C'est la grande scène d'ouverture de Skyfall. A la recherche d'un terroriste qui détient la liste des agents occidentaux infiltrés dans le monde, James Bond se lance, dans Istanbul en voiture, puis en moto, aux trousses de l'agent qui emporte le précieux disque dur. Cette folle course les entraîne sur les toits du grand bazar d'Istanbul. Filmée du ciel et au ras des tuiles, cette course-poursuite voit l'agent 007 échouer.
Pour filmer une telle poursuite en pleine ville du ciel, Sam Mendes, le réalisateur, et Roger Deakins son directeur de la photographie, ont fait appel à Flying-cam. Cette société belge a littéralement inventé et imposé le drone à Hollywood et dans les grands studios mondiaux.
La poursuite menée par James Bond à Istanbul, une scène culte de Skyfall permise grâce au drone. (Photo : Sony Pictures)
Emmanuel Prévinaire, fondateur de Flying-cam, a reçu un Oscar en 1995 en tant qu'inventeur du drone pour le cinéma. C'est en effet un appareil conçu par son équipe qui a fourni quelques-uns des plans les plus dynamiques de cette poursuite spectaculaire. Pour y parvenir, Flying-cam a mis au point un gros drone électrique de type hélicoptère, une machine de 25 kg dotée d'un rotor de 2,2 m de diamètre. Il a la puissance nécessaire pour élever dans les airs une caméra de cinéma qui pèse 8 kg. Baptisée SARAH 3.0, la dernière version a même valu à Flying-cam un second Oscar en 2014, le prix « scientifique et ingénierie », pour ses participations dans Skyfall, mais aussi Prisoners, Transformers 4 : Age of Extinction, Oblivion, etc. Après avoir conquis le monde de la pub et du sport, le drone s'est taillé une place de choix à Hollywood, mais il est aussi présent dans le monde des séries, y compris en France.
La scène de la voiture volante de Harry Potter : La Chambre des Secrets (Photo : Warner Bros)
Le drone, un nouveau regard pour le cinéma
Certains considèrent le drone comme le remplaçant de l'hélicoptère dans la prise de vue. D'un côté, l'hélicoptère, une machine de 1 million d'euros, 350 000 euros rien que pour la boule stabilisée et mobile (la Wescam, où l'on vient placer la caméra). De l'autre côté, le drone, qui coûte quelques milliers d'euros seulement. La tentation de remplacer l'hélicoptère pour les tournages de plans aériens semble évidente, mais la réalité est plus contrastée.Le drone permet de diviser drastiquement les coûts, mais il apporte surtout un moyen de tournage complémentaire à disposition du réalisateur. Antoine Vidaling, chef opérateur et fondateur de Skydrone précise : « C'est vrai que le drone permet de faire des plans qui existaient déjà auparavant. C'est le cas par exemple d'un travelling aux côtés d'une voiture qui roule ou d'une personne qui court. Plutôt que de prendre une journée complète à monter 50 mètres de rails pour le travelling, en 15 minutes le plan est tourné avec un drone. »
En revanche, difficile de remplacer l'hélicoptère si le réalisateur souhaite un plan aérien à haute vitesse. « L'hélicoptère peut voler jusqu'à 150 à 180 km/h, à des altitudes supérieures comprises entre le sol jusqu'à 750 m et peut emporter une caméra lourde avec un système de stabilisation très sophistiqué, la Wescam. Cela permet notamment d'utiliser des zooms et des objectifs imposants et lourds ».
Tournage d'une publicité pour Mercedes AMG sur le circuit du Castellet avec les octo-coptères de Flying Eye. (Photo : Flying Eye)
Plus qu'une simple alternative à la grue, au travelling ou à l'hélicoptère, le drone apporte de nouvelles possibilités d'écriture pour les plans : « Nous avons tourné les plans de début et de fin du prochain film d'Hugo Gélin Demain tout commence avec Omar Sy » explique Antoine Vidaling. « Ces plans ont été tournés à Cassis, en haut d'une falaise, avec Omar et un enfant ». Parmi ces plans, un « top shot », c'est à dire une vue verticale au-dessus des comédiens qui jouent leur scène au bord de la falaise. « Le réalisateur voulait notamment un plan face aux comédiens en haut de la falaise, à 40 m de hauteur au-dessus de la mer. Pour un tel plan, il aurait été possible de le tourner en hélicoptère. Par contre pour un autre plan, un travelling à côté des comédiens, à une distance de 1 à 2 mètres seulement, en hélicoptère ce n'était pas possible. »
Autre inconditionnel du drone, Loïc Berthézène, directeur de production de la série Section de Recherche. Il s'agit de la série française qui réalise le plus d'audience sur TF1. Une série policière dans laquelle l'utilisation de cet appareil fait maintenant pleinement partie des « codes » d'écriture des scénarios : « Le drone apporte un plus à la série. Il donne un nouvel angle de vue à la scène de crime en formant un fil conducteur entre la scène et la situation géographique. Ainsi par exemple si l'action se place dans le stade de Nice, Franck Sémonin qui joue le lieutenant Lucas Auriol arrive en moto, le drone le suit jusqu'à l'intérieur du stade. Le drone est le fil conducteur qui situe l'action et la position géographique. Pour le faire avec un travelling, cela aurait représenté six plans différent alors qu'avec le drone c'est un plan séquence unique. »
Section de recherche est une fiction de TF1 où le drone fait pleinement partie de l'écriture de la série. (Photos : Flying Eye, © Jean-Louis Paris/Auteurs et associés/TF1)
Quels drones pour le cinéma ?
Pour se faire une place dans le cinéma, les concepteurs de drones ont dû se plier aux exigences des chefs opérateurs et notamment embarquer les caméras déjà utilisées sur les tournages. Ces caméras sont toutefois lourdes, très lourdes même, et les nombreux accessoires viennent encore ajouter du poids à soulever.C'est la raison pour laquelle tous les opérateurs de drones ont dû créer leurs propres machines pour faire face à ces très grosses contraintes techniques : « Le poids est l'ennemi du drone et chaque centaine de gramme en plus remet en cause les performances » souligne Antoine Vidaling de Skydrone, qui a participé aux tournages de nombreuses publicités et travaille pour plusieurs chaînes TV, dont France Télévisions, M6 ou encore D8 pour sa TV réalité Adam recherche Eve.
« Outre la caméra Red, le chef opérateur veut des optiques particulières, un moteur de diaphragme, de focus, autant d'accessoires qui ajoutent du poids. Une batterie Red fait 800 à 900 grammes à elle-seule, ce qui est impossible pour un drone. Nous avons fait refaire des batteries plus petites et plus légères qui alimentent toute l'électronique, la caméra, le transmetteur HF. Ce sont des éléments prototypes qui nous appartiennent et qui ne peuvent pas s'acheter sur étagère. » L'opérateur est aussi un véritable constructeur qui achète des châssis, des moteurs, les hélices, les cartes de vol, la nacelle, des transmetteurs vidéo, des batteries.
Le RVRD Rapture équipé d'une caméra Alexa, une configuration type pour tourner des plans pour le cinéma. (Photo : RVRD)
Un modèle « sur-mesure » pour le cinéma est constitué de composants issus de huit à dix fournisseurs différents pour en faire un modèle parfaitement adapté. Dans ces conditions, la note monte très vite. Le prix d'un tel drone est compris entre 15 000 à 25 000 euros et sur un tournage, il faut apporter deux machines pour être certain de pouvoir tourner, même si un problème survient sur l'une d'elles.
Le SARAH 3.0 a fait le succès de Flying-cam mais il est plutôt atypique. (Photo : Flying cam)
Autre illustration des contraintes d'un tournage : « Le drone a besoin de quatre batteries pour assurer 8 minutes de vol » décrit Antoine Vidaling . « Chaque batterie coûte 200 euros, donc pour assurer 10 vols, il faut pratiquement 10 000 euros de batteries sur le tournage ! ». En outre, pour offrir une vision parfaite au chef-opérateur au sol de ce qui est filmé par le drone, il faut l'équiper d'un transmetteur HF capable de transmettre un signal HD compressé sans délai. « C'est indispensable notamment pour le cinéma où on a besoin d'une vision parfaite au sol de ce qui est filmé, pour gérer la mise au point et le diaphragme, le transmetteur seul coûte 6000 euros. »