contexte et deviennent carrément nébuleuses.

Heureusement, ce n’est pas un constat général. Beaucoup de ces histoires courtes sont à la fois fascinantes et astucieuses, un tour de force quand on ne dispose que de quelques pages. L’équipe rédactionnelle a d’ailleurs décidé de débuter la partie BD avec l’œuvre de Mathieu Bablet, talentueux auteur de Carbone & Silicium, qui ne démérite pas ici non plus.

« Je vais finir par douter de cette histoire de réintroduction du loup en Île-de-France »

Page après page, chaque artiste propose sa vision d'un futur proche. Sera-t-il apocalyptique ? Sur-connecté ? Dévoré par le fanatisme ? Utopique ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, toutes les visions développées ici ne sont pas pessimistes. Merwan Chabane par exemple, imagine avec E-balade une forêt « connectée » où les randonneurs pourraient localiser la faune grâce à leur smartphone. Une sorte de vision écologique ET numérique.

À l'inverse de nombre d'œuvres de science-fiction qui dépeignent des futurs à l'agonie, ici la réflexion des auteurs et autrices emprunte tout un tas de chemins différents pour autant de possibilités imaginées.

« Elle n’était pas humaine, mais sa souffrance était réelle »

En un sens, ce premier numéro de Métal Hurlant donne un peu l’impression de s’aventurer dans une saison de Black Mirror. Certains récits sont terribles, d’autres amusants, d’autres encore, épiques… Les lecteurs, en fonction de leurs sensibilités et des sujets qui les touchent, s'attacheront à différentes histoires. Visuellement, c’est la même chose : le trait varie énormément d’une page à l’autre.

Métal Hurlant, comme à l'époque de ses premières parutions, est aussi l’occasion de découvrir de nouveaux artistes, pour peut-être creuser un peu plus dans leur bibliographie.

"Orpheus" de Jéremy Perrodeau dans Métal Hurlant #1 © Humanoids, Inc.

Dans son entretien au début du numéro, l’auteur de science-fiction Enki Bilal explique que dans ses récits, il a finalement toujours parlé du présent. Dans sa trilogie Monstre, il imaginait une secte obscurantiste faisant tomber la tour Eiffel… c’était avant l’attaque du World Trade Center par Al-Qaïda. Et c’est exactement ce que font les auteurs composant ce premier numéro de Métal Hurlant : ils s’inspirent du réel pour raconter le futur proche. Une guerre civile née d’une campagne de pub dans un jeu vidéo, une start-up proposant d’effacer les mémoires ou une télé-réalité macabre sont autant de points de départs des critiques de la société, auxquelles on adhère, ou pas d'ailleurs !

« Imagine vivre dans un monde qu’ils n’auraient pas foutu en l’air »

Même si les regards proposés dans ce premier numéro sont variés, le constat global est quand même celui d’une société en déroute, à la recherche d’un nouveau modèle. On referme Métal Hurlant avec les méninges qui chauffent, et c’est plutôt une bonne chose.

Cette nouvelle mouture a donc de quoi captiver et interpeller. On pourrait toutefois lui reprocher de rester un peu sage, réservant peu de surprise à qui connaît déjà la formule Métal Hurlant. Les prochains numéros nous apporteront-ils un vrai brin de folie ?

Métal Hurlant est édité chez les Humanoïdes Associés.

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