Beaucoup d'œuvres de fiction abordent l’apocalypse comme une étape, une catastrophe tuant beaucoup de monde mais laissant les survivants exister sur une planète désolée ou dangereuse. Dans We Live, l’apocalypse semble bien être la fin définitive de l’humanité sur Terre.
We Live (2022)
Inaki et Roy Miranda
Les temps sont durs sur Terre : les catastrophes naturelles ont décimé une partie de l’humanité, avant que des maladies incurables prennent le relais. Les animaux, eux, ont muté pour devenir de redoutables monstres mangeurs d'humains. Face à ces vagues successives de catastrophes, les derniers survivants se sont retrouvés en neuf places fortes réparties autour du globe. Alors qu'aucune renaissance ne semble envisageable, une lueur d’espoir apparaît : une entité mystérieuse a envoyé aux humains 5 000 bracelets de sauvetages. Tous sont destinés à des enfants, lesquels pourront quitter la terre pour faire perdurer l'espèce humaine dans un coin plus hospitalier de la galaxie. Sans trop savoir ce qui attend leur progéniture, les familles s’organisent pour atteindre les points de ralliement.
« 5 000 bracelets de sauvetage pour 5 000 enfants »
Dans We Live, nous suivons Tala, jeune fille courageuse à la chevelure blonde et son petit frère Hototo à qui elle a donné le bracelet qu’elle a trouvé. Les deux jeunes héros ont rejoint un groupe de survivants qui s’est donné pour but d’entreprendre le périlleux voyage jusqu’au point de ralliement, à travers des terres hostiles, contaminées et peuplées de monstres.
Le talent d'écriture de Roy Miranda, réhaussé par les dessins de son frère, Inaki, se ressent dès les premières pages, alors qu'on s'attache tout de suite à Tala et Hototo. Elle, est impressionnante de sang-froid, d'abnégation et de maturité. Lui est carrément adorable, avec son costume de super-héros et son casque en plastique à oreilles de chat. On a envie de les voir réussir, on a peur pour leur vie… et il y a de quoi.
« Ici, les bêtes sauvages règnent. Elles ne veulent pas de nous. »
Les frères Miranda ont imaginé un monde en perdition, mais qui n’a rien à voir avec les paysages arides de Mad Max par exemple. La végétation sur cette Terre post apo est luxuriante, les personnages évoluent les pieds dans l’eau… et chaque paysage est l'occasion pour le dessinateur d'exprimer son style graphique fouillé. Sous sa plume se meuvent de sublimes lions mutants et des zombies couverts de croûtes, délicieusement immondes. Avec We Live, le duo imagine un monde dangereux mais fascinant.
Le choix scénaristique du voyage pour nous faire découvrir leur vision du déclin de la planète est plutôt astucieux, en cela qu'il permet d'en montrer de nombreuses facettes. Au fil des pages, leurs personnages, Tala et Hototo, s'aventurent dans un marais, montent dans un train vide automatisé, explorent des ruines d’une époque ancienne, où tout était encore possible, et rencontrent un tas de personnages, plus ou moins bien intentionnés.
« À présent, nous devons faire face à un destin peu clément : notre extinction. »
Sans surprise, l’oeuvre est violente. Âmes sensibles, passez votre chemin parce qu’il sera question de démembrements à coups de dents et autres balles dans la tête. Avec leurs scènes d’action sanglantes, les auteurs nous offrent une belle démonstration de leurs talents en bande dessinée. Le storyboard est fluide et facile à suivre, totalement accessible même pour ceux et celles qui n’ont pas l'habitude de lire de la BD.
« Mais nous avons lutté et survécu. »
À ce stade, vous vous demandez peut-être « à quoi bon lire We Live, en pleine pandémie ? ». Pourtant, l’album renferme une étonnante dimension cathartique. À une époque où beaucoup préfèrent fermer les yeux et se boucher les oreilles face aux propos des scientifiques sur le climat, We Live présente des personnages forcés d'être pragmatiques, parce qu’ils n’ont plus le choix. Faire pipi sous la douche et couper l’eau quand ils se brossent les dents ne les sauvera pas : la situation est sans issue, et ça a le mérite d’être clair.
Le choix de mettre en scène des héros enfants n’est pas anodin non plus. Ils incarnent l’espoir, parce qu’ils ne sont qu’à l’aube de leur vie. Avec seulement quelques années au compteur, Tala et Hototo ont déjà vécu un paquet de choses traumatisantes, mais trouvent malgré tout la force de continuer à avancer.
« Mon père disait toujours : “Humbo, chaque lever de soleil signifie que tu n’es pas mort.” »
L’album ne comporte aucun numéro, pourtant la fin de We Live est complètement ouverte. L'œuvre propose un cliffhanger des plus savoureux qui donne très envie de lire une hypothétique suite. Avec We Live, Inaki et Roy Miranda nous proposent un récit beau et brutal, qui met l’humain face à son caractère éphémère. Une bande dessinée poignante.